Le dernier repas - Mosaïque de Ravenne

DIRE MERCI

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l'on immolait l'agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : " Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal ? " Il envoie deux disciples : " Allez à la ville ; vous y rencontrerez un homme portant une cruche d'eau. Suivez-le. Et là où il entrera, dites au propriétaire : 'Le maître te fait dire : où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?' Il vous montrera, à l'étage, une grande pièce toute prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs ". Les disciples partirent, allèrent en ville ; tout se passa comme Jésus le leur avait dit ; et ils préparèrent la Pâque.

Pendant le repas, Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna, en disant : " Prenez, ceci est mon corps ". Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : " Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, répandu pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le Royaume de Dieu ".

Après le chant d'action de grâce, ils partirent pour le mont des Oliviers.

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 14, 12-26

LA FETE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST

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Un repas inhabituel !

J'ai toujours été frappé par le nombre de fois où l'Évangile nous montre Jésus à table. Repas de noces à Cana, repas chez des publicains et des pécheurs (par exemple chez Matthieu), repas avec des pharisiens, comme chez Simon où une femme vient lui baigner les pieds de ses larmes ; repas intimes, chez Lazare, Marthe et Marie. Repas où Jésus est l'invité, repas où c'est Jésus qui invite...Il y a toujours des repas. Mais de tous ces repas, le plus grand, le plus significatif est un repas de fête, le repas de la Cène, le dernier repas.

C'était un repas liturgique. On fêtait le mémorial de la libération d'Egypte, et on se conformait, dans toutes les familles, à un certain nombre de rites. Jésus est (presque) totalement fidèle à la tradition. Comme tous les chefs de famille, il refait les gestes des ancêtres, prononce les formules de bénédiction que tout le monde prononçait, partage le pain comme tout le monde ; il fait circuler les coupes rituelles. Mais voilà que subitement tout bascule. Rompant le pain, Jésus déclare que ce pain, c'est son corps livré ; faisant circuler la coupe, il annonce que c'est son sang versé pour la multitude que ses invités vont boire. Il n'est plus question du passé. Ou plus exactement, l'événement passé atteint ici son point culminant. La libération de l'esclavage d'Egypte n'était que signe d'une libération et d'une alliance universelle, qui sera scellée quelques heures plus tard sur la croix.

Dire merci ?

Alors, voilà la question que je me pose depuis bien longtemps : comment le Christ a-t-il pu, sachant ce qui allait lui arriver, dire merci à Dieu ? Puisque c'est cela, le chant d'action de grâce mentionnée par l'Évangile. Rendre grâce, c'est dire merci. C'est le même mot que le mot Eucharistie. Comment Jésus a-t-il pu, sachant qu'il allait être arrêté, battu, torturé, mis à mort, comment a-t-il pu dire merci à Dieu ? Je n'ai pas de réponse, mais je crois qu'il faut en être arrivé à un incroyable degré d'intimité avec le Père, comme s'il avait épousé totalement le destin du monde, pour pouvoir, à ce moment-là, dire merci.

Eh bien, ce que Jésus a fait ce soir-là, nous le faisons nous aussi chaque dimanche. On dit : "Je vais à la messe". Bien. Mais il y a quantité de mots pour désigner la messe. Les protestants disent "La Sainte Cène". C'est le mot latin qui veut dire : le repas du soir. Nous catholiques, nous disons la Messe. C'est aussi un mot latin, le même mot que " Mission " : il indique, plus que le repas fraternel, sa conclusion. Tout le monde, après s'être rassemblé, se disperse et part en mission : il s'agit de vivre ce qu'on a célébré. Voilà donc déjà deux aspects d'une même réalité. Aujourd'hui on emploie plus volontiers un troisième mot : le mot " Eucharistie". C'est un beau mot, puisque justement il signifie " Merci. " Je rêve du jour où tous les chrétiens arriveront à se mettre d'accord pour désigner d'un seul mot l'assemblée dominicale et dire simplement " Nous allons dire merci. "

Deviens ce que tu reçois.

Mais pourquoi avons-nous, chaque dimanche, à dire merci ? Eh bien, c'est la même chose que Jésus. Il faut dire merci à Dieu pour Jésus Christ. Pour ce don qu'il nous fait de son corps et de son sang, c'est-à-dire de sa vie. C'est lui qui a l'initiative, pas nous. On dit souvent d'une messe : " C'était une belle messe ", parce que les gens ont bien chanté, que l'organiste s'en est bien tiré, que les lecteurs ont bien lu, le prêtre bien parlé, les servants se sont bien tenus, il y avait beaucoup de monde...On croirait que tout dépend de nous. En fait, même rien de cela n'existe, l'Eucharistie est toujours réussie, parce qu'elle est don de Dieu aux hommes. Le prêtre déporté qui, en cachette, seul, consacre le pain et le vin, célèbre l'Eucharistie. C'est le don de Dieu. Nous avons simplement, d'abord, à accueillir le Don de Dieu, à le mettre dans nos vies, pour, ensuite, le restituer dans notre vie quotidienne. C'est-à-dire que si je mange le Corps du Christ, c'est pour lui ressembler. Pour faire miens sa pensée, sa vie, ses gestes d'accueil des autres, d'amour, de relation vraie avec les frères, d'écoute des petits, de lutte pour la justice. C'est tout cela, l'Eucharistie. Elle est là comme un moyen, au centre de la vie chrétienne, pour nous renvoyer aux autres en tant que Jésus Christ vivant aujourd'hui. " Deviens ce que tu reçois ", écrivait saint Augustin.

Célébrons donc de tout notre cœur, avec nos chants de joie, cette fête du Corps et du Sang du Christ. Mais la plus belle célébration, ce sera encore celle qui commencera une fois franchies les portes de cette église, quand nous aurons à témoigner de Jésus Christ vivant par nos actes et par toute notre vie, ce soir, demain, cette semaine, et tous les jours de notre vie.

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