"Pour qu'ils aient en eux ma joie".
Le secret de la joie.
A l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : " Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage, pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j'étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné. J'ai veillé sur eux, et aucun ne s'est perdu, sauf celui qui s'en va à sa perte de sorte que l'Ecriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu'ils aient en eux ma joie, et qu'ils en soient comblés. Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde, de même que moi, je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité ".
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 17, 11-19 SEPTIEME DIMANCHE DE PAQUES (B) oOo Retour en arrière.
Quelque soixante ans après la mort et la résurrection de Jésus, l'apôtre Jean fait un retour en arrière. Il regarde sa vie. Il revit toutes ses aventures, ses joies, ses souffrances aussi. Il a été déporté. Il a travaillé aux mines de Pathmos. Et il nous dit, il nous transmet à ce moment-là, parce qu'il l'a expérimentée comme une vérité de sa propre vie, la prière que le Christ a faite quelques heures avant d'être arrêté, torturé, mis à mort. Cette belle prière a, en même temps, le goût de la terre (neuf fois, on y trouve l'expression " le monde ") et une saveur d'éternité. S'il fallait la résumer, je dirais que Jésus prie le Père pour que ses amis - nous qui aujourd'hui écoutons ces paroles - pour que nous soyons VRAIS dans notre existence. Et cela, c'est le contraire de l'esprit du monde. Nous risquons en effet d'être en rupture avec le monde et d'y être pris en haine, si nous sommes vrais dans toute notre vie. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que, dans cette attitude, nous trouverons la joie.Qu'est-ce que Jésus veut dire, quand il demande, pour nous, la plénitude de sa joie ?
Un peuple triste ?
Je pense souvent à la parole du curé de Torcy, dans le " Journal d'un curé de campagne " de Georges Bernanos. Le vieux curé dit à son jeune confrère : " Sais-tu d'abord ce que c'est qu'un peuple chrétien ? Eh bien moi, je vais te définir un peuple chrétien par son contraire. Le contraire d'un peuple chrétien, c'est un peuple triste. " Sommes-nous un peuple chrétien ?
Je vous ai déjà raconté la remarque que me faisait, un jour, en arrivant dans mon quartier, un jeune missionnaire qui venait de Wallis et Futuna. A brûle-pourpoint, il me dit (pardonnez l'expression) : " Mais qu'est-ce qu'elles ont, les bonnes femmes ici ? Tu n'as as vu leur tête ? On dirait qu'elles sont toutes malades ou en colère ou malheureuses. " J'ai regardé...et c'était vrai : ces regards mornes, tristes, voire hostiles, ces allures accablées, ces airs maussades. Et pas seulement les " bonnes femmes ", mais aussi les " bonshommes ". Et pas seulement les adultes, mais aussi les jeunes et les enfants. Et pas seulement dans notre quartier, mais un peu partout...Un peuple triste !
Ne pas confondre.
Attention : il ne faut pas confondre plaisir, bonheur et joie. Il y a le plaisir. C'est normal. On se fait un petit plaisir, on fait plaisir à quelqu'un, on trouve son plaisir où l'on peut. Ce peut être excellent. Nous ne sommes pas " maso " et je ne vois pas pourquoi on regarde parfois la recherche du plaisir comme quelque chose de malsain. Mais le plaisir est essentiellement limité à l'instant. Il n'a pas de durée. Par contre, le bonheur est plus durable, plus profond aussi. On cherche le bonheur, au sein d'une famille, dans une amitié vraie, dans le couple, dans un groupe humain quelconque. Mais attention : dans toute vie humaine, il y a le bonheur et le malheur. Tous les jours ne se ressemblent pas. Comment vivre dans cette alternance de grands bonheurs et, peut-être, de profonds malheurs. C'est ici qu'intervient notre expérience de la joie. Elle est indépendante de tous les aléas de la vie. Elle est plus durable.
Le secret de la joie.
Nous avons tous rencontré des gens qui avaient toutes les raisons d'être malheureux et qui, cependant, rayonnaient la joie. Des vieillards, par exemple, plus ou moins délaissés par leur famille, et dont l'approche vous révélait toute une chaleur humaine, une joie de vivre, malgré les infirmités, une soif de rencontre, un plaisir de communiquer. Vous avez peut-être, comme moi, rencontré un jour un grand malade qui, dans sa souffrance, non seulement ne se plaignait pas, mais savait communiquer autour de lui une joie profonde. Paradoxe de l'existence chrétienne. Où est le secret de cette joie ?
Jésus, je crois, nous le dit : il s'agit d'être vrai. Vrai avec soi-même pour être vrai avec autrui, pour être vrai avec Dieu. Ne pas tricher. S'accepter avec ses limites, physiologiques, intellectuelles, psychologiques. C'est cela, être vrai avec soi-même. Si l'on arrive à accepter ses limites, on ne cherchera plus à paraître, et on deviendra vrai avec les autres. Non pas simplement en disant ce qu'on pense, mais en regardant les autres du regard même de Jésus. Les autres, quels qu'ils soient, même blessés, abimés, défigurés par le péché, sont tous des enfants bien-aimés de Dieu. Non seulement je n'ai pas à faire le malin devant eux, mais j'ai à les accueillir dans la vérité de notre existence commune. Et alors, cet accueil (ou ce non-accueil) sera le test de la vérité de mes rapports avec Dieu. Je ne tricherai pas avec celui qui est la Vérité.
Aussi, je ne peux que reprendre la prière de Jésus et dire à Dieu : " Père, consacre-nous dans la vérité. Alors, nous aurons la plénitude de la joie. "