Moi je les connais, et elles me suivent.
QUATRIÈME DIMANCHE DE PAQUES (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 27-30
Jésus avait dit aux Juifs : " Je suis le Bon Pasteur (le vrai berger). " Il leur dit encore : " Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. Ce que le Père m'a donné vaut plus que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. "
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Ça ne passe pas
Le message d’aujourd’hui, qui devrait être une bonne nouvelle pour chacun de nous, a toutes les chances de ne pas passer. Du moins si on s’arrête à la lettre des paroles que Jésus adressait, il y a vingt siècles, à ses interlocuteurs, dan un contexte polémique d’ailleurs. Se dire aujourd’hui « Bon Pasteur », cela risque de n’éveiller en nous que des réflexes négatifs. D’abord parce que dans nos civilisations industrielles et urbaines, on ne sait plus ce qu’est un pasteur, un berger. Ensuite parce que se présenter comme berger et parler de nous comme des brebis, cela risque de nous hérisser : nous n’aimerions pas, n’est-ce pas, être comparés à un troupeau bêlant d’animaux classés parmi les plus stupides de la création.
Le roi, berger et guide
Cependant, je crois qu’il est important de jouer le jeu, d’essayer d’entrer dans la perspective de cette culture rurale, même si nous savons peu de choses de la vie, des compétences, des responsabilités du berger d’un grand troupeau, pour entendre le message que le Christ nous adresse. Et d’abord, demandons-nous pourquoi la Bible a toujours présenté les rois d’Israël (et des royaumes environnants) sous les traits du berger ? Immédiatement, on pense à ces images vues à la télé, de grands troupeaux dans des régions plus ou moins désertiques, parcourant lentement des distances considérables à la recherche d’une rare et précieuse nourriture et de points d’eau indispensables. Pas de doute, le peuple d’Israël se représente son existence de peuple comme une route, un déplacement. On va, on avance, et naissent des situations nouvelles, des événements plus ou moins imprévus. Le contraire d’un monde clos.
Abraham, Moïse, David
Toute une histoire, toute une route, avec, d’abord, les grands pasteurs nomades, chefs de tribus, Abraham, Isaac, Jacob, les ancêtres du peuple hébreu. Mais il y a surtout l’Exode : le peuple libéré de l’esclavage va errer dans le désert du Sinaï, sous la conduite de Moïse, ce berger qui, sur l’ordre de Dieu, a abandonné le troupeau de son beau-père Jethro pour conduire les « brebis du Seigneur » jusqu’en Canaan.
Pour toute route, il faut des guides. Pour Israël, c’est Yahvé, le berger par excellence. « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien », chante ce peuple. Mais Dieu a un représentant terrestre, c’est le roi, à qui il a confié cette délégation de pouvoir et de responsabilité. Et cette responsabilité est « sacralisée » par l’onction que fait le prophète sur « l’oint du Seigneur ». On trouve cela aussi bien pour le choix de Saül que pour celui de David, son successeur. L’oint, en hébreu, se dit Messie. Et en grec, Christ.
Il soigne, guérit, rassemble
La superposition des personnages du roi et du berger est significative. Le berger est un personnage pacifique. Le but de son activité est le confort du troupeau. Chaque brebis est l’objet de tous ses soins. Il soigne et guérit. Donc, souci du collectif et souci de chaque individu. Non seulement il soigne, mais il rassemble. Un des traits dominants de l’histoire d’Israël, c’est cette tendance qu’ont toujours eues les tribus à se disperser, voire à s’opposer : ce ne fut jamais facile pour les dirigeants de créer avec elles une unanimité. D’où le thème du rassemblement, opposé à celui de la dispersion. Tous ces thèmes, on les retrouve dans ce chapitre 10 de notre évangile, où Jésus se présente comme le vrai berger, le Messie, le Christ, celui qui a reçu l’onction pour conduire son peuple, afin que personne ne périsse, de ceux que Dieu lui a confiés. Alors que David ne fut pas toujours un roi pacifique, Jésus va œuvrer pour que son peuple apprenne à passer des instincts de violence communs à tous les hommes à une autre conception : le berger royal, c’est d’abord l’agneau immolé.
L'agneau-berger
Nous lisions tout-à-l’heure un extrait du livre de l’Apocalypse où ce retournement, ce renversement des valeurs est bien mis en évidence. Il en est fréquemment de même dans l’Écriture. Le premier qui devient le dernier, le maître qui se fait serviteur, les prostituées qui précèdent les bien-pensants... Ici, c’est l’agneau qui devient le pasteur, celui qui conduit vers les sources d’eau vive. Dieu pasteur s’est mis dans la situation de l’agneau immolé. Plus question de domination d’un berger qui conduit un troupeau ignorant et soumis. Les places étant interchangeables, nous avons à être en même temps et le « pasteur » et « l’agneau ». « Ne crains pas, petit troupeau, dit Jésus : il a plu au Père de vous donner le Royaume. » Et l’apôtre Paul pourra dire : « Ainsi donc, tu n’es plus esclave, mais fils. » Quelle bonne nouvelle : Jésus, parlant de chacun de nous, déclare « Ce que le Père m'a donné vaut plus que tout. »
Concrètement, cela veut dire que plus nous donnons de l’importance au Christ dans notre vie, plus nous le suivons, plus aussi nous accédons à la liberté et à la maîtrise de notre existence. Et en même temps, nous devenons aptes à la communication, aptes à faire « un » avec les autres. Une unité qui ne détruit pas notre particularité, nos manières d’être, mais les valorise. C’est quand nous sommes rassemblés que le Christ nous connaît chacun par notre nom.