Commence par t'asseoir

A toi de choisir !

 

De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : " Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite, ne peut pas être mon disciple.

Quel est celui d'entre vous, qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? Car, s'il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui : 'Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever !' Et quel est le roi qui part en guerre contre un autre roi, et qui ne commence pas par s'asseoir pour voir s'il peut, avec dix mille hommes, affronter l'autre qui vient l'attaquer avec vingt mille ? S'il ne le peut pas, il envoie, pendant que l'autre est encore loin, une délégation pour demander la paix. De même, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut pas être mon disciple. "

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 14, 25-33

VINGT-TROISIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)

oOo

L'enjeu ?

Il vaut mieux être assis, aujourd'hui, pour recevoir les paroles provocantes que Jésus nous adresse. Il vaut mieux être assis, pour évaluer ce que cela pourrait nous coûter de le suivre inconditionnellement. Il vaut mieux être assis pour envisager les risques de la guerre qu'il il nous invite à déclarer. Mais, d'abord, est-ce que nous sommes bien conscients de l'enjeu ?

"De grandes foules faisaient route avec Jésus". Sur la route de Jérusalem, si les grandes foules avaient su que Jésus allait à Jérusalem pour y mourir, chacun sans doute serait bien vite rentré chez soi. La plupart étaient dans l'inconscience de ce qui se tramait. Les gens voulaient bien le suivre tant que cela ne faisait pas mal. Quant à aller plus loin ! Ils suivaient, physiquement, si l'on peut dire, mais pas "en esprit". Il y avait même divorce entre ce qu'ils rêvaient et ce que Jésus savait. Ils rêvaient, certes, d'un monde nouveau, que le Christ allait inaugurer. Peut-être grâce à une révolution. Mais ils ne savaient pas les moyens que le Christ allait prendre pour inaugurer ce monde nouveau. Jésus, lui, savait ce qui l'attendait au bout de la route ; et il en savait les enjeux. Sa croix signifierait que l'amour exige de subir la violence plutôt que d'y répondre par une nouvelle violence. Que l'ultime vérité de l'homme est l'amour, et qu'il n'y a pas d'amour si l'on ne se donne pas totalement. Le "langage de la croix" est difficile à entendre.

A chacun de décider

Nous aussi, dans l'Église, nous suivons le Christ, mais peut-être pas en acceptant de le suivre "jusqu'à la croix". C'est pourquoi, sur la route de Jérusalem, Jésus s'arrête, se retourne vers la foule qui suit - vers nous aujourd'hui - pour nous enlever toutes nos illusions. Au fond, peut-être, nous ne tenons à lui que pour ce que nous pouvons en retirer, pour ce que nous y gagnons. Jésus nous met au pied du mur avec des paroles extrêmement dures. Là il faudra s'engager, choisir, lier notre destin au sien. Jésus aujourd'hui pose à chacun de nous une question essentielle : quelle est la qualité de votre adhésion à mon message ? Nous comprenons maintenant que cela vaut le coup de s'asseoir pour faire une évaluation.

Jésus ne s'impose pas. Relisons ce passage d'Évangile : " Si quelqu'un vient à moi.. celui qui veut être mon disciple…celui qui veut bâtir une tour…celui qui veut partir en guerre… " C'est à chacun de décider s'il veut, oui ou non, marcher avec le Christ. Avons-nous décidé ? Avons-nous mesuré les enjeux d'une telle décision ? Ne sommes-nous pas comme les foules qui suivaient sans avoir rien décidé : elles avaient simplement répondu à un attrait. Jésus reproche à ces gens - encore une fois, à nous, peut-être - d'être partis trop vite, "tout feu tout flamme" dans l'enthousiasme des commencements, mais sans s'être demandés si elles étaient capables d'aller jusqu'au bout.

Christianisme à deux vitesses ?

Depuis, des millions d'hommes se sont retrouvés chrétiens par habitude, par tradition familiale, par conformisme. Eux non plus ne se sont pas "assis". Mais, heureusement, nous vivons une époque où ce christianisme-là n'est plus guère possible. Même si nous sommes nés chrétiens, nous le savons bien, aujourd'hui, il faut choisir de l'être. C'est tant mieux. Encore faut-il bien voir où cela nous mène. Car la démarche de la foi est aujourd'hui une démarche de liberté personnelle, et même où notre liberté atteint son plus haut niveau, puisqu'il s'agit de donner sa vie (le texte dit : "préférer le Christ à notre propre vie").

Lisant ces paroles du Christ, nombre de commentateurs, au long des siècles, ont expliqué qu'elles ne s'adressaient pas à tous les chrétiens, mais seulement à ceux et celles qui avaient "tout quitté", père, mère, famille, biens matériels, pour suivre le Christ : entendez pas là les religieux et les religieuses. Ainsi, dans ma jeunesse, on admirait les missionnaires qui partaient annoncer l'évangile dans des terres lointaines ; quant à nous, les braves chrétiens "ordinaires", rien ne nous était demandé de ces sacrifices héroïques. On pouvait donc continuer une petite vie chrétienne bien tranquille. Or les textes ne parlent pas de christianisme à deux vitesses. Jésus s'adresse à toute la foule. C'est à tous, et à chacun de nous aujourd'hui, que Jésus déclare : si tu veux venir avec moi, il faudra que tu ailles jusqu'au bout de l'amour. Jusqu'à donner ta propre vie par amour.

Aujourd'hui encore

Choix difficiles, pour les premiers auditeurs de Jésus. Luc, en écrivant son évangile, s'adressait à des hommes, des femmes, des jeunes qui, lorsqu'ils devenaient croyants, se voyaient rejetés et même persécutés par leur milieu. On a vu cela il n'y a pas longtemps dans des familles agressivement anticléricales. A d'autres époques, et aujourd'hui encore dans certains pays, des chrétiens sont emprisonnés, torturés, mis à mort à cause de leur foi. Sans aller jusque là, vous savez bien que nous risquons d'être incompris, critiqués, moqués, parce que nous voulons vivre l'Évangile dans toute sa vérité : en pardonnant sans cesse, en rendant le bien pour le mal, en luttant pour la justice. Celui qui a découvert que sa vérité d'homme est dans le Christ, que sa vie ne vaut que par son adhésion à lui, est soumis alors à des choix crucifiants.

Nous voilà en plein cœur du combat spirituel pour lequel le Christ nous embauche. Pourquoi cette comparaison avec un "roi qui part en guerre" ? Parce que celui qui se libère pour le combat de l'Évangile est en réalité un roi, et que Dieu le traitera royalement ("Il recevra cent fois plus, dès maintenant", dit Jésus dans Marc 10, 30). Mais il doit savoir qu'il part en guerre contre "le prince de ce monde", qui risque de le bloquer par mille épreuves et ruses inattendues. S'il n'est pas complètement engagé, le disciple échouera et sa situation sera pire que s'il n'avait rien commencé.

Choisis la vie

Faire des choix, lucides, réfléchis, c'est à cela que le Christ nous invite. "Si tu veux", ajoute-t-il. Je suis libre. Il ne s'agit pas d'une forme de masochisme, qui consisterait à se complaire dans des renoncements. Simplement, faire des choix exige des coupures, des arrachements, mais c'est pour une plus grande qualité de vie. Tout homme digne de ce nom est ainsi appelé à faire des choix, dès qu'il devient adulte : choix d'un métier, d'une épouse ou d'un époux, d'un ou plusieurs enfants, etc. Si on reste indécis, rien n'avance, rien ne peut se créer. Dans ce cas présent, suivre le Christ exige de faire le choix d'un amour qui se manifeste dans tous les actes de la vie. En famille, pour dépasser les attitudes d'un amour possessif, d'un amour qui enferme l'autre, les autres. Dans toutes nos relations humaines, en se voulant serviteur, en donnant sa vie, jour après jour. Vous êtes assis ? Alors, prenez le temps d'évaluer les enjeux, de calculer les risques, de vérifier vos choix. "J'ai placé devant toi la vie et la mort…Choisis donc la vie, pour que tu vives". (Deutéronome 30, 19)

 retour au sommaire