"Quand vous avez trouvé l'hospitalité..."

Il nous envoie !

 

Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux. Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais, et il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n'est un bâton ; de n'avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. " Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange ". Il leur disait encore : " Quand vous avez trouvé l'hospitalité dans une maison, restez-y jusqu'à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ". Ils partirent, et proclamèrent qu'il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d'huile à de nombreux malades, et les guérissaient.

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 7-13

QUINZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)

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Irréaliste !

A la première lecture, le texte de cet envoi en mission peut nous paraître totalement irréaliste. Comment faire pour partir ainsi, " rien dans les mains rien dans les poches ", pour prêcher la conversion ! Il faudrait avoir une certaine dose de sans-gêne, d'ailleurs, pour se présenter ainsi chez l'habitant, s'y installer, lui demander gîte et couvert, sous prétexte qu'on est envoyés deux par deux, sur l'ordre d'un gourou, avec pour mission de chasser les démons. Se faire ainsi sans domicile fixe, sans activité propre, mendiant, en quelque sorte. Voilà un idéal qui, s'il a séduit des jeunes hommes à certaines époques (je pense à saint François d'Assise particulièrement), n'a pas résisté à l'usage. Du vivant même de frère François, on en est revenu à plus de " réalisme ".

Et pourtant !

Et pourtant ! Si je prends l'Evangile au sérieux, je crois que cet envoi en mission s'adresse à nous aujourd'hui. Non pas certes avec les modalités pratiques qui étaient celles d'un autre temps, où l'hospitalité était quelque chose de sacré et où les contraintes d'ordre économique et social étaient différentes. Mais dans l'intention même du Christ : faire participer activement tous ses disciples, donc chacun de nous aujourd'hui, à son œuvre de salut. L'intention reste la même. Quant aux moyens à employer, ils restent foncièrement identiques dans leur finalité : des hommes libres s'adressent à d'autres hommes, sans les contraindre ni les séduire, pour qu'ils puisse adhérer librement.

Le but de la mission

Le but de la mission d'abord : chasser les démons et guérir les malades. Et pour cela, proclamer qu'il faut se convertir. A première vue, cela aussi peut nous paraître anachronique. Et pourtant ! Nous sommes malades, et notre monde est malade. Nous vivons dans un " monde cassé " et nous nous y plaisons, nous nous y complaisons. Nos démons ? N'est-il pas vrai que nous sommes en proie à la violence, au mépris de ce qui est différent de nous, à la volonté de domination, au désir de posséder ce que l'autre possède (jalousie, envie). Ouvrez vos journaux, regardez les informations à la télé, analysez les arguments de la publicité et vous verrez. Et tout cela est mensonge : on croit courir après le bonheur et on parvient à l'équilibre de la terreur. Le Christ donne à ses apôtres (à chacun de nous aujourd'hui) pouvoir sur cet esprit mauvais. Quel pouvoir ? Uniquement l'Evangile, car l'Evangile seul peut guérir les hommes. Nous ne sommes pas propriétaires de l'Evangile, nous en sommes les serviteurs, nous en sommes les disciples. Si chaque jour nous essayons de vivre l'Evangile dans les gestes les plus ordinaires de notre vie personnelle et de notre vie en relation, nous sommes sur le chemin de la guérison et nous apportons un début de guérison au monde. Le Christ nous donne " autorité sur les esprits mauvais ".

Et les moyens.

Les moyens à employer pour cela : ceux qui feront de nous des hommes libres. Sandales et bâton, c'est ce qui sert à marcher. En dehors de cela, rien. En d'autres termes, celui qui apporte l'Evangile se présente "sans trucs et astuces", sans rien qui puisse séduire, sans rien qui puisse contraindre la liberté de l'autre. C'est important. Pour deux raisons. D'abord parce que justement dans notre monde actuel, on est toujours tenté d'employer les moyens publicitaire énormes qui sont à notre disposition. Et si l'Eglise employait ces moyens, cela risquerait de faire dévier l'esprit de l'Evangile. Certains voudraient faire passer leurs convictions par la force, par la ruse, par manipulations, par séduction. Le Christ insiste pour que nous ne soyons pas de ceux-là. Il veut que nous soyons totalement respectueux de nos interlocuteurs. Saint Paul explique dans sa première lettre aux Corinthiens qu'il n'est pas venu persuader par le prestige d'une éloquence brillante, ni par l'éclat d'une intelligence éblouissante. Il s'est présenté, dit-il, " faible, démuni, tremblant ". Pas question de manipuler qui que ce soit : ce serait l'asservir, et non le libérer. Une deuxième raison me paraît aussi fondamentale : si les disciples arrivent démunis, c'est pour demander à ceux qui les accueillent de vivre déjà pratiquement le contenu du message qu'ils vont entendre. Obligés de demander l'hospitalité, ils conduisent ceux qu'ils visitent au premier geste du Royaume : l'accueil de l'autre. Donner un verre d'eau " à l'un de ces petits ", c'est déjà entrer sur le chemin de la conversion : c'est se détourner de soi-même pour se tourner vers le Christ lui-même.

"Si tu veux !"

Alors ceux à qui ils s'adressent restent libres. Libres d'accueillir ou de fermer leur porte. Et si on lui ferme la porte, le disciple n'insiste pas. Il y a toujours, dans tout l'Evangile, un " si tu veux " qui sous-tend toutes les propositions du Christ. Le disciple n'a pas à s'offusquer d'un refus, ni à se décourager ni même à insister. Au fond, il a mis ses interlocuteurs en situation de produire un acte de liberté. S'ils refusent l'accueil, le disciple ira ailleurs. " Je vous apportais tout et vous n'avez pas voulu le recevoir ; moi, je n'emporte rien ". On est quitte ! En cela, il est vraiment disciple de ce Jésus qui, récusé dans son propre village de Nazareth, part immédiatement dans les autres villages. La mission continue.

Les disciples (encore une fois, chacun de nous) ont une bonne nouvelle à annoncer et ils sont responsables de cette annonce, mais pas de ce que les hommes en font. Le semeur sème la semence : le terrain fait le reste. Beaucoup de chrétiens, prêtres, catéchistes, militants, se désolent et même se désespèrent à cause du maigre résultat de leurs efforts. Bien sûr, nous avons toujours à perfectionner notre manière d'évangéliser. Mais le respect des autres doit nous rendre à nous aussi la liberté intérieure. Notre travail est de semer. Pas de moissonner.

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