DEUXIÈME DIMANCHE DE L’AVENT (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 3, 1-6
L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, prince de Galilée, son frère Philippe, prince du pays d’Iturée et de la Traconitide, Lysanias, prince d’Abilène, les grands prêtres étant Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain ; il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe : Dans le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tous les ravins seront comblés, toutes les montagnes et collines seront abaissées ; les passages sinueux seront redressés, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu.
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Qui est Baruch ?
On raconte que Racine avait emmené un jour La Fontaine à l’Office des Ténèbres du Vendredi Saint. Le fabuliste, peut-être, s’ennuyait. En tout cas, il lisait le livre de Baruch. Alors, se tournant vers Racine, il lui déclara, admiratif : « C’était un beau génie que ce Baruch. Qui était-il ? ». Même si les exégètes sont incapables de répondre à sa question, tant il apparaît que ce petit livre est une mosaïque de textes divers, il faut reconnaître que le passage que nous lisons aujourd’hui, qui est la fin du livre, est un beau morceau de joyeux lyrisme. De même que le psaume 125 que nous venons de chanter, il évoque un prodigieux retournement de situation, un événement historique qui a marqué la conscience du peuple d’Israël : sans doute le retour de la captivité à Babylone. Pendant cinquante ans (de –587 à –538), les Juifs ont été déportés, jusqu’à ce que Cyrus le Perse leur rende leur liberté. C’est vous dire la joie avec laquelle les déportés qui rentrent de Mésopotamie (l’Irak actuel) vont traverser le désert d’Arabie pour revenir à Jérusalem et reconstruire la ville et le Temple.
Quelle libération ?
On ne comprend pas grand chose aux textes bibliques qui sont présentés aujourd’hui à notre méditation si on n’a pas en tête ce contexte historique que je viens de vous rappeler. Non seulement le passage de Baruch et le psaume 125, mais également la citation d’Isaïe que l’évangile de Luc applique à Jean Baptiste, où il est question de désert, de routes à aplanir, de ravins à combler, de montagnes à abaisser. Si l’évangile reprend le message d’Isaïe pour décrire la mission de Jean-Baptiste, c’est qu’il doit être question, une fois de plus, de libération. Quand les Israélites se rappelaient le retour de l’exil « à travers le désert », ils pensaient, en même temps, à une autre traversée du désert, à une autre libération : celle de l’esclavage d’Égypte, quelques dizaines de siècles plus tôt. Comme pour évoquer une constante dans l’attitude de Dieu : notre Dieu est celui qui libère. De quelle libération Jean-Baptiste est-il le messager ?
Seul contre tous
Lorsque nous lisons aujourd’hui ces paroles, on a tendance à leur donner un sens moral : redresser les chemins, cela voudrait simplement dire corriger notre conduite, cesser de faire le mal, nous mettre à faire le bien. D’accord. Mais je ne crois pas que c’est cela que Jean venait demander. Pour lui, comme pour tous ses auditeurs, il s’agissait de l’annonce d’une nouvelle libération. Ce n’est pas insignifiant que Luc énumère tous ceux qui, à cette époque-là, avaient le pouvoir en Israël. Le pouvoir politique : l’empereur Tibère, le gouverneur Pilate, les roitelets collaborateurs de l’occupant, Hérode, Philippe, Lysanias. Et le pouvoir religieux : Anne et Caïphe. Tous ceux, entre parenthèse, qui comploteront à la fin pour faire mourir Jésus. En face de ces autorités, un homme seul, Jean, fils de Zacharie. Mais sur cet homme, voilà que tombe la Parole de Dieu. (Je traduis littéralement : « La parole fut sur Jean ») Donc tous ces textes ont une saveur toute terrestre. Notre foi n’est pas une croyance désincarnée en un Dieu lointain. Elle est une foi incarnée en des hommes, dans une histoire. Dans un passé lointain, vieux de deux millénaires. Mais aussi dans notre présent le plus immédiat.
Aujourd'hui
C’est à nous que Jean-Baptiste annonce une libération. Et pour que cette libération soit effective, il nous demande une conversion signifiée par un baptême. Faut-il, une fois de plus, rappeler que le mot baptême est un mot grec qui signifie « plongeon » ? Alors, de quel plongeon s’agit-il ?
Je regarde ce monde qui est le nôtre, en ce début de millénaire. Il en reste, des obstacles à éliminer, pour que les routes déformées soient aplanies, ces routes que les hommes pourraient enfin emprunter pour que leur libération soit effective. Impossible de faire une énumération exhaustive. Guerre, terrorisme, intolérance, inégalités sociales, injustice... tout cela souvent, hélas, avec la bénédiction des pouvoirs en place. Ces situations, chacun de nous peut les évaluer facilement. Et puis après ? Beaucoup disent : « Qu’est-ce que j’y peux ? » Et justement Jean-Baptiste nous dit, aujourd’hui : tu y peux quelque chose. Il s’agit de « plonger » - on dit aujourd’hui plus familièrement : « te mouiller ». Ne jamais te résigner devant « le péché du monde », qui est aussi le tien.
Relisons les mots de saint Paul s’adressant à ses très chers amis les premiers chrétiens de Philippes : « Dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance qui vous feront discerner ce qui est le plus important. Ainsi vous marcherez sans trébucher vers le jour du Christ. »