Mourir d'aimer
Il fallait !
Fallait-il que le Christ meure pour nous ? Certaines expressions qu'on retrouve dans les textes bibliques, aussi bien de l'Ancien que du Nouveau Testament, nous le font penser : la mort du Christ était inévitable. Bien plus, elle entrait dans le dessein de Dieu. Il fallait que Jésus fasse la volonté du Père. Il devait monter à Jérusalem pour y souffrir et u mourir. Toutes les annonces de la passion disent la même chose. Jésus lui-même présente les événements de la passion comme la volonté du Père, comme un accomplissement des Ecritures. La mise à mort du Christ était donc inévitable, en référence aux prophéties. Relisez dans Isaïe la prophétie du "Serviteur souffrant". C'était écrit !
Inévitable !
Par ailleurs, en ne considérant que ce qui s'est passé pendant les années de la vie publique de Jésus, en nous rappelant les relations de plus en plus conflictuelles de Jésus et des autorités religieuses de son pays, on se dit que sa mort était presque inéluctable. Tout est contre Jésus. En ces groupes d'hommes religieux sont condensées la méchanceté, la bêtise, l'orgueil, la lâcheté, la cupidité de tous les hommes. Paul dira que "le péché abonde". Il atteint même sa perfection, car il se révèle pour ce qu'il est au fond : le total rejet de Dieu, sa mise hors de l'humanité. Et comme Dieu est la puissance qui fait être et fait vivre l'homme, le péché se révèle en même temps meurtrier de l'homme. On va tuer le Fils de Dieu, qui est le Fils de l'homme. Tuer l'un, c'est tuer l'autre.
Liberté.
Cette tentative de mise à mort réussit, mais seulement en apparence, car Jésus va transformer la nécessité de mourir en son contraire ; la liberté. En apparence, mais en apparence seulement, sa mort est une mort nécessaire, mais en réalité, c'est une mort choisie : "C'est pour cette heure que je suis venu", dit-il. "Ma vie, nul ne la prend, mais c'est moi qui la donne". On ne peut pas prendre à quelqu'un ce qu'il donne. Si nous relisons attentivement les évangiles, nous verrons qu'il y a toujours, de la part de Jésus, des choix libres et souverains. Depuis le récit de la triple tentation. A plus forte raison dans les récits de la Passion. Tout le monde "livre" Jésus à tout le monde : Judas le livre à ses ennemis, le grand-prêtre le livre à Pilate, Pilate le livre aux juifs. Trop tard : tout le monde a été pris de court, tout le monde arrive trop tard. Avant que qui que ce soit ne le livre, Jésus s'était déjà lui-même livré : "Ceci est mon corps livré pour vous" ! Le péché et la haine sont toujours précédés par l'amour qui donne la vie.
L'amour.
L'amour est l'acte libre le plus parfait qui soit. Par lui, l'homme dispose,pour la donner, de sa propre vie. C'est ce qui se passe avec le Christ. Finalement, dans la Passion, c'est l'amour qui est pleinement manifesté : tout ce que les hommes tentent contre Jésus n'a qu'un résultat : il aime davantage. "Là où le péché abonde, la grâce (l'amour gracieux) surabonde", dit saint Paul. Le péché réussit à mettre le Christ à mort, mais ce n'est pas le péché qui a gagné. Il aurait gagné ce combat s'il avait amené le Christ à haïr. Là, Dieu serait vraiment mort, car il serait devenu le contraire de ce qu'il est. L'amour serait devenu haine. En réalité, le péché n'a fait que donner la preuve éclatante que Dieu, dans le Christ, aime là où il n'y a plus aucune raison d'aimer. Quand on a des raisons d'aimer quelqu'un, ce n'est pas encore tout à fait de l'amour. Mais aimer sans raison ! Aimer, à perdre la raison !
La vraie raison.
Evitons donc de voir, à travers la passion du Christ, la volonté d'un Dieu cruel, qui chercherait à se venger sur quelqu'un du péché de l'homme. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Si je regarde lucidement notre monde, je me rends compte que le mal est l'oeuvre de l'homme. L'homme peut mourir de mort violente, peut subir l'injustice, peut être rejeté et méprisé. C'est cela, hélas, la condition humaine. Et c'est jusque là que Dieu va rejoindre l'homme. Il n'y a rien en l'homme que Dieu ne vienne assumer. Il le fallait pour que nous soyons sauvés jusqu'au bout de nous-mêmes, jusqu'en notre détresse la plus extrême.
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