Un seul revint sur ses pas
Dix sont guéris. Un seul est sauvé !
Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance et lui crièrent : " Jésus, maître, prends pitié de nous. " En les voyant, Jésus leur dit : " Allez vous montrer aux prêtres. "
En cours de route, ils furent purifiés. L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c'était un Samaritain. Alors Jésus demanda : " Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n'y a que cet étranger ! " Jésus lui dit : " Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. "
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17, 11-19 VINGT-HUITIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C) oOo Une géographie.
Jérusalem, Samarie, Galilée : les indications géographiques données par ce passage d'Évangile ont leur importance. Depuis quelques semaines, Jésus et le groupe des disciples qui l'accompagnent sont en marche vers Jérusalem, vers la fin terrestre de l'aventure. Ici même commence la troisième étape de cette longue marche. Jésus traverse la Samarie et la Galilée, sans doute pour gagner Jéricho en descendant la vallée du Jourdain. Les premiers lecteurs de Luc savaient bien que ces deux régions sont peuplées par des populations méprisées, des moitié de " bâtards ". La Galilée, c'est la " Galilée des nations " dont parle le prophète : une population métissée, terre de passage ; et la Samarie est peuplée de tribus schismatiques, objet d'une haine farouche de la part des seuls Juifs de race pure, les Juifs de Judée.
Les marginalisés.
Et dans cet univers d'exclus, Jésus rencontre le groupe pitoyable des dix lépreux, exclus parmi les exclus. Car il y a des degrés dans l'exclusion sociale. Dans l'antiquité comme aujourd'hui. Dans l'antiquité, au degré le plus bas, il y a les lépreux. Si tous les habitants de la Samarie et de la Galilée sont méprisés, à des degrés divers, par contre, les lépreux sont particulièrement rejetés, mis à l'écart, à cause de leur maladie contagieuse et, dans la mentalité de l'époque, parce qu'ils sont considérés comme des pécheurs. Les dispositions légales prises à leur encontre sont particulièrement sévères : interdiction de se trouver dans des lieux fréquentés par les gens " sains ", obligation de rester éloignés de qui que ce soit. C'est pourquoi ils crient, de loin, vers Jésus. Donc, pour les gens comme pour toute la société, qui a pris des mesures de protection à leur encontre, ce sont des marginalisés, des êtres méprisables. Pour Jésus, par contre, ce sont, simplement, des malheureux. Des gens dont il a spontanément pitié. Et le geste qu'il va faire en leur faveur signifie avant tout une volonté de les réintégrer dans la collectivité. Ils étaient exclus : les voilà qui vont pouvoir, tout simplement, retrouver leur femme, leurs gosses, leur environnement familial et social.
En marche
Un geste de Jésus ? Même pas. Une parole. Une parole apparemment assez désinvolte, comme si le problème ne le concernait pas : " Allez vous montrer aux prêtres ". En réalité une parole qui vous recrée, vous relance, vous remet en marche. Effectivement, les dix malheureux se remettent en marche. Sur cette simple parole, désinvolte en apparence. Cette parole a suffi pour que les dix lépreux n'en restent pas à leur résignation, à leur fatalisme. Première démarche de foi. Croire, c'est d'abord rejeter toute résignation, toute attitude de découragement. Sur une parole entendue, on se remet en route. En faisant simplement confiance en cette parole entendue de loin. Extraordinaire marque de confiance, de la part de ces gens. Si seulement j'en étais déjà là. Jésus avait dit : " Quand vous demandez quelque chose, croyez que vous l'avez déjà reçu… " Pour moi, hélas, un " tiens " vaut mieux que deux " tu l'auras ". N'allons donc pas jeter trop vite la pierre à ces malheureux ! Ils se sont mis en route, pour aller faire constater leur (future) guérison par les prêtres, selon les dispositions de la loi juive. Leur foi est réelle : ils ont fait confiance en une parole.
Au sommet de la foi.
Mais le Samaritain ? Au fond, pourquoi aurait-il continué la route avec ses neuf camarades ? Il n'était pas juif, lui. Il avait une autre religion. Les prêtres juifs, pour lui, ce n'étaient pas les bons. Il n'avait rien à faire avec eux. D'ailleurs, comment l'auraient-ils reçu ? En chemin, nous dit l'Évangile, il constate qu'il est guéri. Que faire ? Simplement, rebrousser chemin et revenir vers ce " maître " qu'il tient pour l'auteur de sa propre guérison. Et ce faisant, il va poursuivre jusqu'à sa perfection la plus grande le chemin de la foi. Avec ses camarades, il avait cheminé, faisant confiance en un ordre entendu : " Allez vous montrer aux prêtres ". Mais, une fois ce chemin parcouru, il va revenir vers l'auteur de sa guérison. Il ne suffit plus, pour lui, de se soumettre aux obligations de la loi juive telle qu'elle est édictée dans le livre du Lévitique. Il lui faut " rendre grâce ". Et là, nous atteignons le sommet de la foi chrétienne.
Rendre grâce
Examinons l'expression : " Rendre grâce ", pour nous aujourd'hui, hélas, trop banalisée. Il s'agit, littéralement, de rendre le bienfait, le don gracieux, les grâces dont nous avons été les bénéficiaires, à l'auteur du bienfait. J'ai reçu gratuitement de quelqu'un un cadeau, sans aucun mérite de ma part. Je ne vais pas m'approprier ce cadeau sans reconnaître l'auteur du cadeau, sans lui manifester ma reconnaissance. Rendre grâce, c'est bien plus que dire poliment merci. C'est retourner le bienfait, ne pas me l'approprier égoïstement. Retour du don à la source. Le lépreux samaritain revient vers Jésus. Il rend gloire à Dieu, et il rend grâces à Jésus.
La démarche du lépreux, c'est la démarche même de l'Eucharistie. Nous recevons le don de Dieu : la création tout entière. Ce don, nous le rendons à Dieu, nous-mêmes compris, car nous sommes aussi, personnellement, don de Dieu. Mouvement de retour vers la source. Mais ce mouvement ne ferme pas le cycle. Ce que nous rendons à Dieu, il nous le redonne encore une fois, transformé en sa propre vie. Le pain et le vin deviennent vie même de Dieu. Échange continu, qui renaît sans cesse de lui-même : ce qui est donné, rendu, redonné sert à établir la communion entre Dieu qui donne et l'homme qui reçoit. Le dixième lépreux ne s'est pas emparé jalousement du don reçu, la santé, en laissant de côté la source du don, Jésus. Il a effectué le retour, il est revenu, et la personne de Jésus est devenue pour lui plus importante que le don reçu. Aussi, il entend les mots de la Pâque, de la résurrection : " relève-toi " et " va ". Les autres sont guéris. Lui, le samaritain, est sauvé : sa foi ne l'a pas seulement amené à la santé, mais à Dieu.