Les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin.
DIMANCHE DES RAMEAUX (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 19, 28-40
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ésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem. A l’approche de Bethphagé et de Béthanie, sur les pentes du mont des Oliviers, il envoya deux disciples : « Allez au village qui est en face. A l’entrée, vous trouverez un petit âne attaché : personne ne l’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous demande : ‘Pourquoi le détachez-vous ?’ vous répondrez : ’Le Seigneur en a besoin.’ Les disciples partirent et trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. Au moment où ils détachaient le petit âne, ses maîtres demandèrent : « Pourquoi détachez-vous cet âne ? » Ils répondirent : « Le Seigneur en a besoin. » Ils amenèrent l’âne, jetèrent leurs vêtements dessus, et firent monter Jésus. A mesure qu’ils avançaient, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin. Déjà Jésus arrivait à la descente du mont des Oliviers, quand toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus : « Béni soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, reprends tes disciples ! » Mais il leur répondit : « Je vous le dis : s’ils se taisent, les pierres crieront. »
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Un énorme malentendu
Il y a trois ans à pareille époque, les gens se pressaient en foule au cinéma pour voir La Passion du Christ, le dernier film de Mel Gibson. Peut-être avez-vous vu ce film ? Peut-être l'avez-vous oublié ? Personnellement, après avoir fait attention aux critiques, pas toujours favorables, j'ai visionné la cassette, quelques mois plus tard. Mon opinion ? Ce film m'a laissé indifférent. Une seule remarque, c'est que – comme disent les gens – « c’est du cinéma ! » Donc, c’est tout autre chose que ce dont nous venons de faire mémoire, par une lecture méditative du récit de la passion tel que l’Évangile de Luc nous l’a transmis.
Ma première remarque consistera donc à bien remettre le texte dans son contexte, comme j’ai l’habitude de le faire constamment. Que s’est-il passé exactement ? Un énorme malentendu. Comment se fait-il que les habitants de Jérusalem, après avoir acclamé Jésus le matin des Rameaux en le désignant sous le titre de « Roi », l’ont rejeté totalement quelques jours plus tard en criant « A mort » ? Si les gens le désiraient pour en faire leur roi, c’est qu’il y avait des raisons à cela. Depuis des mois, la popularité de Jésus n’avait cessé de croître, depuis les débuts de son ministère en Galilée. Ils ne l’avaient pas tous rencontré, sans doute, mais sa renommée était allée grandissant sans cesse. Ils avaient entendu parler de ce prophète de Nazareth, dont le message apportait une extraordinaire nouveauté dans une religion passablement sclérosée. Il parlait du « Royaume de Dieu », et sous les mots employés, beaucoup entendaient la réalisation d’un vieux rêve. A ce peuple souffrant de la domination implacable des Romains, de conditions de vie très dégradées, aussi bien économiquement que politiquement, les paroles de Jésus de Nazareth donnaient à entendre une restauration, un renouveau. La Loi de Moïse ne serait plus un fardeau pesant, mais une loi de liberté, faite essentiellement pour que l’homme se redresse et vive enfin dans des conditions plus humaines. Beaucoup avaient donc mis en Jésus leur espoir humain, politique, et leur espérance religieuse. Ils allaient redevenir, sous le règne du « fils de David », les membres du peuple élu, un peuple libre, le peuple de Dieu. C’est tout cela, je crois, qu’ils exprimaient en acclamant Jésus : « Béni soit celui qui vient, lui, notre roi, au nom du Seigneur. »
La vraie signification
Malentendu. Ils n’avaient pas tout entendu. On n’entend bien que ce qui nous plaît. Notre écoute est toujours sélective. Or, depuis quelques mois, Jésus s’efforçait de donner la vraie signification de sa montée vers Jérusalem. Il parlait d’y être arrêté, d’y souffrir, d’être condamné et mis à mort. Et chaque fois, il ajoutait à l’adresse de ses disciples : « Et vous aussi, il vous faudra passer par là. » Avouez qu’il y avait de quoi faire la sourde oreille ! Et voilà que tout avait basculé. Effectivement, Jésus avait été arrêté, jugé, condamné. Les foules sont versatiles. « On apprend à hurler, dit l’autre, avec les loups », dit la fable. Et sans doute étaient-ils un certain nombre, parmi ceux qui avaient acclamé Jésus comme « notre roi », qui criaient « à mort » le vendredi. Les autres, ils se tenaient coi. Muets, cachés, comme les principaux disciples du Maître !
Nous venons de relire et de méditer cette terrible nuit et cette affreuse matinée du vendredi saint qui se termine par l’horrible supplice de la crucifixion. Nous qui ne sommes pas des « voyeurs », nous n’avons pas besoin d’images pour nous représenter ce que fut cette souffrance et cette mort ignominieuse. Mais il ne faut pas en rester là ! Ce matin, l’apôtre Paul nous redit ce qu’il écrivait un jour, quelques années seulement après l’événement, aux Philippiens : « Comportez-vous comme l’a fait le Christ Jésus. Lui qui était de condition divine, il s’est abaissé, prenant la condition humaine dans ce qu’elle a de plus bas, la condition d’esclave... jusqu’à la mort des esclaves ; sur une croix. » Ce qu’il veut nous dire, c’est que nous sommes tous invités à ne pas nous contenter de compatir. Ce serait trop facile. A chacun de nous est demandé de nous situer, comme le Christ lui-même, au plus bas de la condition humaine, pour nous sentir solidaires de l’humanité souffrante, de tous les hommes qui, aujourd’hui même, vivent la Passion dans leur chair, dans toutes les parties du monde.
Voilà la Semaine Sainte qui commence. Je souhaite qu’elle ne nous laisse pas indifférents, inattentifs ou désabusés. Frères des hommes, nous le serons vraiment si nous portons en nous « les comportements qui furent ceux du Christ Jésus. » C’est Pascal qui nous redit : « Jésus Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ! »