"Les chefs commandent en maîtres, les grands font sentir leur pouvoir."

Les bonnes places !

 

Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchent de Jésus et lui disent : " Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande. " Il leur dit : " Que voudriez-vous que je fasse pour vous ? " Ils lui répondent : " Accorde-nous de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans la gloire. " Jésus leur dit : " Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? " Ils lui disaient : " Nous le pouvons. " Il répond : " La coupe que je vais boire, vous y boirez ; et le baptême dans lequel je vais être plongé, vous le recevrez. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder, il y a ceux pour qui ces places sont préparées. " Les dix autres avaient entendu, et ils s'indignaient contre Jacques et Jean. Jésus les appelle et leur dit : " Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous : car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. "

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 10, 35-45

VINGT-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE B

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Bizarre !

Quelle démarche bizarre, en apparence du moins ! Voilà Jacques et Jean, deux des amis intimes de Jésus, qui lui demandent : " Quand tu seras dans ta gloire, accorde-nous de siéger à ta droite et à ta gauche ". Et tous les autres de s'indigner ! Pourtant, tout au long de cette longue marche vers Jérusalem que Jésus vient d'entreprendre avec ses disciples, ils sont sur le même chemin, mais leurs esprits suivent des routes différentes. Jésus marche vers sa Passion, les disciples, eux, marchent vers le triomphe, vers la prise du pouvoir. Ils veulent " siéger à la droite et à la gauche " de Jésus, dès que celui-ci aura réussi la révolution, dès qu'il aura pris le pouvoir. Sans doute pensent-ils au psaume 110 : " Le Seigneur a dit à mon seigneur : siège à ma droite " !

Le rêve !

Au fond, leur désir, c'est celui de l'homme depuis le début : être comme Dieu. C'était déjà la tentation du premier homme, telle que la raconte le livre de la Genèse au chapitre 2 : " Vous serez comme des dieux… " Ce fut le rêve des grands penseurs du XIXe siècle, particulièrement Nietzche et Marx. C'est encore la revendication de toutes nos civilisations occidentales : jouir d'une liberté absolue. C'est le rêve du scientisme : par la science, l'homme doit parvenir à dominer toute chose. Siéger, être assis, c'est ne plus remuer, être installé, n'avoir plus à lutter, parce que tout nous sera soumis.

S'élever !

Le plus fort, dans cette histoire, c'est que finalement Dieu comblera ce désir. Mais pour cela, il faudra que ce désir se transforme. Comment ? En retournant le désir. Jacques et Jean ont une vision pyramidale des choses : eux au-dessus, et les autres en-dessous ! C'est la vision classique, spontanée, qui inspire tous les travaux, tous les efforts humains. " Monter dans l'échelle sociale ", " gravir les échelons ", s'élever. Regardez le monde dans lequel nous vivons : aussi bien sur le plan économique que sur le plan social, c'est l'aspiration des groupes comme des individus : le pouvoir. Et le spectacle navrant que nous donne aujourd'hui le monde politique devrait nous ouvrir les yeux.

Comme des dieux ?

" Etre comme des dieux " ! Parce qu'on s'imagine que la puissance (bien réelle) de Dieu est une puissance qui domine, alors que cette puissance, simplement, fait exister, fait grandir des êtres jusqu'à lui. Etre comme Dieu, oui d'accord, mais pas en dominant. Simplement en se faisant " créateurs " des autres. Etre grand, oui, mais en donnant sa vie, en faisant vivre. Jésus explique cela à sa manière : tu veux être comme Dieu ? Sois serviteur (ou plus exactement " esclave ") des autres. Serviteur de la vie dans les autres, dans la multitude. Donc chercher, non pas à être grand, mais à servir. Pas servir pour être grand, mais servir pour faire grandir. Notre propre grandeur n'est qu'une conséquence de notre attitude de serviteurs.

Eduquer = disparaître

Mais là-dessus, il faut faire attention ! Il s'agit de servir, mais pas n'importe comment. En effet, sous prétexte de service, tu peux en arriver à des attitudes de domination qui tuent celui que tu veux servir, qui réduisent l'autre à l'état d'objet. Il y a toujours, en chacun de nous, un danger de " paternalisme ", même dans la puissance d'engendrer, de créer. Les psychologues parlent de " mères castratrices ". Et le verbe éduquer, je vous le rappelle, signifie, dans son étymologie, " faire sortir de… "

Comment être " comme Dieu " ? Regardons Jésus. A quelques jours de sa mort, il dit à ses amis : " Il est bon pour vous que je m'en aille ". Eh bien, c'est exactement cela, " être comme Dieu ". Dieu crée en disparaissant. Dieu, l'Etre, se retire en laissant un vide, un espace, une béance, où nous trouvons notre place. La place même de Dieu. Et nous-même, comment " disparaître " pour laisser vivre les autres ? Aujourd'hui, il nous faut bien distinguer, dans notre vie, ce qui est une mauvaise façon de " servir ", qui consiste à tenir toute la place, et ce qui est la bonne manière, qui fait passer par la mort celui qui sert. C'est la seule qui peut faire vivre, et celui qui sert, et celui qui est servi.

Faire le plongeon

A Jacques et Jean, Jésus pose une question, en réponse à leur demande : " Pouvez-vous recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? " Parole incompréhensible pour celui qui ne sait pas que le mot " baptême " est un mot grec qui signifie " plongeon ". Jésus demande à ses deux amis - à nous aujourd'hui - si nous sommes capables de faire le plongeon. Quand on plonge, ce n'est pas pour rester au fond de l'eau, c'est pour ressortir. Voilà l'image très parlante qu'emploie Jésus pour annoncer sa mort-résurrection et notre propre destinée de disciples. C'est ainsi qu'il a lui-même rejoint la condition divine, parce qu'en son humanité, il a recopié l'acte créateur. Quant à siéger à sa droite et à sa gauche, le moment venu, ce seront deux bandits de grand chemin, crucifiés avec lui, qui occuperont ces places. Des pécheurs, mais dont la place est réservée.

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