LE JOUR LE PLUS LONG.

Quand arriva le moment où Elisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait prodigué sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l'enfant. Ils voulaient le nommer Zacharie comme son père. Mais sa mère déclara : " Non, il s'appellera Jean. " On lui répondit : " Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! " On demandait par signes au père comment il voulait l'appeler. Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : " Son nom est Jean. " Et tout le monde en fut étonné. A l'instant même, sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu. La crainte saisit alors les gens du voisinage, et dans toute la montagne de Judée on racontait tous ces événements. Tous ceux qui les apprenaient en étaient frappés et disaient : " Que sera donc cet enfant ? " En effet, la main du Seigneur était avec lui.

L'enfant grandit et son esprit se fortifiait. Il alla vivre au désert jusqu'au jour où il devait être manifesté à Israël.

Évangile selon saint Luc 1, 57-66.80

LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE

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Retour à la case départ.

Il y a quinze jours, nous fêtions le Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Il était normal qu'on en fasse comme une conclusion de tout ce que nous avions célébré précédemment, de Pâques à Pentecôte. L'Eucharistie n'est-elle pas une récapitulation de toute l'histoire du salut ? Mais voilà qu'aujourd'hui, nous sommes renvoyés à la case départ. Tout recommence. Nous nous retrouvons au temps de l'attente, des préparations. Comme si le Christ n'était pas encore venu !

C'est que, d'une certaine façon, nous en sommes toujours là ! Pour chacun de nous personnellement, comme pour notre Église, comme pour notre humanité, le Christ est encore à venir. Il n'est pas tellement entré dans nos vies personnelles, et le monde dans lequel nous vivons n'est pas tellement régi par l'amour, n'est-ce pas ? Donc Jean-Baptiste, chargé d'annoncer "celui qui doit venir ", est vraiment d'actualité. Et si l'Église nous invite à célébrer sa naissance, au même titre et presque au même rang que la naissance de Jésus, c'est que nous sommes aujourd'hui encore à l'heure où le salut de Dieu surgit, comme un germe fragile et presque imperceptible. Nous sommes dans le temps de l'Église : c'est ce que vont signifier les "dimanches ordinaires", repris dimanche dernier et continués dimanche prochain, grâce auxquels nous allons cheminer, pendant plusieurs mois, dans l'attente et la préparation de la venue du Seigneur.

Entre passé et avenir.

Nombreux sont les passages des évangiles qui présentent Jean-Baptiste comme le nouvel Élie, le prophète-type. Jean va, en effet, récapituler tous ceux qui, au long des siècles, ont annoncé la venue du Messie. Relisez les paroles d'Isaïe (notre première lecture) : presque tous les termes peuvent s'appliquer à Jean. C'est que, dans le dessein de Dieu, il y a une parfaite continuité. Toute l'annonce des prophètes de l'Ancien Testament vient refluer en Jean qui la couronne. Il se situe à la charnière des temps. Jean va faire le lien entre l'avant et l'après, entre les préparations et l'accomplissement. Il donne un baptême qui annonce un autre baptême. Apprenons donc que, dans notre vie, rien n'est perdu du passé. Même les erreurs et les fautes peuvent contribuer à l'irruption de la grâce. Comme Jean-Baptiste, nous pouvons être " tendus vers l'avenir ", vers celui qui " passe devant nous " de ce monde à son Père, qui est aussi notre Père.

Dieu fait grâce.

" Jean " est la contraction française d'un nom hébreu (Iohanan) qui signifie "Dieu fait grâce". Mais pourquoi, dans notre évangile, une telle insistance sur le nom ? C'est que dans l'Écriture, le nom est à la fois une sorte de définition et un programme, un contrat à remplir. Dans le cas présent, sur l'invitation de l'ange, le nom de Jean donné à l'enfant est une claire annonce que les temps nouveaux sont inaugurés "où Dieu fait grâce à notre terre." Mais c'est d'abord autre chose. Elisabeth, qui parle en premier, reconnaît, en donnant à son fils le nom de Jean, que Dieu lui a fait grâce, à elle, la femme stérile, en accomplissant son plus grand désir et la fin de "ce qui faisait sa honte parmi les hommes" (Luc 1, 25). Pour Zacharie, il s'agit d'une sorte d'aveu. Il avait refusé de croire à l'annonce de l'ange. Sourd à la Parole de Dieu, il en était devenu muet. Il ne pouvait plus prier (puisque, à l'époque, toute prière se faisait à haute voix). Et il ne pouvait plus communiquer avec ses semblables. L'incroyance lui avait coupé la parole. Mais voilà qu'il est maintenant passé de l'incroyance à la foi et qu'il se met à parler pour dire "Jean", pour reconnaître ainsi que "Dieu fait grâce". Muet au départ pour rendre grâce, il est devenu capable de reconnaître le don de Dieu. Nous passons tous par là.

A la charnière des temps.

Comme Jean, chacun de nous est sans cesse à la charnière des temps. Jean Baptiste, c'est la fin de l'Ancien Testament, la fin de l'attente, et l'inauguration des temps nouveaux. Entre passé et futur, un présent qui bouleverse tout. Eh bien, nous aussi, nous avons un passé, nous vivons un présent, et nous sommes "tendus vers l'avenir" (relire Philippiens 3, 12-14). Souvent, à nos moments de lucidité, nous nous désolons, comme Elisabeth, de la stérilité de nos vies. Surtout quand vient le grand âge. Et nous faisons nôtres les paroles du livre d'Isaïe : "Je me suis fatigué pour rien. C'est pour le néant, c'est en pure perte que j'ai usé mes forces." Le prophète ne savait pas encore qu'il allait être fait "lumière pour les nations, pour que le salut parvienne aux extrémités de la terre." Jean-Baptiste est passé, lui aussi, par des phases de découragement et de doute. Rappelez-vous. De sa prison, il envoie demander à Jésus : "Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?" avant d'accepter et de pouvoir déclarer : "Il faut qu'il croisse et que moi, je diminue." C'est alors seulement qu'il devient "lumière pour les nations". Jésus lui-même suivra le même chemin : c'est dans sa passion, quand il aura été "élevé de terre" qu'il attirera à lui tous les hommes, réalisant l'annonce prophétique : "Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé".

Au solstice d'été.

La fête de la Nativité de Jean-Baptiste est célébrée depuis le IVe siècle. Fête très populaire, la saint Jean est placée au solstice d'été, 6 mois avant Noël. Nous sommes au jour le plus long. Désormais les jours vont diminuer jusqu'à Noël, le jour le plus court. Au solstice d'hiver, où l'on célèbre la naissance de Jésus, les jours vont de nouveau grandir. En fait, ces dates ont été choisies arbitrairement, comme des dates symboliques. Elles illustrent parfaitement la parole de Jean-Baptiste : "Lui, il faut qu'il grandisse, et moi, que je diminue". Et nous ? Nous ne pouvons, comme Jean, que "préparer les chemins du Seigneur", pour nous d'abord, pour qu'il puisse nous rejoindre. Comment ? Pas tellement en faisant des efforts épuisants, mais en faisant place nette, en dégageant un espace pour accueillir le don gratuit de Dieu. En dégageant le terrain de nos soucis, de nos préoccupations, de nos ambitions, de nos peurs. " Je te conduirai au désert et je parlerai à ton cœur ". Alors, ayant préparé le chemin du Seigneur pour nous, nous deviendrons chemin pour les autres.  

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