"Effata = ouvre-toi"

Ouvre-toi

 

Jésus quitta la région de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction du lac de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. On lui amène un sourd-muet, et on le prie de poser la main sur lui. Jésus l'emmena à l'écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : "Effata !", c'est-à-dire : "Ouvre-toi." Ses oreilles s'ouvrirent ; aussitôt sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus lui recommanda de n'en rien dire à personne ; mais plus il le leur recommandait plus ils le proclamaient. Très vivement frappés, ils disaient : "Tout ce qu'il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets."

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 7, 31-37

23e DIMANCHE ORDINAIRE B

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Aveugle ou sourd ?

Lorsque j'étais enfant, je me demandais souvent s'il valait mieux, quitte à souffrir d'une infirmité, être aveugle plutôt que sourd. Evidemment, l'usage plénier des cinq sens est préférable, mais, avec l'âge, on sait bien que nos facultés sensitives diminuent et même parfois disparaissent. Alors, qu'est-ce qui est préférable ? Etre aveugle ou sourd ? Je n'ai jamais pu répondre à la question. On dit parfois que les aveugles sont joyeux et les sourds, tristes. Mais c'est une généralisation hâtive. Aveugle, je ne pourrais plus voir les gens, contempler la nature, m'émerveiller de la beauté ; mais sourd, je ne pourrais plus écouter de la musique, dialoguer facilement avec les autres. A plus forte raison si j'étais sourd-muet. A la réflexion, je crois que le pire est quand même d'être sourd-muet. L'aveugle, qui ne voit pas le superficiel, peut connaître, dans une relation profonde avec autrui, le bonheur de la communication vraie. Le sourd-muet, certes, voit. Mais il ne voit que l'extérieur des choses et le superficiel des personnes. Il ne peut entrer en communication, de nos jours, qu'avec quelques spécialistes, notamment des éducateurs, qui ont appris et fait apprendre le langage des signes. Mais encore une fois, il est préférable de pouvoir utiliser ses cinq sens et d'en faire un plein usage.

"Ouvre-toi"

Quoiqu'il en soit, l'évangile nous présente aujourd'hui un pauvre homme, un sourd-muet. La scène se passe en territoire païen, dans la Décapole (les dix villes situées à l'Est du lac de Tibériade). Quelques détails du récit de miracle sont significatifs. L'infirme ne vient pas de lui-même : "on" l'amène à Jésus. "On" le prie de poser la main sur lui. Jésus n'en fait rien . Il touche le pauvre homme, met les doigts dans ses oreilles, prend de la salive, lui touche la langue. Gestes assez répugnants ! Ensuite, il ne dit pas à l'infirme : "Sois guéri", ou encore "parle", mais simplement un mot : "Ouvre-toi".

Ce récit de miracle peut donc, à première lecture, nous choquer. D'autant plus que les spécialistes de la critique biblique nous disent que les gestes de Jésus guérisseur sont semblables à ceux de nombreux guérisseurs dont on a gardé le souvenir dans les textes de l'antiquité grecque ou romaine : il prend le malade à l'écart, fait sur lui des gestes et prononce des paroles bizarres… Je préfère, quant à moi, essayer de voir ici un signe que Jésus me fait, comme il l'a fait aux premiers témoins. Disons, pour faire simple, qu'il m'annonce l'avènement d'un monde nouveau, recréé, restauré, où tout homme pourra jouir pleinement de ses facultés pour entrer en relation vraie et plénière avec les autres, avec la création entière, avec Dieu.

La prophétie d'Isaïe

Les spécialistes (encore eux) nous apprennent que ce récit de la guérison du sourd-muet est un signe à l'appui d'une catéchèse destinée à expliquer la prophétie d'Isaïe, chapitre 35, dont nous lisions un extrait dans la première lecture de ce jour. Isaïe annonce le jour de "la vengeance, de la revanche de Dieu". Historiquement, il s'agissait d'une libération : le retour des déportés juifs, captifs à Babylone. Plus largement, et après cette libération, toute la tradition a lu ce texte comme une annonce de l'avènement d'un monde nouveau. Non pas, comme certains prédicateurs l'ont interprété, (autrefois et même de nos jours) une vengeance, une revanche de Dieu sur l'homme, mais une vengeance, une revanche de Dieu sur le mal, pour l'homme. Dieu ne peut pas supporter plus longtemps que cette création, qu'il avait créée bonne, très bonne, continue à être un échec ; que l'homme, qu'il avait instauré gérant de cette création, continue à en être l'esclave et la victime. "A ceux qui s'affolent", Isaïe recommande : "Soyez forts, ne craignez pas". Signes de cette restauration, non seulement "les oreilles des sourds s'ouvriront…la bouche du muet criera de joie", mais "les yeux des aveugles verront" Et justement, après le récit de la guérison du sourd-muet, à la page suivante de son évangile, Marc raconte la guérison d'un aveugle à Bethsaïda. Et il le fait dans les mêmes termes, avec les mêmes détails que pour le sourd-muet. Preuve qu'il s'agit bien dans les deux récits d'une illustration de la prophétie d'Isaïe.

Un monde nouveau ?

Oui, nous dit Jésus, un monde nouveau commence, comme l'avait prophétisé Isaïe, pour toute l'humanité, pas seulement pour Israël, mais pour Juifs et païens. Un monde où tout homme pourra voir, entendre et parler, aller et venir, donc entrer en communication vraie avec ses semblables ; entrer en communication avec Dieu. Un monde réconcilié. Et j'en donne les signes. Aux envoyés de Jean Baptiste en prison, qui viennent lui demander si c'est bien lui, le Messie, Jésus répond :"Allez dire à Jean : les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent". (Matthieu 11, 4)

C'était il y a 2000 ans ! Et aujourd'hui ? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce monde nouveau n'est pas encore pleinement réalisé. Mais ne soyons pas pessimistes. Techniquement parlant, les moyens de communication ont connu d'énormes progrès durant ces derniers siècles, et particulièrement en ce vingtième siècle. A tel point qu'on a pu dire que "le monde est un vaste village" où l'on sait tout de ce qui arrive dans les minutes qui suivent l'événement. Techniquement parlant, c'est vrai que les distances entre les hommes, entre les pays et les continents ont été considérablement raccourcies. C'est vrai que dans l'instant, je peux aujourd'hui communiquer avec un parent qui vit en Australie. Mais ce n'est pas la technique qui compte, c'est l'utilisation qu'on en fait. Et si, dans ma propre famille "on ne s'entend pas" ? Et si, dans la conversation, "on n'est pas sur la même longueur d'ondes" ? Le proverbe le dit bien : "il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre" ! Je rêve donc d'un monde réconcilié, d'un monde plus fraternel, où tous les conflits pourraient se résoudre en se parlant, en s'écoutant. Avez-vous remarqué combien il est difficile d'être toujours à l'écoute de l'autre ? Seigneur, "touche nos oreilles, nous entendrons".

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