Comme des gens qui attendent leur maître
Heureux veilleurs !
Jésus disait à ses disciples : " Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Vraiment je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. S'il revient vers minuit ou plus tard encore et qu'il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l'heure où le voleur doit venir, il ne laisserait pas forcer sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra. "
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 12, 32-48 DIX-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C) oOo Tournés vers l'avenir
Le propre de l'homme - et exclusivement de l'homme parmi toutes les espèces vivantes - c'est d'être tourné vers l'avenir. Il fait des projets. Pour lui, en effet, le présent ne peut pas prendre sens et valeur en dehors d'une perspective d'avenir. Aujourd'hui, Jésus, d'ailleurs relayé par le livre de la Sagesse et par l'Épître aux Hébreux, nous invite à être sans cesse tournés vers l'avenir, dans une attitude d'attente vigilante. Ce message est particulièrement important de nos jours, où tant de peurs pour l'avenir de la planète, et donc de l'humanité, sont paralysantes et réductrices, qui nous invitent, hélas, à vivre au jour le jour, sans grandes perspectives d'avenir.
Dans l'attente
Attente vigilante ? Mais pourquoi ? Le Christ nous le redit : sa première venue, il y a deux millénaires, n'a pas mis fin à l'attente. Il reviendra. Pourtant, par sa venue, il avait accompli les promesses faites aux hommes de la Bible. Avec cette première venue, quelque chose s'est terminé. La preuve, c'est que la Bible est close : les Juifs eux-mêmes n'y ont rien ajouté. Et pourtant, ce n'est pas fini. L'Écriture, la prédication chrétienne, et toute la liturgie, nous parlent du " retour du Christ ", d'une vie ultérieure.
" Le Seigneur reviendra ". Bon, d'accord. Mais quand ? Dans quelles circonstances ? A la fin du monde ? Cette perspective du " retour du Seigneur " dans un avenir sans doute très lointain n'a pas de quoi nous intéresser ni nous inquiéter. Pour s'y intéresser vraiment, il faudrait pouvoir se " mettre dans la peau " des chrétiens des premières générations. Certainement un peu frustrés par le départ du Christ, ils se rendent bien vite compte que rien n'est encore joué ; que le monde dans lequel ils vivent n'a pas été modifié par la venue du Christ ; ni par son message, ni par les événements qui ont marqué sa vie terrestre. Ils se disent qu'il doit bien y avoir autre chose. Mais quoi ? Un retour du Seigneur. A ce moment-là seulement se produira la transformation radicale annoncée et amorcée par l'Évangile.
Dormir, ou s'évader ?
Seulement voilà ! " Le maître tarde à venir ", et les disciples ont tendance à s'installer dans l'attente. Relisez maint passage des Évangiles, et particulièrement le chapitre 25 de saint Matthieu : vous verrez que Jésus met sans cesse en garde contre ce danger : s'endormir en attendant les événements, ou bien tuer le temps en mangeant et buvant, ou bien oublier que les textes évangéliques nous annoncent l'événement comme imminent. Bref, on ne prend pas la " fin " au sérieux. Autre attitude, inverse cette fois : on prend trop au sérieux l'annonce de ce retour du Christ : on attend tellement le " monde à venir " qu'on ne s'occupe plus du monde présent, de ses tâches nécessaires, de nos responsabilités pour ce temps présent. C'est vrai, encore de nos jours : on verra des croyants qui refusent de s'engager dans des luttes nécessaires à la survie de l'humanité ou à l'amélioration de la vie des hommes. Ils vont s'évader dans un mysticisme suspect. Ou encore, des nantis vont utiliser la religion pour maintenir les pauvres dans la résignation et l'asservissement. Comment éviter ces impasses ?
La vie des saints
J'aime lire et relire la vie des saints, comme le faisaient les générations qui nous ont précédées. Cette habitude s'est perdue, hélas. Par delà les histoires ingénues ou pleines de "merveilleux ", j'ai toujours remarqué que les grands saints ne se sont jamais évadés des tâches terrestres. Dans l'ensemble, ils ont été extrêmement actifs. Même ceux qui ont fui " le monde " pour vivre dans la pauvreté ou la solitude. Ils étaient là, comme des protestations vivantes contre la course à l'argent et contre les " divertissements ", comme dit Pascal : la futilité ou la débauche. Jésus insiste, auprès de chacun de nous aujourd'hui. Il nous explique que ce qu'il appelle " veiller " signifie " être trouvé à son travail ". Et il oppose ceux qui ont le souci de distribuer la nourriture à ceux qui passent leur temps à " battre serviteurs et servantes, boire, manger et s'enivrer ". Déserter les tâches humaines, c'est ne pas vivre dans l'attente, c'est vivre sa vie au quotidien, sans perspective d'avenir.
Anticiper
Car, pour le croyant, l'avenir, la fin, la perspective du retour du Christ, c'est ce qui inspire le présent et lui donne sens et valeur. Je sais bien que c'est contraire à la culture scientifique et technique qui est celle de nos contemporains : s'ils émettent une hypothèse, ils veulent pouvoir la vérifier ; et même vérifiée, l'hypothèse n'est pas considérée comme définitive ni de portée universelle. La foi, par contre, meurt si on veut la vérifier. Elle nous invite à anticiper. Elle est un saut dans l'inconnu. Je travaille aujourd'hui, je vis mon quotidien le plus ordinaire, mais je suis invité à me transporter en esprit à l'heure du retour du maître. C'est cet avenir qui détermine ce que j'ai à faire actuellement. Jésus m'invite à vivre comme si ce qui doit arriver était déjà là. C'est que la foi ne porte pas, comme les sciences, sur des objets : elle est la forme la plus parfaite de la relation entre des personnes. Elle se fonde sur une parole, qui est l'instrument normal de la relation entre personnes. Et une relation ne peut exister sans la confiance. Je fais confiance en une parole entendue et toute attitude confiante exclut un contrôle. Je crois " sur parole ".
Dans l'espérance
C'est donc la perspective chrétienne du retour du maître qui donne sens à toutes nos activités humaines. C'est la fin de la route qui donne son sens à la route. L'attente est un autre nom de l'espérance. Le " désespéré ", celui qui passe son temps à boire et à manger, n'attend plus rien de la vie. Là encore, on voit bien que c'est la défiance, le manque de foi en l'amour, qui est la source de tout le mal que nous faisons. En opposition, Jésus nous promet d'être ce maître qui se fait serviteur, nous fait asseoir à table, nous procure repos et forces nouvelles. Et comme pour ratifier cette promesse, nous allons, une fois de plus, nous asseoir à sa table. Il fait servir sa chair et son sang à l'alimentation et la croissance de notre vie nouvelle. Certes, nous ne savons " ni le jour ni l'heure " de son retour, mais nous avons à vivre notre quotidien dans la joyeuse certitude que Dieu vient. Dans la reconnaissance pour ce don qu'il nous fait, pour le don qu'il nous fera et que nous célébrons déjà " comme si c'était fait ".
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