Je vous donne un commandement nouveau
CINQUIÈME DIMANCHE DE PAQUES (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 13, 31...35
A
u cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme vient d’être glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt.
Mes petits enfants, je suis encore avec vous, mais pour peu de temps. Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
oOo
Glorifié ?
Je me demande ce que peut nous dire, à première vue, cette parole que Jésus a prononcée au cours du dernier repas qu’il prenait avec ses disciples, et où il emploie à quatre reprises les mots glorifier et gloire. La gloire, certes, on connaît, quand il s’agit d’un champion ou d’une vedette. Mais ici, dans la bouche de Jésus, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi Dieu a-t-il besoin d’être glorifié ? Et comment va-t-il à son tour glorifier son Fils ? Je crois qu’il est nécessaire, pour bien comprendre les propos de Jésus, de nous rappeler ce que signifie le mot gloire dans le langage biblique et particulièrement sous la plume de saint Jean.
Il y a, primitivement, dans le mot hébreu, une idée de poids. Est glorieux ce qui a du poids. Alors qu’en français il s’agit essentiellement de réputation, de renommée, en hébreu, il s’agit de la valeur réelle. A cette idée de valeur et de poids viennent s’ajouter l’idée d’un rayonnement, de l’éclat de la beauté. C’est tout cela qu’indique l’expression « la gloire de Yahweh » : c’est Dieu lui-même en tant qu’il se révèle non seulement dans ce qu’il est, mais dans ce qu’il fait et dans ses manifestations. Rappelez-vous la rencontre du Sinaï : Moïse, qui avait demandé à Dieu la grâce de voir sa gloire redescend de la montagne « la peau du visage rayonnant », à tel point qu’on ne pouvait plus le regarder.
Du baptême à la croix
Dans le Nouveau Testament, très nombreuses sont les mentions de la gloire du Christ. La gloire de Dieu est tout entière présente en lui. Les disciples en ont été témoins déjà durant sa vie terrestre, notamment à son baptême et lors de la transfiguration. Mais même, nous dit saint Jean, lors des noces de Cana, où « il manifesta sa gloire. » Or, curieusement, voilà qu’au moment où il va être arrêté, torturé, crucifié, où son visage va être défiguré par la souffrance – et il le sait – Jésus parle d’être glorifié par son Père. Qu’est-ce que cela veut dire ? Essentiellement Jésus envisage le libre don de sa vie, qu’il va faire par amour pour les siens, comme un triomphe. La croix, instrument de l’humiliation suprême, perd sa signification ignominieuse et devient le signe de l’élévation du Fils de l’homme. « Élevé de terre, dira-t-il, il attirera à lui toute l’humanité. » C’est en ce sens que Jésus est glorifié et qu’en lui, son Père est glorifié lui aussi, c’est-à-dire qu’il est reconnu comme le Dieu d’amour.
Une nouveauté absolue
C’est pourquoi, immédiatement après avoir parlé de glorification, il va pouvoir continuer son propos en donnant ce commandement nouveau : aimer comme lui nous a aimés. J’ai peur qu’on réduise tout le message du Christ à ce mot : « Aimez-vous. » C’est pourquoi j’aimerais le re-situer dans l’univers de la résurrection. En effet, quand nous pensons à la résurrection du Christ, nous évoquons un événement qui s’est passé il y a deux mille ans. Nous pensons rarement à l’univers que la résurrection a inauguré, donc à ce que la Résurrection signifie. Le texte de l’Apocalypse que nous lisons aujourd’hui nous en dit quelque chose à travers des images. Essayons d’entrer dans ce propos.
Nous vivons un monde de conflits. Premier conflit : entre l’homme et la nature, qui est par elle-même hostile, qu’on s’efforce de domestiquer, de rendre de plus en plus habitable. Autre conflit : entre les hommes eux-mêmes. Il s’agit d’affronter la jalousie de nos semblables, en tous domaines. Là aussi c’est la mort qui est au bout du chemin. Les frères ennemis s’entretuent. Prototypes : Caïn et Abel. Mais le conflit le plus fondamental est entre l’homme et Dieu. Comment croire que Dieu est amour ? N’est-il pas un Dieu jaloux de son pouvoir ? L’Apocalypse lève littéralement le voile sur la fin de l’histoire pour nous présenter un univers où il n’y aura plus de pleurs, plus de cris, plus de tristesse. L’univers de la Résurrection. C’était déjà le sens des « signes » que Jésus faisait tout au long de sa vie terrestre : il se présente comme un homme totalement libre, un homme qui impose même sa loi à la nature : même la mer, même les vents lui obéissent. C’est l’annonce d’un univers réconcilié. Un monde où « Dieu demeurera avec les hommes » : Dieu avec nous.
A réaliser
Un monde inauguré par la résurrection du Christ. Mais il y a une grande distance entre ce que nous sommes et ce que nous serons un jour, à la fin de l’histoire. L’Apocalypse annonce la fin du conflit entre l’homme et Dieu, mais les autres conflits ? On comprend dès lors que la charité reste la seule consigne, l’héritage unique de Jésus. La charité, ce sera la fin du conflit entre l’homme et l’homme. Dernier mot de la Bible, elle clôt la lutte immémoriale des frères ennemis. L’amour qui nous est commandé est en référence avec un passé et un avenir. Dans le passé, il y a la Passion du Christ. Là, Dieu s’est manifesté comme amour. Le péché avait « abondé » : l’amour a surabondé, détruisant tout conflit.
En référence, également, avec un avenir, celui où l’homme sera en paix avec l’homme. C’est la « cité sainte » dont parle l’Apocalypse. Cité des hommes sans cris ni tristesse et en même temps demeure de Dieu. Par la charité, nous vivons déjà notre avenir. Humainement parlant, cela peut paraître utopique. Mais, à la réflexion, n’est-ce pas le seul chemin de vie ? L’amour est plus fort que la mort. La résurrection du Christ nous en donne un exemple. A nous de continuer la route.