Un homme riche faisait des festins somptueux

 La seule vraie richesse.

 

Jésus disait cette parabole : " Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies. Or le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui. Alors, il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt, pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. - Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est à ton tour de souffrir. De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.' Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture !' Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les prophètes : qu'ils les écoutent ! - Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.' Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' "

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 16, 19-31

VINGT-SIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)

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C'est un scandale !

" Des milliards d'hommes vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté (quelle expression !). C'est une injustice. Cela mène à la révolte, à la haine, ou tout au moins à un profond sentiment de frustration ". Ainsi s'exprimait, dimanche dernier, le prédicateur de la messe télévisée. Nous étions au lendemain de l'anniversaire des attentats du 11 septembre. Jésus, dans cette parabole, nous dit un peu la même chose. Il ne nous dit pas si le pauvre Lazare a éprouvé des sentiments de haine ou de révolte en face du riche. Il nous dit simplement que Lazare " aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche, mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères. "

Étonnante, et même scandaleuse à plus d'un titre, cette parabole du riche (Jésus ne dit jamais que c'est un mauvais riche) et de Lazare. Au fond, il n'a fait de mal à personne, le riche sans nom que la parabole condamne. Il s'habillait bien et faisait bonne chère. C'était son droit. Il était riche. Sans compter qu'il faisait marcher le commerce, avec ses dépenses. Cela avait des répercussions bénéfiques pour l'emploi. Pourquoi Jésus lui consacre-t-il donc une de ses paraboles les plus dures, la plus inquiétante peut-être ? Par contre, Jésus ne nous dit pas pourquoi Lazare était réduit à la misère. Peut-être, après tout, était-ce sa faute ! Cela ne change rien à l'affaire. Le pauvre est deux fois pauvre quand il en est là par manque de courage ou d'intelligence, ou de volonté. Ce n'est pas cela qui importe. Pour Jésus, c'est lui qui est le plus important.

Ce pauvre, en effet, est le seul personnage de toutes les paraboles de Jésus qui porte un nom propre : Lazare. Ceux que l'on considère comme les plus minables, les plus insignifiants sont tout de même quelqu'un. Dans les camps de concentration, les détenus perdaient leur nom et s'identifiaient par un numéro. Ici, retournement de situation, c'est le riche qui n'a pas de nom.

Histoire simpliste ?

Un peu simpliste quand même, cette histoire. On en trouve de semblables dans toutes les littératures de l'antiquité. Toujours deux tableaux. Premier tableau : sur cette terre, un homme riche et heureux. Il s'est créé son paradis sur terre. Et un pauvre malheureux, à qui personne ne vient en aide. Pour lui, la vie est un enfer. Deuxième tableau : renversement de situation. Le riche est en enfer, tandis que le pauvre connaît le bonheur éternel. Histoire simpliste et révoltante. Alors, si je suis heureux sur cette terre, si je profite simplement des fruits de mon travail ou de l'héritage de ceux qui ont vécu avant moi, je serai puni éternellement ? Là, je ne marche pas.

Essayons de comprendre. Le riche n'est pas jugé et condamné parce qu'il est riche, mais parce qu'il ne voit pas le pauvre à sa porte, parce qu'il l'ignore, parce qu'il est muré dans son bien-être égoïste. Ce qui est condamné, c'est l'indifférence. Lazare parmi les chiens, " couché devant le portail ", c'est-à-dire exclu de la fête, le riche dans la maison, à la table du festin : deux mondes qui ne se rencontrent pas, séparés par le " grand abîme " que seul le riche pourrait franchir pour restaurer la fraternité des enfants d'Abraham. Mais voilà ! Il ne l'a pas franchi sur la terre, il ne pourra jamais le franchir. Ce grand abîme, c'est lui, le riche, qui l'a créé. Tout ce qu'il possède, il l'a reçu (ou gagné), mais il le retient pour lui uniquement. " Chacun pour soi ", n'est-ce pas ! Un pauvre à sa porte, oui, et alors ?

Lazare, image de Dieu.

Oui, mais voilà que, pour le Christ, ce pauvre n'est pas un anonyme. C'est Lazare. Ce mendiant à la porte, c'est l'image de Dieu. Qui méprise un homme les méprise tous et méprise Dieu. " C'est à moi que vous l'avez fait…C'est à moi que nous ne l'avez pas fait ", nous dira Jésus au jour du Jugement. Certes, nous sommes très ingénieux pour trouver des alibis à notre inertie. Devant la misère du monde, on se déclare bien vite impuissants. Et pendant ce temps-là, on voit à la télé, on entend à la radio des hommes, des femmes, membres d'ONG, qui pleurent parce qu'ils ne peuvent plus faire tout ce qu'ils avaient commencé de faire pour les malheureux habitants du Darfour menacés de famine.

Faut-il préciser que cette parabole, comme d'ailleurs le texte d'Amos que nous lisons aujourd'hui, nous révèle un drame que nous vivons aujourd'hui. Elle ne nous parle pas d'exploitation, de cruauté, de déni de justice, mais simplement d'ignorance volontaire. Oui, volontaire, car qui d'entre nous ne regarde pas chaque jour sa télé, n'écoute pas sa radio ? A l'abri dans notre confort, même relatif, nous laissons les pauvres avoir faim à nos portes, les pays pauvres avoir faim à la porte de nos pays développés. Comme si ce n'était pas notre affaire ! Ne dites pas " Je ne savais pas ". Vous auriez dû savoir, nous dit Jésus.

Ce n'est pas facultatif.

C'est précisément ce que les spécialistes appellent la " pointe " de la parabole. Même si ce n'est pas toujours facile d'aller au secours des personnes en détresse, Jésus nous rappelle que " Moïse et les Prophètes ", c'est-à-dire l'Écriture, sont là pour nous faire comprendre que ce n'est pas facultatif, que notre valeur humaine est en jeu, que nous ne pouvons être fils de Dieu autrement. Lui, le Fils par excellence, nous montre le chemin : " De riche qu'il était, il s'est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir de sa pauvreté " déclare saint Paul dans sa deuxième lettre aux Corinthiens (8, 9). Le riche de notre parabole a manqué le Christ parce qu'il a manqué le pauvre. Les " bénis du Père " de Matthieu 25 ont, sans le savoir, rencontré le Christ en rencontrant les pauvres. Avertis, nous le sommes, mais, dit Jésus " quelqu'un pourra bien ressusciter des morts, ils ne seront pas convaincus ". La parole du Christ ressuscité a-t-elle vraiment pénétré en nous ? Attention ! nous risquons de rater la seule vraie richesse : la richesse en humanité qui s'avère être aussi richesse en divinité.

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