Tu es mon Fils

 

Le peuple venu auprès de Jean Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n'était pas le Messie. Jean s'adressa alors à tous : " Moi, je vous baptise avec de l'eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. "

Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s'ouvrit. L'Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. Du ciel, une voix se fit entendre : " C'est toi mon Fils : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. "

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 3, 15...22

LE BAPTEME DU SEIGNEUR (C)

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Une triple manifestation.

Au début du mois de janvier, l'Eglise célèbre une triple manifestation (c'est le sens du mot " Epiphanie "). Le premier dimanche, la manifestation de Dieu aux païens, en la personne des Mages ; aujourd'hui, en cette fête du baptême de Jésus, c'est la manifestation de Dieu à son Fils : il lui révèle qu'il est fils de Dieu ; et dimanche prochain, une troisième manifestation : sous le signe des noces de Cana, l'inauguration de la nouvelle alliance de Dieu avec l'humanité.

Aujourd'hui, nous regardons ce signe de Dieu qui dit à Jésus : " Tu es mon Fils, mon bien-aimé ". C'est une parole inaugurale, une parole qui fonde l'existence même de Jésus au moment où il arrive à l'âge adulte (il a trente ans). C'est ce jour-là, au jour de son baptême par Jean, qu'il prend totalement conscience de son appartenance à son Père et de l'importance de sa mission de Fils. C'est important, vous le devinez aisément, non seulement pour le destin de Jésus lui-même, mais également pour nous tous qui avons été baptisés et à qui Dieu a dit, comme à Jésus : " Tu es mon enfant, mon bien-aimé ; je mets en toi tout mon amour. "

Regardons cela d'un peu près.

Reconnaître son père.

C'est facile, le jour où l'on devient père, d'aller déclarer son fils à l'état-civil. On le fait même pour vous, aujourd'hui. C'est facile, et même agréable, d'annoncer à tous ses amis : " Voici mon fils. " Mais autre chose est de déclarer : " Celui-ci est mon fils ", autre chose aussi est d'être reconnu, accepté, accueilli comme père par son fils. Si nous regardons l'histoire de nos relations avec nos parents, nous, les adultes, nous savons bien qu'elles sont passées par des phases successives. Au début, on considère son père comme le Bon Dieu : " D'abord, mon papa l'a dit ", proclame-t-on avec fierté. Puis il y a une distanciation qui s'opère entre parents et enfants. Des conflits surgissent, parfois des ruptures. Heureux celui qui, arrivé à l'âge adulte, peut dire de son père : " C'est mon père, je l'aime, je le reconnais comme mon père ", et y puiser force, fierté, assurance dans la vie. Nous sommes tous passés par une longue période de notre existence (en gros, l'adolescence et la jeunesse) où le père, les parents ne comptaient pas beaucoup.

C'est encore plus flagrant à notre époque, où les sociologues parlent de " l'absence du père ". Absence physique : les conditions de vie, de travail y sont pour beaucoup ; il y a également de plus en plus de familles " monoparentales ". Plus fréquente encore que l'absence physique, ce qu'on pourrait qualifier d'" absence psychologique " : les enfants ont leurs sources d'information, de formation, de culture ailleurs que dans la famille : la télévision, les copains, tant de choses qui font que les parents, non seulement ne sont plus la première source qui permet aux enfants de devenir adultes, mais encore éprouvent de plus en plus de difficultés à entrer en communication avec les jeunes.

Jésus en prière.

Or, dans l'Evangile d'aujourd'hui, on nous dit que Jésus, étant en prière, c'est-à-dire en train de " communiquer " avec Dieu, entend la voix divine qui lui répond : " Tu es mon Fils bien-aimé ". Grâce à l'action de l'Esprit, Jésus peut s'ouvrir totalement à cette parole fondatrice. Il peut accueillir cette parole dans toute sa vérité. Il n'a pas dit : c'est une image, c'est un symbole. Non ! Il a accueilli cette parole comme vraie. Et à partir de ce moment-là, il va se comporter pleinement en fils de Dieu. Non seulement il s'adressera désormais à Dieu en empruntant le petit mot de l'amour, qui a des racines communes dans de nombreuses langues : " Abba ", c'est-à-dire " papa ", mais il va charger ce mot de tout un sentiment d'affection profonde et d'obéissance vis-à-vis de son Père. Et cette parole entendue, accueillie, va lui permettre d'exister, de tenir debout. Non seulement d'être " bien dans sa peau " de Fils de Dieu, mais d'y puiser la force nécessaire pour les choix difficiles et la confiance pour l'avenir.

Et nous aujourd'hui ? Prenons-nous conscience, d'une façon radicale, que nous sommes fils de Dieu ? N'avons-nous pas l'habitude de dévaluer la parole que Dieu adresse à chaque baptisé : " Tu es mon fils, mon bien-aimé ", en disant : c'est une image, un symbole, mais nous ne sommes pas vraiment fils de Dieu. Est-ce que nous prenons cette parole au sérieux ? Est-ce que nous vivons, forts dans l'existence, parce qu'il y a cette parole fondatrice de notre identité chrétienne ? C'est cela, être chrétien. Ce n'est pas autre chose. Tout le reste, c'est " du baratin ".

Fierté chrétienne.

Je parle de fierté chrétienne. Il ne s'agit pas d'un certain orgueil, qu'ont manifesté les chrétiens, à certaines époques, avec pitié et parfois mépris pour ceux qui ne partageaient pas leur foi. Aujourd'hui, c'est le contraire. On éprouve des complexes parce qu'on est chrétien : on valorise exagérément les valeurs des autres, et on aurait tendance à déprécier les nôtres. A la limite, on n'ose pas se dire chrétien, de peur d'être moqué, ridiculisé. Il est temps de retrouver la fierté de notre appartenance à la famille de Dieu. Cela motivera des gestes et des comportements d'hommes debout. Pour les jeunes, c'est tout un apprentissage qui est à faire. Qu'ils ne s'étonnent pas de ne pas y parvenir immédiatement : c'est à trente ans que Jésus a eu pleinement la conviction d'être Fils de Dieu. Jusqu'à l'âge adulte, on apprend à vivre avec le sentiment de sa dignité. Un jour viendra - et j'espère qu'il est déjà arrivé pour beaucoup d'adultes - où cette parole accueillie, digérée : " Tu es mon fils bien-aimé " deviendra le moteur de toute l'existence. Nous serons alors capables de vivre les actes de Dieu dans notre vie quotidienne, et d'entretenir des rapports fraternels avec tous les baptisés. Nous serons de ceux qui cherchent à vivre les solidarités humaines, partageant les espoirs, les craintes, les désirs des hommes d'aujourd'hui. Nous serons les hommes de la fidélité, les hommes du partage, les hommes du pardon.

Alors, grâce à tous ses fils, " la gracieuse bonté de Dieu " apparaîtra sur notre terre et, selon l'expression de Pierre, comme Jésus, " nous passerons parmi les hommes en faisant le bien ".

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