Je viens
demeurer chez toi
Jésus traversait la ville de Jéricho. Or il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs des impôts romains, et c'était quelqu'un de riche. Il cherchait à voir Jésus, mais il n'y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l'interpella : " Zachée, descends vite : aujourd'hui il faut que j'aille demeurer chez toi. " Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : " Il est allé loger chez un pécheur. " Mais Zachée dit au Seigneur : " Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus. " Alors Jésus dit à son sujet : " Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. "
Le plus important !
Dernière étape de la longue marche : avant l'entrée à Jérusalem, où Jésus sera accueilli et acclamé comme le Messie, comme " fils de David ", il y a Jéricho. Une dernière fois, Jésus va faire un signe pour bien manifester à tous le sens de sa mission : il est " venu chercher et sauver ce qui était perdu ". Rien d'autre, mais n'est-ce pas le plus important ?
Ce qui était perdu : en l'occurrence Zachée, un publicain. Et même un super-publicain, un chef des publicains de la région, et par surcroît un riche. Il a tout pour être vomi par la population, il a tout pour attirer la haine et le mépris des bien-pensants. Il est, comme on dit aujourd'hui, marginalisé. Les gens devaient se faire un malin plaisir de lui faire sentir physiquement son exclusion, en formant un véritable mur pour empêcher le petit homme d'accéder à Jésus et d'entrevoir ainsi un salut possible. Pour eux, ce super-voleur de Zachée, ce " collabo ", cet ennemi public n'avait rien à faire là. Sa place était ailleurs, avec tous les exclus que rejetait la bonne société de Jéricho.
Jésus, au milieu de la foule, ne voit que lui. Lui seul, Zachée, a exprimé en courant et en grimpant, son désir et son manque. " Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion ". C'est pour lui, Zachée, et pour lui seul, que Jésus est venu ce jour-là à Jéricho : il n'y a que lui qui compte. Toutes affaires cessantes, il vient chercher et sauver un pauvre homme. " Descends vite ". Pas de temps à perdre.
C'est un scandale !
Scandale des bien-pensants. Jésus, le prophète, celui que, le lendemain, la foule de Jérusalem acclamera sous le titre de roi (remettez le texte dans son contexte), Jésus franchit la barrière et se fait proche, intime même, de celui qui était rejeté. C'est un scandale ? Pour moi, le vrai scandale, c'est que ces gens, nourris depuis leur enfance de la Bible, de la Parole de Dieu, n'en aient retenu que ce qu'ils voulaient, ce qui les arrangeait. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Ils avaient pourtant souvent récité le psaume 144 : " La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres…Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour " Ils avaient entendu Ézéchiel proclamer que " Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se détourne de sa conduite et qu'il vive ". Ils avaient lu, dans le livre de la Sagesse : " Tu as pitié de tous les hommes. Tu fermes les yeux sur leurs péchés pour qu'ils se convertissent ". Non. Rien n'y faisait : pour chacun d'eux, un pécheur est un pécheur, un publicain est un voleur, un point c'est tout. On ne fréquente pas de telles personnes.
Zachée est dégelé.
Et Zachée ? Pour la première fois, quelqu'un de " bien " fait attention à lui, s'approche de lui, le fréquente, se compromet à sa table. Jugez de sa joie ! Zachée en est tout retourné ! C'est cela, la conversion. En butte à la dureté des gens de sa cité, Zachée s'était de plus en plus durci. Mais quand il expérimente la tendresse de Dieu manifestée en Jésus Christ, le voilà qui se dégèle. Retournement intérieur. Et changement de statut social. Zachée va être réinséré. Le pécheur redevient un fils d'Abraham, il est réintégré dans la " communauté " des enfants d'Abraham, comme membre à part entière du Peuple de Dieu. Jésus ne lui demande pas de changer de métier : il ne lui demande même rien. C'est Zachée qui, spontanément, indique comment, en continuant à faire son métier, il va changer radicalement d'attitude : en remboursant, en partageant, en s'ouvrant aux autres. Oui, il est " dégelé ".Il est vraiment " fils d'Abraham " : comme le patriarche, il se met en route, simplement sur un appel intérieur qu'il vient de recevoir ; comme Abraham, il va cheminer sur les chemins de l'espérance, risquant chaque jour sa vie en faisant confiance à la promesse entendue. Il était bloqué : le voilà remis en état de marche.
Aujourd'hui !
Aujourd'hui (deux fois dans notre texte), saurons-nous écouter la parole qui nous remet en route ? Il y a, pour chacun de nous, quantité d'appels de Dieu dans nos vies. Il s'agit d'y répondre avec confiance. " Je suis comme je suis et n'y puis rien changer ", c'est le contraire de l'attitude chrétienne. Il faut être vrai dans notre relation à Dieu et dans notre relation aux autres. Pour cela, nous avons sans cesse à nous convertir. A convertir, en priorité, notre regard. Notre regard sur Dieu. Il me court après : me laisserai-je atteindre ? Et notre regard sur les autres (parents, voisins, proches ou lointains). Est-ce que nous les regardons avec des idées toutes faites, bien ancrées, dont nous ne démordrons pas , avec les étiquettes qu'une fois pour toutes nos avons mises sur chacun, ou au contraire avec le regard de Jésus, un regard d'amour, parce que, pour Dieu, chacun de nous est unique, et chacun a une infinie dignité ? En d'autres termes, sommes-nous, pour les autres, portiers ou murs infranchissables ?