Gardez vos lampes allumées.

    DIX-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 12, 32-48 

Jésus disait à ses disciples : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Vraiment je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. S’il revient vers minuit ou plus tard encore et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l’heure où le voleur doit venir, il ne laisserait pas forcer sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

oOo

Quel avenir ?

« 88 millions. C'est, dans le monde, le nombre de chômeurs âgés de 15 à 24 ans. Soit 47 % des chômeurs dans le monde, selon le dernier rapport du BIT. Les jeunes ne comptent que pour 25 % de la population active. »

Telle est la dépêche, reprise par tous les médias, qui tombait l'autre matin  et qui m'a fait sursauter. Ainsi, près de la moitié des chômeurs dans le monde a moins de 24 ans. Triste monde que le nôtre, dans lequel, au moment d’entrer dans la vie active, des millions de jeunes n’ont aucune perspective d’avenir ! C’est pourquoi, une fois de plus, je me demande quelle bonne nouvelle nous pouvons leur apporter de la part de Jésus Christ !

Il est certain que pour une grande partie de nos contemporains, il est difficile de penser l’avenir avec confiance, tant sont grandes les peurs qui sont les nôtres, en ce début de troisième millénaire. Je ne vais pas les énumérer, mais il suffit d’ouvrir un journal, d’écouter les informations à la radio ou à la télé, pour éprouver les craintes les plus raisonnables, que ce soit pour notre environnement ou pour la situation politique mondiale ; qu’on raisonne en matière économique ou en réfléchissant sur les faits de société. Tableau noir, en face duquel on risque, ou bien de se lamenter en pure perte, ou bien de se boucher les yeux et de continuer à vivoter comme si de rien n’était.

Il est notre avenir

Or c’est à nous, « petit troupeau » d’aujourd’hui, que Jésus recommande de « rester en tenue de travail », de « garder nos lampes allumées » et d’être « comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces ».Que veut-il donc nous dire de si important ? Essentiellement, il veut nous apprendre à nous comporter en vrais croyants. C’est-à-dire à vivre notre « aujourd’hui » comme des gens qui attendent tout de l’avenir. Confiance : l’avenir ne doit pas nous faire peur. Il a un visage, il est une personne. Nous le chantons : « Le Seigneur reviendra ». Il y aura donc une rencontre vers laquelle nous marchons, jour après jour, sans peur et sans faiblir.

Le thème revient souvent dans les évangiles : celui de l’absence du maître. Dieu est-il absent ? Je relis le premier chapitre de la Bible, un beau poème qui nous raconte qu’après avoir tout créé, et l’homme en dernier lieu, Dieu se reposa. Je traduis toujours : « Dieu se reposa sur l’homme du soin de gérer et d’aménager la création. » Il lui dit expressément dans le poème : « Croissez et multipliez-vous. Dominez la terre et soumettez-la. » Et c’est vrai : jamais Dieu n’intervient dans les événements de nos vies. Il n’est même pas intervenu quand nous avons crucifié son Fils (ce qui se reproduit chaque fois que, d’une manière ou d’une autre, nous « crucifions » nos frères.) Il n’intervient jamais, ce qui ne veut pas dire qu’il est absent. Je crois au contraire qu’il est incroyablement présent à notre monde, comme à chacune de nos vies. A chacun de nous il répète le mot qu’il disait à Abraham : « Marche en ma présence ».Mais comment marcher en sa présence ?

Passé, présent, avenir

D’abord en nous rappelant qu’à chaque instant meurt notre passé et s’ouvre un avenir, prévisible ou imprévisible. Il s’agit donc de ne pas regarder en arrière – comme tous ceux qui regrettent le « bon vieux temps » - mais également de ne pas nous croiser les bras dans une attente stérile, comme ces écoliers qui peinent sur leur devoir et s’évadent dans le rêve : « quand je serai grand... » Leçon de réalisme : il s’agit de « rester en tenue de service » dans le quotidien souvent fastidieux de nos existences. Mais en même temps, de donner sens et valeur à ce quotidien dans la perspective du long terme : l’aujourd’hui se vit en fonction du futur. Par exemple : je décide de partir en vacances en Espagne. Il va falloir faire quantité de démarches, depuis les renseignements à obtenir, les itinéraires à calculer, les objets indispensables à acheter, bref, tout un tas d’activités nécessaires aujourd’hui pour pouvoir partir demain. C’est donc le futur qui conditionne mon présent.

Il en est de même de toute mon existence et de toutes mes activités. Pour un croyant, tout ce que je fais, tout ce que j’entreprends, tout ce que je vis est conditionné par le but ultime : la rencontre finale. Un « rendez-vous d’amour », selon la belle expression de sainte Thérèse d’Avila sur son lit de mort : « Il est temps de nous voir, mon Aimé, mon Seigneur. Partons, c’est l’heure. »

Le Dieu de la promesse

Etre prêt ! Cela, nous pouvons l’apprendre de nos ancêtres dans la foi, le peuple d’Israël. Alors que tous les peuples de l’antiquité adoraient des dieux présents à leur quotidien sous la forme d’idoles, Israël n’a pas d’idoles à adorer. Son Dieu est le Dieu de la promesse. Le peuple vit une histoire, une histoire qu’il regarde comme sacrée, non pas comme si Dieu intervenait directement dans cette histoire, mais plutôt comme l’attente d’un accomplissement. Israël vivait toujours dans le présent, mais ce qu’il vivait recevait son sens de ce qui lui était promis pour l’avenir, et son espérance pour l’avenir était fondée sur l’amour que Dieu lui avait manifesté dans le passé.

Une belle illustration de cette mentalité particulière nous est donnée aujourd’hui dans l’extrait du livre de la Sagesse que nous lisions tout à l’heure. C’est une réflexion sur l’attitude des Hébreux au moment de l’Exode. Il y a eu une promesse de libération : ce peuple opprimé par les Egyptiens espère sa libération de l’esclavage. Et voilà qu’avant même que cette libération ne se produise, les Hébreux célèbrent l’événement en mangeant l’agneau pascal. « La foi est une manière de posséder déjà ce qu’on espère et de connaître les réalités qu’on ne voit pas », nous explique la Lettre aux Hébreux. Et de nous présenter comme modèle de tous les croyants le patriarche Abraham qui, sur la foi d’une Parole entendue un jour (« Quitte ton pays et va dans le pays que je te montrerai »), se met en route pour une longue marche. Se succèdent jours de joie et jours de peine, doutes et incertitudes. Comme dans toute vie humaine. Notre ancêtre dans la foi continuera à « marcher en la présence » du Dieu qui lui a parlé, se fiant à la Parole entendue un jour : « Je donnerai ce pays à ta descendance » et « ta descendance sera aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable de la mer ».

Construire l'avenir

Notre évangile d’aujourd’hui fait, de même, une allusion discrète à la grande nuit de la Résurrection du Christ. Pas plus que la première nuit de l’Exode, elle n’est la fin d’un processus historique. La Résurrection n’est la fin de rien. Elle est, comme l’Exode d’Egypte, un événement qui ouvre sur l’avenir. Un événement qui confirme la promesse de Dieu. Le sens ultime de notre existence ne se trouve pas dans des événements passés. Pas même dans le fait de la Résurrection du Christ, il y a deux mille ans. Ce sens ultime se trouve dans la résurrection de toute l’humanité, dans la libération totale de touts les êtres humains de l’esclavage du péché, de l’oppression de la guerre. C’est pourquoi Jésus nous appelle à demeurer vigilants, à être prêts, à ne pas demeurer passifs. Il nous invite à être attentifs et à travailler personnellement et lucidement à la réalisation de la promesse.

Il ne faut pas entrer dans l’histoire à reculons en regardant en arrière. Malgré tous les aléas de l’histoire, même si on regarde lucidement tout le mal qui règne dans notre monde, nous sommes invités à construire un avenir qui rendra plus proche la libération finale et totale. Nous ne savons pas ce que sera l’avenir de notre société, de nos Eglises, de nos communautés. Mais dans la Foi, nous croyons qu’il y a un avenir. Nous savons que cet avenir est dans les mains de Dieu et que nous avons à y coopérer. Et si nous croyons cela, c’est parce que nous savons ce que Dieu a été pour nous dans le passé. Certes, nous sommes souvent comme les disciples d’Emmaüs : sur notre route humaine, nous pouvons énumérer ceux de nos espoirs qui ne se sont pas réalisés. Beaucoup de nos attentes ne se sont pas réalisées. Mais, « marchant en sa présence », nous savons que l’Etranger qui chemine à nos côtés nous assure qu’il est vraiment ressuscité et que, tôt ou tard, avec notre participation, la résurrection finale de toute l’humanité aura lieu.

C’est dans cette foi que nous pouvons continuer notre célébration de l’Eucharistie.

Retour au sommaire