L'INTELLIGENCE DES ÉCRITURES

 

 

La Première Lettre aux Corinthiens (8)



Résumé des séquences précédentes

(aux archives)

1e séquence :

INTRODUCTION : L'HISTOIRE DE PAUL ET DE CORINTHE, UNE HISTOIRE D'AMOUR

2e séquence :

a - L'adresse et la salutation (1, 1-9)
b -
Introduction. La division est un scandale. - 1, 10-17
c -
 Le plan paradoxal de Dieu : le discours de la Croix ( 1, 18-25)

3e séquence :

Folie de la croix et Sagesse de Dieu (1, 26 à 3, 4)
Les prédicateurs édifient l'Église (3, 5 à 4, 21)

4e séquence :

Du passé faisons table rase (5, 1 à 6, 20)

5e séquence :

Vie sexuelle - mariage - célibat (7, 1-24)

6e séquence :

Chapitres  7, 25 à 10

7e séquence :

Chapitre 11 à 14


8 - Christ est ressuscité (le chapitre 15)


L'occasion : les doutes des Corinthiens.

v. 12 : "Comment certains peuvent-ils dire qu'il n'y a pas de résurrection ?
Certains nient, d'autres se demandent comment cela est possible. (Ce sont des questions proches des nôtres)

v. 35 : Comment les morts ressuscitent-ils ?

Il faut se replacer dans l'univers mental des Grecs pour qui il y a une distinction radicale entre corps et âme, le corps étant périssable, mauvais, et l'âme prisonnière du corps. Alors, si vous parlez de résurrection, comment ? Réanimation de cadavres ? Est-ce possible ?
Paul, avec sa mentalité sémitique : pour lui, le mot  "corps" n'a pas la même signification. Le corps, c'est l'homme terrestre, et non pas la partie de l'être humain. Ce n'est pas le corps opposé à l'âme, à l'esprit. Paul comprend l'homme dans sa totalité : ce qui fait que je suis moi, corps et âme.

La réponse de Paul. Trois parties :

1 - l'évangile du ressuscité (v. 1-11)
2 - La résurrection des morts (v. 12-34)
3 - Le corps des ressuscités (v. 35-58)
 

 

 

1 - L'Évangile du Ressuscité  (15, 1-11)

A - Une Bonne Nouvelle transmise.

Remarquez les pronoms qui symbolisent la communication entre Paul et ses lecteurs : Je et vous, et au v. 11 : moi, eux, nous, vous.

Et les verbes : annoncer (v. 1 et 2), transmettre (v. 3), recevoir (3), proclamer (11) :
- annoncer : en grec évangeizein.
- proclamer : rappel du Héraut qui proclame la victoire du roi sur ses ennemis.
- transmettre et recevoir : ce sont des termes techniques dans le judaïsme pour dire le rabbin et ses élèves qui l'écoutent avec respect.

Paul n'utilise ces termes que lorsqu'il veut insister sur la communication d'une parole qui lui semble essentielle (cf. le récit de la  Cène au chapitre 11)

Tout ceci pour dire que la foi est une transmission, une communication. Qu'en est-il pour nous aujourd'hui ?

B - L'Événement Jésus Christ : le plus ancien Credo.

Paul écrit cette première Lettre aux Corinthiens vers Pâques 57. Il leur rappelle la Bonne Nouvelle qu'il leur a annoncée vers 50-51. Cette bonne nouvelle, il l'a reçue. Mais quand ? Peut-être à Antioche vers 40-42, ou au moment de son baptême par Ananie en 36. Bref, on est très proches de l'événement pascal.

Dans ce texte, 5 parties :
1 - Christ est mort pour nos péchés.
2 - Il a été mis au tombeau.
3 - Il est ressuscité selon les Écritures.
4 - Les témoins du Ressuscité.
5 - Paul, témoin du ressuscité.

1 - Christ est mort pour nos péchés.

* "Christ est mort". C'est l'affirmation d'un fait connu de tous. Il s'agit d'un acte qui a eu lieu, une fois, dans le passé. C'est le sens de l'aoriste en grec (pourv les mots 'il est ressuscité", c'est un autre temps, ce n'est pas le passé, c'est le présent). Il est mort, lui le Christ, le Messie, comme meurt tout homme.

* pour nos péchés". On pense à Isaïe 53 : "C'était nos péchés qu'il portait" Jésus n'est pas mort à cause de ses fautes. Il s'est offert en expiation, il a donné sa vie. "Pour nos péchés" : difficile à interpréter dans nos mentalités modernes. Comprenons simplement que la mort du Christ nous concerne, ous atteint. Elle est "pour nous".

* "selon les Écritures". C'et à dire selon l'Ancien Testament, dans la traduction grecque des Septante (vers 200 avant J.C.). Sans référence à l'Écriture, le langage humain ne connaîtrait pas le Dieu vivant, seul maître de la vie et de la mort.

2 - Il a été mis au tombeau.

Ce qui signifie simplement qu'il est bien mort.

3 - Ressuscité le 3e jour, selon les Écritures.

Le verbe "ressusciter" est un verbe qu'il a fallu créer , à partir de deux verbes
*relever, remettre debout. Expression de conception juive, opposé à mourir-tomber. On le trouve en 15, 13 : anastasis = remise debout.
* réveiller. Sous l'influence du judaïsme grec, réveiller est opposé à mourir-dormir. En grec, le mot cimetière signifie dortoir. Paul emploie le verbe passif "egegertaï : il a été réveillé, pour éviter de prononcer le mot divin "Dieu l'a ressuscité".

Le 3e jour. C'est la plus ancienne attestation de cette expression "Le 3e jour" (cf. Marc 8, 31). Est-ce une précision chronologique ? C'est possible. La durée des jours, chez les Juifs, c'est à partir de 18 heures. Donc, pour la passion, Vendredi, 1er jour ; samedi, deuxième jour ; dimanche, troisième jour. Mais c'est aussi une citation biblique du prophète Osée (6, 1-3) : "Au 3e jour il se relèvera". La Septante a traduit "Au 3e jour, nous serons ressuscités." Il y a d'autres textes bibliques où on fait mention du 3e jour : Esther,qui au bout de 3 jours de jeûne va trouver le roi ; Jonas qui le 3e jour sort du gros poisson. Donc, dans la bouche de Jésus, le 3e jour, ce n'est pas une donnée chronologique, mais une espérance du triomphe de la vie. Inauguration du monde à venir, début des temps nouveaux. Symbole de la nouvelle création.

4 - Les témoins du Ressuscité.

Le Christ est le sujet de la phrase. Christ = c'est-à-dire Messie, mot qui ne prête plus à confusion, alors que dans l'Évangile Jésus lui préfère Fils de l'homme. Ensuite, seule compte la personnalité des témoins, individus ou groupes. Aucune indication de lieu, de temps, ni de précisions sur la forme de ces apparitions. On a ici un document sur la transmission du témoignage par les témoins et non pas une description concernant la résurrection. Les témoins ont vu le Christ une fois ressuscité. Aucun n'a vu la résurrection. Remarquez que la première place est attribuée à Céphas (Pierre), comme dans les Actes des Apôtres.

"Il est apparu". En grec "ophtè", mot qui correspond à un mode grammatical hébreu. Verbe passif qui ne signifie pas "il a été vu", mais "il se fit voir". C'est le Christ qui a l'initiative. Philon, philosophe juif, écrit : "Ce n'est pas Abraham qui a vu Dieu, c'est Dieu qui s'est fait voir à Abraham."

"Céphas, puis les Douze". Ici, Paul emploie une appellation antérieure à la résurrection pour désigner le collège apostolique dont Céphas est le chef, la tête.

"500 frères... certains sont morts, d'autre vivants. Même si quelques-uns sont morts, il en reste encore assez pour attester la résurrection du Christ.

"Jacques". Dans les Évangiles, on n'en parle pas, de cette apparition-la. Mais des textes apocryphes en parlent. Cela expliquerait la première place de Jacques dans l'Église de Jérusalem après le départ de Pierre en 44. Jacques est une des "colonnes" (Galates 2, 9), "le chef" (Galates 2, 12),"frère du Seigneur" (Galates 1, 19). A ne pas confondre avec Jacques frère de Jean, mort en 44 sous Hérode Agrippa (Actes 12, 2). Rien ne prouve qu'il ait été l'un des Douze. Les spécialistes nous expliquent également qu'il ne faut pas confondre les Douze et les Apôtres, dont il est question dans le même verset. Le mot "apôtres" désigne un groupe plus large que celui des "Douze". Les Douze sont apôtres, mais il y a d'autres apôtres que les Douze. Cette appellation vient-elle de Paul ? Barnabas en est-il ? Le but en est pourtant net : tous les apôtres doivent être témoins du Ressuscité.

5 - Paul, à son tour, témoin du Ressuscité.

v. 8 : Paul se met sur les rangs au même titre que les autres témoins. Deux questions : la conversion de Paul résulte-t-elle d'une apparition ? En 9, 1, il déclare qu'il a vu le Seigneur : il est donc apôtre, par conséquent libre. Et en Galates 1, 15, il déclare "il a plu à Dieu de révéler son Fils en moi."
"Avorton" : en grec ektrôma, c'est-à-dire un enfant qui n'a pas atteint son développement normal, ou un prématuré qui ne s'est pas développé comme il faut. Or le texte évoque plutôt une naissance qui a eu lieu dans des circonstances exceptionnelles : on savait faire des césariennes, grâce auxquelles on sauvait l'enfant parce que la mère était condamnée. Paul compare à cette mise au monde anormale sa naissance à l'apostolat, sa conversion soudaine. Paul a été l'objet d'une grâce particulière, mais il fait la même proclamation que tous les apôtres.

2 - La résurrection des morts (15, 12-32)

A - Début de l'argumentation.

Une question (v. 12), puis deux raisonnements (13-16) et (17-18) avec une conclusion :
v. 12. Question : Si nous proclamons que le Christ est ressuscité, comment pouvez-vous dire qu'il n'y a pas de résurrection?
v. 13-16. Raisonnement 1 : si non-résurrection des morts, pas de résurrection du Christ. Et si pas de résurrection du Christ, notre proclamation est vaine, notre foi est vide. Les témoins du Christ son donc de faux témoins.
v. 17-18. Raisonnement 2 ;: s'il n'y a pas de résurrection des morts, donc pas de résurrection du Christ, non seulement votre foi est vaine, pais vous restez dans vos péchés. Donc ceux qui sot morts dans le Christ sont perdus.
Conclusion : si l'espérance en Christ est pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux des hommes.

Les Corinthiens faisaient de la résurrection du Christ un événement miraculeux, exceptionnel. Le Christ, pour eux, est un être qui sort de l'ordinaire. De ce fait, le miracle extraordinaire ne nous concerne pas. Paul répond : il n'y a pas de milieu. Si on croit à la rfésurrection du Christ, on croit à la résurrection des morts. Croire à l'événement fondateur, c'est croire à l'événement réalisateur et réciproquement.

B - Affirmation centrale : le Règne du Christ et la résurrection des morts (v. 20-28)

 

Le vocabulaire relatif à la mort.

En 15, 20-28, on a plusieurs mots :

* les morts (nekroï, pluriel de nekros, d'où vient notre français nécropole)
employé au v. 20 : Jésus réveillé d'entre les morts.
et au v. 21 : relèvement des morts.

* "ceux qui se sont endormis", c'est-à-dire ceux qui sont entrés dans la mort.
Le sommeil, pour qui la mort sera un réveil.
En grec Koimaô qui a donné en français cimetière. Le koimeterion, c'est le dortoir.

* Thanatos : c'est la puissance de mort, celle qui fait mourir et qui règne sur toute l'humanité. Il faudra qu'elle soit détruite pour que le monde soit transformé en un monde nouveau.

v. 20 : La thèse. La résurrection du Christ, prémices de la résurrection des morts.

v. 21 : Les conséquences:

a - par un homme, la mort
b - par un homme, la résurrection des morts
a' - En Adam, tous meurent.
b' - En Christ, tous seront vivifiés.

C'est Adam qui a introduit la mort dans l'histoire de l'humanité. Le Christ, lui, non seulement subit la mort, mais introduit la vie dans cette même histoire. Il est le dernier Adam.

La mort, c'est l'activité de la puissance de mort, grande séparatrice d'avec Dieu. Elle n'intervient pas seulement sous son aspect final de mort corporelle, elle est aussi pour Paul la manifestation du péché (Romains 6, 23 : "le salaire du péché, c'est la mort".) Elle révèle une situation. Par antithèse, la résurrection du Christ ouvre une éternelle communion de vie.

On a deux types de communion en Adam, deux types de solidarité en Christ. Tel Adam, tel le Christ. Un seul homme a mis en branle la puissance de mort, un seul homme ouvre l'ère de la résurrection.

v. 22 : Tous meurent. Affirmation évidente. En Christ, Ils reprendront vie. Tous ? Oui, mais avec des priorités : 1, les croyants - 2."puis viendra la fin" (v.24)

v. 24 : La fin,  en grec télos. Certains traduisent "le reste (des hommes)", c'est-à-dire ceux qui n'appartiennent pas au Christ. Ce sera la destruction de toutes les puissances hostiles au Règne de Dieu.

v. 25 : s'appuie sur le psaume 110, verset 1.

v. 26 : la mort-puissance est l'ennemi par excellence. Le moment précis de son anéantissement n'est pas précisé.

v. 27-28 : Christ a tout  remis en ordre sous ses pieds. Le règne de Dieu est advenu. Dieu tout en tous.

Essayons de traduire pour résumer ce passage difficile.

1 - Le Règne du Christ est le Règne du Ressuscité, vainqueur de la mort par lui-même. Il est le seul qui soit arraché à la mort. En lui tout germe de mort est détruit.
2 - Le Règne du Christ est le Règne du Ressuscité sur des hommes qui croient en lui. Même les atteintes de la mort dont ils sont encore l'objet, c'est la puissance du Christ qui les gouverne, dans l'attente du jour où, à leur tour, ils seront définitivement arrachés à la mort et eux-mêmes ressuscités.
3 - Le Règne du Christ est le Règne du Ressuscité sur ce monde encore soumis à la mort, bien que ce monde ait subi sa défaite le jour de la résurrection du Christ. Règne dynamique, destruction progressive des puissances de mort, jusqu'au dernier jour, celui de la victoire finale sur la dernière puissance, la mort.
4 - Lors de l'achèvement final, tout est remis en ordre. C'est le Royaume achevé. Tout est grâce et joie. Alors, c'est Dieu tout en tous, une nouvelle création réconciliée avec Dieu.

 

Christ ressuscité des morts.

Dans ce chapitre 15, Paul va préciser son langage. Il s'agit, pour lui, soit de contrebalancer la thanatos (la puissance de mort) par la puissance de vie exprimée par le résurrection, soit de faire sortir de l'état de mort (nécros), de la situation de mort, ceux qui se sont endormis.

Paul, pharisien, croit en la résurrection, partage cette espérance. Mais le voilà "empoigné" par le Ressuscité. Il prend conscience des limites du langage qu'il a à sa disposition pour rendre compte de sa foi en la résurrection. Il ne se contente pas des explications de Marc 12, 18-23 où l'on parle des justes qui seront comme des anges dans le ciel. Il a peur que les Grecs n'y voient qu'une espèce de métamorphose. Le Christ est ressuscité des morts. Il est réellement passé par la mort. Mais la mort a un pouvoir universel, c'est une réalité totale. Alors ? Paul se pose la question : quand et comment le pouvoir de la mort cessera-t-il ?Cela l'oblige à retourner aux commencements, commencement de la mort (Adam), commencement de la résurrection (le Christ). La mort est familière et le vocabulaire est abondant pour parler d'elle. Il n'en va pas de même pour la résurrection : le langage est obligé d'utiliser des métaphores pour évoquer, suggérer, plutôt que décrire.

L'idée de prémices, appliquée au Christ, est une de ces images suggestives. Les prémices, ce sont les offrandes à Dieu des meilleurs fruits du terroir, pour manifester la reconnaissance des croyants. Aussi bien en Israël que chez tous les peuples. A la Pâque, on offrait une gerbe composée des premiers épis mûrs. A la Pentecôte, on offrait deux pains cuits avec du levain. Face à la moisson de la mort, le Christ devient prémices de la moisson de la vie. Prémices : ce qui signifie que la moisson est déjà commencée. Le premier épi garantit une moisson abondante.

 

(à suivre, le 24 janvier)

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