Il n’en restera pas pierre sur pierre
TRENTE-TROISIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 21, 5-19
Certains disciples de Jésus parlaient du Temple, admirant la beauté des pierres et les dons des fidèles. Jésus leur dit : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe que cela va se réaliser ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront en mon nom et diront : ‘C’est moi’, ou encore : ‘Le moment est arrivé’. Ne les suivez pas ! Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne vous effrayez pas : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin. » Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre, et çà et là des épidémies de peste et des famines ; des faits terrifiants surviendront, et de grands signes dans le ciel.
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. Cela vous donnera l’occasion de porter témoignage. Mettez-vous dans la tête que vous n’avez pas à préparer votre défense. Moi-même je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront condamner à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. »
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Rectificatif
Nous sommes une bonne vingtaine d’années après la mort et la résurrection de Jésus. Le christianisme commence à se répandre tout autour du bassin de la Méditerranée. Des communautés chrétiennes existent déjà dans toutes les villes principales. C’est dans les années 50 que Paul écrit pour la deuxième fois aux chrétiens de la communauté qu’il a fondée à Thessalonique. Et l’extrait de cette deuxième lettre que nous lisons aujourd’hui est important. Paul, en effet, tient à « rectifier le tir ». Dans sa première lettre, il rappelait son enseignement oral : le « Jour du Seigneur » est proche. Il faut s’y préparer. Beaucoup seront encore vivants quand le Seigneur reviendra. Quant à ceux qui craignent d’être déjà morts ce jour-là, qu’ils se rassurent, leur dit-il. Ils seront les premiers à ressusciter. Nous avons donc là un enseignement basé sur toute une perspective « apocalyptique » : les premières générations chrétiennes – et Paul comme les autres – a cru à un retour imminent du Seigneur et donc à la fin des temps. Et puis voilà : les jours, les mois, les années passent, et rien ne se produit. Or certains chrétiens ne font plus rien, dans l’attente du « Jour du Seigneur ». Paul, entre temps, a modifié sa manière de penser : dans sa deuxième lettre, il engage vivement les fidèles à ne pas délaisser leurs tâches quotidiennes : on ne sait pas le moment où le Seigneur reviendra. En attendant, il faut être actif. Il critique donc tous ceux qui « vivent dans l’oisiveté, affairés sans rien faire » (oh ! la belle expression pleine d’ironie) et il édicte cette loi catégorique : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »
Apocalyptique
Cette perspective apocalyptique qui fut celle de la première génération chrétienne, nous la retrouvons dans quantité de textes du Nouveau Testament, à commencer par les évangiles. Jésus a employé cette forme littéraire, qui était courante à son époque. Il nous faut essayer de bien comprendre à quoi elle sert. L’apocalypse, ce n’est pas la description d’événements « apocalyptiques » au sens où l’on entend ce terme aujourd’hui. Ce n’est pas non plus une série de prédictions sur un futur qui reste malgré tout inconnu. Les apocalypses décrivent en style symbolique les événements qui remplissent le temps entre le commencement et la fin. Elles insistent sur l’aspect rupture, conflit, destruction, mais elles affirment qu’à travers tout cela, les hommes s’acheminent vers le « jour de Dieu » qui est un jour de salut.
Nous trouvons tout cela dans l’évangile de ce jour. Nous sommes à Jérusalem. Les disciples admirent le Temple. Le Temple de Salomon avait été détruit par les Babyloniens, puis rebâti modestement au retour des déportés de la grande captivité. C’est Hérode le Grand qui, pour se faire accepter par les Juifs, avait fait bâtir un Temple grandiose, dont la construction avait duré 42 ans, qui était à peine terminé au temps de Jésus. C’était l’une des sept merveilles du monde antique. Ce Temple, annonce Jésus, sera détruit. Il n’en restera pas pierre sur pierre. La prédiction se réalisera en 70, lors de la grande guerre juive. Du Temple qu’a connu Jésus, il ne reste, aujourd’hui, que le « mur des pleurs ».
La fin du monde ?
Lorsque Jésus annonce une telle catastrophe, ses interlocuteurs pensent : alors, ce sera la fin du monde ! Comme si on vous disait que Saint Pierre de Rome va être rasé. Après le 11 septembre 2001, cette catastrophe « apocalyptique »qui vit la destruction des deux tours jumelles de New York, les gens ont dit : « Plus rien ne sera jamais comme avant ! ». Mais non, dit Jésus, ce n’est pas la fin du monde, même si c’est l’annonce de la fin d’un monde. Des cataclysmes, il y en a eu avant, et il y en aura encore après. Et de faire une énumération de catastrophes qui se sont produites de son temps, et qui se produisent encore aujourd’hui. Toute l’énumération est valable pour cette année : guerre, notamment en Irak, mais pas seulement en Irak ; soulèvements, révoltes, guerres civiles ensanglantent aujourd’hui encore notre planète. La terre tremble depuis près d’un mois au Japon, jetant la population dans la peur et le dénuement. De même pour les typhons et les cyclones. Quant aux épidémies, et notamment le sida, elles ne cessent de progresser. Nous n’avons pas encore réussi, loin de là, à éradiquer les nombreux foyers de famine à travers le monde. C’est à tout cela que Jésus fait allusion. Sans parler des persécutions contre les chrétiens. Il parait que le XXe siècle est le siècle qui a connu le plus de martyrs dans toute l’histoire du christianisme.
Trois recommandations
On pourrait poursuivre l’énumération. En résumé, disons simplement que nous vivons dans un monde de conflits et de destruction. Affrontement de l’homme avec la nature (tremblements de terre, épidémies, famines) ; affrontement des hommes entre eux ( guerre, terrorisme). Ajoutons à cela la persécution des disciples. C’est dans cette conjoncture que Jésus tient à affermir ses disciples en leur faisant quelques recommandations. Et ces recommandations sont toutes valables pour nous aujourd’hui.
Première recommandation : ne vous laissez pas égarer par ceux qui viendront vous dire que la fin du monde est toute proche. Nous en avons tous eu à notre porte, de ces braves gens qui savent le jour et l’heure (que le Seigneur lui-même ignore, nous dit-il). Signe des temps : il y a aujourd’hui encore beaucoup de gens qui se laissent égarer, tant est grand le désarroi qui règne. Jésus nous déclare que chercher à savoir le jour et l’heure, c’est une question oiseuse. Ce qui importe, c’est l’aujourd’hui, et la manière de le vivre.
Or, poursuit-il, cet aujourd’hui est marqué par la violence. A toute la violence « ordinaire », Jésus ajoute « les persécutions ». Dans ce contexte, deuxième recommandation : confiance. Bien. C’est facile à dire ici, aujourd’hui, dans notre pays où notre situation de chrétiens n’est pas tellement inconfortable. Mais c’est plus difficile à entendre si on vit en Chine, au Darfour, en Irak et dans bien d’autres régions du monde où les chrétiens, même s’ils ne sont pas persécutés, sont à peine tolérés. Pourtant, lui Jésus peut nous recommander cette confiance, lui qui a manifesté pleine confiance à son Père au moment de son arrestation comme sous la torture et sur la croix. Il se peut qu’un jour nous nous trouvions nous aussi dans cette situation. Nous n’aurons alors qu’un seule attitude possible : la confiance en Celui qui a vaincu la mort : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », nous dit-il.
Confiance, certes, mais aussi et surtout persévérance. Il s’agit de tenir bon. Que de fois nous arrive-t-il de « baisser les bras » ! Le découragement nous guette. Ce monde nous semble aller de mal en pis. Nos sociétés sont gagnées par un matérialisme, un égoïsme incroyables ; le règne du « chacun pour soi » et des âpres compétitions pour se faire une place au soleil, quitte à écraser les autres. Alors, à quoi bon lutter ? Et pourquoi faudrait-il rester fidèle aux convictions de notre jeunesse, si rien n’avance, si au contraire tout se dégrade ? C’est à nous, gens des vieilles chrétientés, que Jésus adresse cette recommandation : « c’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. »
Pour aujourd'hui
Je regarde la situation des chrétiens d’aujourd’hui. La nôtre. Je me demande si, à force de vouloir rejoindre le monde, nous ne risquons pas de nous « couler dans le moule » au point d’être comme tout le monde, de ne plus faire question et donc de ne plus susciter autour de nous ni interrogation ni contestation. Par contre, le chrétien « différent », qui n’a pas peur de dire et de manifester sa foi dans ses actes et toutes ses attitudes, risque d’être moqué, critiqué, persécuté. A celui-là – à chacun de nous, je l’espère - le Christ redit aujourd’hui : « Courage, tiens bon. Persévère dans l’affirmation de ta foi et dans le témoignage. Par ta persévérance, tu obtiendras la Vie. »