Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit 

     Père, Fils et Esprit

 

A

u temps de Pâques, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quant ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 28, 16-20

LA SAINTE TRINITÉ (B)

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Pourquoi ?

Pourquoi parler de la Trinité ? Et d’abord, pourquoi l’Église a-t-elle éprouvé le besoin de faire une fête liturgique à partir d’un de ses dogmes. Qu’on célèbre la naissance de Jésus, sa mort et sa résurrection, la Pentecôte, d’accord : ce sont des faits, des événements. Mais la Trinité ? Ce dogme, même s’il est la résultante de toute une révélation biblique, n’est qu’une doctrine bizarre, presque démente, aux yeux de beaucoup de nos contemporains. L’Islam nous accusera de polythéisme, tant est forte pour lui l’idée du Dieu Unique. Et c’est vrai que la Trinité distingue la foi chrétienne de toutes les religions du monde. Dire que Dieu est Père, Fils, Esprit, tout en restant Un, cela fait voler en éclat l’idée primitive d’un dieu unique et éternellement solitaire : d’un seul coup nous voilà en présence d’une autre image de la divinité : un Dieu qui serait – qui est – don, communication, amour. On pourrait dire également : d’un Dieu qui est génération, engendrement (tiens, voici, le Fils !) Ou encore d’un Dieu qui est débordement, courant d’eau fertilisant, courant d’air vitalisant (voici l’Esprit !) Bref, d’un Dieu qui est Vie, car nous savons que la vie est échange. Et aussi combustion (le feu de l’Esprit qui, loin de consumer, fait vivre).


Trois personnes

Je viens d’employer intentionnellement le mot « image ». Car tout ce que je viens de dire n’est qu’image de la réalité. Comment expliquer, d’ailleurs, la réalité d’un être, sinon en employant des images. En nous rappelant cependant qu’il y a une certaine distance entre l’image et sa réalité. J’aime mieux voir quelqu’un en chair et en os plutôt qu’en photo. Donc, notre catéchisme définit le « mystère de la Sainte Trinité » comme le mystère d’un seul Dieu en trois personnes, qui sont le Père, le Fils et le Saint Esprit. Je retiens le mot « personne ». C’est un vieux mot, plus ancien que le latin. Un mot étrusque, persona, qui signifie d’abord « masque de théâtre », avant de désigner le rôle que tient un acteur. Et c’est vrai qu’un bon masque, plutôt que de masquer celui qui le porte, a pour objectif de décrire le personnage, la personnalité de l’acteur, sa place dans l’action théâtrale. Donc, les trois personnes d’un Dieu unique, ce sont trois figures, les trois représentations d’un seul et même Dieu. Notre Dieu est Père, source de toute vie, Fils, émanation de cette vie divine, et Esprit, expansion de la vie divine à tout l’univers. Mais disant cela, je sais bien que je ne fais que balbutier. S’il est déjà difficile de dire qui est telle personne humaine que je connais sans réduire et caricaturer, combien plus difficile encore est-il de dire Dieu !


Au nom de quoi ?


C’est pourquoi beaucoup de nos contemporains nous reprocheront de nourrir ce projet comme une évasion du réel. « Parlez-nous plutôt de la paix à promouvoir, nous diront-ils, ou de la lutte contre la faim dans le monde, ou de l’exploitation des plus pauvres, etc. » Oui, mais ! Au nom de quoi vais-je m’engager dans ces nobles causes ? Si vous êtes chrétiens, vous allez me répondre : « Parce que c’est la volonté de Dieu, parce que c’est toute la prédication de l’Évangile du Christ ». Et si vous n’êtes pas croyants, vous me direz simplement : « Au nom de la simple humanité ». Alors, je m’interroge. La simple humanité ? Il est hélas simplement humain de se hisser à un degré plus élevé dans l’échelle sociale, quitte à écraser les autres. Il est terriblement humain de nous combattre, de nous affronter, de vivre en frères ennemis. Il est humain de se situer dans un monde d’exploiteurs et d’exploités. L’homme n’est-il pas un loup pour l’homme ? Alors, la « simple humanité » ? Et la volonté de Dieu, telle qu’elle s’exprime dans l’Évangile, qui la respecte dans les cas difficiles ?
Bref, la parole de l’Évangile elle-même réclame un fondement. Elle n’est pas d’abord une règle morale, une consigne d’action, une « éthique ». Elle est une révélation, en ce sens qu’elle révèle le fond des choses, ce qui fait que l’univers existe, l’ultime vérité. C’est-à-dire, ce que nous appelons « Dieu ». C’est seulement comme une conséquence de cette révélation qu’on pourra y lire des règles de vie, une « éthique ». Aussi, je regarde l’Évangile. Pas comme un livre, mais comme la présence d’une personne vivante, Jésus. Avant de l’écouter, je vais le regarder, faire attention à ses gestes, à ses comportements. C’est lui qui nous redit : « Qui m’a vu a vu le Père », car « le Père et moi nous sommes Un ». Et « c’est l’Esprit qui rend témoignage ». C’est lui qui nous fait dire « Père » quand nous parlons à Dieu, qui nous enseigne le Fils et nous donne des attitudes filiales.
Dans notre prière personnelle comme dans toute liturgie, nous prions le Dieu Trinité. Ainsi, nous apprenons que le fondement de tout ce qui existe n’est pas solitude, mais société, lien, relation. Et, par voie de conséquence, nous ne pouvons accéder à la vérité de notre être, c’est-à-dire à l’image et à la ressemblance de Dieu, et même à la « participation à la nature divine », qu’en nous liant aux autres par des liens d’amour. Le mystère de la sainte Trinité n’est donc pas une élaboration intellectuelle de savants théologiens, c’est la base et le moteur de notre vie personnelle et de toute notre vie en société.