"il l'embrassa..."

Qui est le premier ?

 

Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu'on le sache. Car il les instruisait en disant : " Le Fils de l'homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. " Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l'interroger.

Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demandait : " De quoi discutiez-vous en chemin ? " Ils se taisaient, car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S'étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : " Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. " Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d'eux, l'embrassa, et leur dit : " Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille, ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé. "

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 9, 30-37

25e DIMANCHE ORDINAIRE (B)

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La sagesse des nations.

Depuis qu'il y a des hommes, tout le monde répond à cette question : " Qui est le premier ? " en des termes identiques. Le premier, c'est le plus intelligent, le plus fort, le plus riche, le plus malin. Depuis notre premier jour à l'école, comme dans notre vie professionnelle, politique ou sociale, c'est ainsi qu'on juge le premier. Et c'est vrai aussi bien sur le plan international que sur le plan individuel. La première nation, c'est la plus forte, économiquement, militairement, financièrement. Ainsi va la sagesse des nations, et cela depuis qu'il y a des hommes.

La sagesse inaugurée par Jésus opère une véritable révolution dans cette échelle commune des valeurs. D'une façon abrupte, Jésus nous redit aujourd'hui, une fois de plus, que le premier, c'est celui qui se fait le dernier et le serviteur de tous. Rendez-vous compte du bouleversement ! En quelques lignes, l'évangile de Marc nous dit à la fois les paroles provocatrices de Jésus et l'attitude des disciples. Premièrement, Jésus, traversant la Galilée, ne veut pas qu'on parle de lui. Il sait trop bien que ses disciples, qui ont été témoins de tant de prodiges, de tant de miracles, iraient partout en proclamant qu'ils ont trouvé un homme extraordinaire, qui fait ce qu'il veut, qui ne craint pas les Romains, qui va restaurer la royauté en Israël. Et c'est vrai : alors que Jésus, une deuxième fois, leur dit quel est son destin (l'arrestation, la mort et la résurrection), les disciples, eux, parlent des premières places dans ce royaume futur. Ils se disputent, et on imagine Jacques et Jean, Pierre, André et les autres, en train de se partager les futurs ministères. A nous les bonnes places ! Qui sera le premier ?

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Renversement des valeurs. Jésus substitue un signe " moins " à un signe " plus ". Premier devient dernier, Seigneur devient serviteur. On peut continuer : perdre devient gagner, mort devient vie. C'est la subversion de toutes nos valeurs, un changement de coordonnées pour notre univers. Ce sont les pôles de notre terre qui changent de place.

Inutile de dire que nous sommes encore loin, aujourd'hui, d'en avoir tiré toutes les conclusions : le christianisme est encore balbutiant, encore frappé de l'étonnement qui a désarçonné les premiers disciples. Dans le passage de sa lettre que nous lisons aujourd'hui, l'apôtre Jacques, en un langage vigoureux, explique que nous serons dans le malheur tant que nous n'aurons pas opéré ce renversement des valeurs : " D'où viennent les guerres, d'où viennent les conflits entre vous ?… Vous êtes pleins de convoitises et vous n'obtenez rien, alors, vous tuez ; vous êtes envieux et vous n'arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre… vous demandez des richesses pour satisfaire vos instincts." Vous pouvez vérifier ces paroles de Jacques, aussi bien sur le plan de nos rapports interpersonnels que sur le plan international. Voir, par exemple, la guerre économique que se livrent les grandes puissances, que se livrent les multinationales. Une compétition sans merci, qui fait tant de victimes, aujourd'hui, aussi bien dans nos pays développés que dans les pays en voie de développement. Décidément, nous avons la tête dure.

Deux sagesses

Donc, deux sagesses. Celle qui règne aujourd'hui, et qui, à en voir les résultats, est folie. Folie meurtrière, qui dresse partout des croix, alors que nous la considérons souvent comme une simple question de bon sens (" C'est comme ça depuis que le monde est monde "). Et la sagesse inaugurée par Jésus, révélée et vécue par lui, qui est folie aux yeux des hommes, qui consiste à se faire le dernier et le serviteur, au ras de la peine et de la souffrance quotidienne de l'humanité. " De riche qu'il était, il s'est fait pauvre ". Et dans sa lettre aux chrétiens de Philippe, Paul cite une hymne du Ier siècle : " Lui qui était de condition divine, il s'est abaissé, prenant la condition de serviteur, allant jusqu'à mourir sur une croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé. "

Si nous voulons être vraiment ses disciples, il nous faut, comme lui, être " premiers " en service et en accueil des plus faibles, c'est-à-dire nous faire les derniers. Jésus prend un exemple pour les hommes de son temps, pour ses disciples qui l'entourent, en attirant vers lui un enfant, en l'embrassant et en déclarant que " celui qui accueille un enfant, c'est moi qu'il accueille ". L'exemple choisi n'est plus tellement parlant dans nos civilisations occidentales, au siècle de " l'enfant-roi ". Au temps de Jésus, comme encore aujourd'hui dans quantité de pays pauvres, comme en Europe jusqu'à une époque récente, l'enfant, c'était le type même du " petit ", c'est-à-dire de ce qui ne compte pas. Aujourd'hui, Jésus prendrait probablement un autre exemple. Regardez du côté de Mère Teresa. Elle a choisi de servir dans une des villes du monde où règne la plus grande misère. Et parmi tous les miséreux de cette ville, elle s'est mise au service des plus pauvres, ceux dont personne ne s'occupait : mourants, lépreux, enfants abandonnés… Je rappelle le propos de cet Indien recueilli dans un des mouroirs de Mère Térésa et qui, sur le point de mourir, déclarait : " J'ai vécu toute ma vie comme un chien, mais au moins je meurs comme un homme ". Tout être humain, même le plus minable, parce qu'il a été accueilli par une chrétienne comme Dieu lui-même, s'en trouve extraordinairement grandi. Il devient comme Dieu. " C'est moi que vous accueillez ", dit Jésus. C'est pourquoi, aux yeux du monde entier, au jour de sa mort, Mère Térésa est regardée comme la première.

Mais pour une " Mère Térésa ", combien de millions de chrétiens à la tête dure ! Nous sans doute, du moins pour une certaine part de nous-mêmes. Jésus a beau dire, nous discutons toujours en chemin pour savoir qui est le plus grand. Il y a urgence de nous convertir à la Bonne Nouvelle de Jésus Christ.

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