L'amour que vous aurez les uns pour les autres.

Pour un monde nouveau

 

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti, Jésus déclara : " Maintenant le Fils de l'homme vient d'être glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt.

Mes petits enfants, je suis encore avec vous, mais pour peu de temps. Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres. "

Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 13, 31...35

CINQUIEME DIMANCHE DE PAQUES (C)

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Soyons réalistes !

Voilà vingt siècles que ces paroles ont été prononcées. Vingt siècles que le Christ nous a transmis son testament sous la forme d'un commandement " nouveau ", celui de nous aimer les uns les autres comme lui-même nous a aimés. Ne pensez-vous pas que ce testament est resté lettre morte ? A voir la situation de ce monde, en ce début du troisième millénaire, j'ai envie de reprendre les mots de la chanson :

" Quand les hommes vivront d'amour,
Il n'y aura plus de misères
Les soldats seront troubadours
Mais nous, nous serons morts, mon frère. "

Réflexion désabusée, certes, mais ô combien réaliste ! L'existence que nous menons est tissée de conflits qui font corps avec elle. Conflits des hommes entre eux : de l'âpre compétition économique où chacun est obligé de surpasser l'autre pour survivre, aux conflits armés d'un bout à l'autre de la planète, entre peuples, ethnies, races ; et au sein même de chaque pays, conflits d'ordre religieux, sociaux, idéologiques. Conflits même au sein de nos familles et des communautés les plus ordinaires. Chacun doit affronter la jalousie de ses semblables, en tous domaines. Au bout du chemin, chaque fois, la mort. Et puis, conflits des hommes avec la nature : depuis qu'il y a des hommes, ils ont dû affronter une nature hostile, pour la domestiquer, la maîtriser, et aujourd'hui peut-être, au risque de la détruire ! Mais je crois que le conflit le plus fondamental est sans doute celui de l'homme avec Dieu : Il existe depuis le début, mais certains historiens contemporains en font une des clés de l'histoire des deux derniers siècles, beaucoup de régimes, et pas seulement les régimes totalitaires, ayant été fondés sur l'idée qu'on peut construire une société sans référence à un Dieu quelconque, d'où l'exclamation de Nietzsche : " Dieu est mort ". On a vu ce que ça a donné. On voit ce que cela donne ! C'est ce conflit qui commande tous les autres.

Un monde nouveau ?

Faut-il pour autant désespérer de l'homme et de l'humanité ? Je ne le pense pas, si je crois à la Résurrection. Je m'explique. Quand je dis résurrection, je ne pense pas seulement au fait lui-même, qui interroge notre foi : un homme, Jésus, que Dieu a ressuscité. Je pense, plus largement, à l'univers que le fait de la résurrection inaugure : un monde, une humanité transfigurés, " ressuscités ". Je peux chanter :

" Le monde ancien s'en est allé
" Un nouveau monde est déjà né. "

Il y a dans l'Ecriture un mot qui est difficile à comprendre : c'est le mot " gloire ", qui revient fréquemment, aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, aussi bien dans la bouche de Jésus que dans les lettres des apôtres. Pour le traduire d'une manière qui nous soit accessible aujourd'hui, tous les mots sont faibles ; on pourrait employer, comme équivalents : réussite, succès, triomphe, mais ce n'est pas très satisfaisant. Jésus, au cours du dernier repas, déclare, après le départ de Judas : " Maintenant le Fils de l'homme est glorifié…Dieu lui donnera sa propre gloire. " Il annonce ainsi l'inauguration de ce monde nouveau : sa mission terrestre va s'achever par sa mort et sa résurrection, par un triomphe de la vie sur la mort, de l'amour sur la haine. Alors, dit Jésus, " c'est commencé ; à vous de continuer. " Et pour cela, une seule recette : aimer comme lui-même a aimé.

La grande mutation de l'histoire.

On peut regarder l'histoire que nous vivons, chacun de nous personnellement, et l'humanité collectivement, de deux manières. Avec réalisme (et donc, fatalisme et résignation), ou avec espérance et confiance dans l'avenir. C'est, dira-t-on, l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. D'une certaine manière, oui. Mais si je suis disciple de Jésus, mon regard sur mon histoire personnelle et sur le présent et l'avenir de notre monde ne peut être qu'un regard de confiance, d'espérance : un nouveau monde est déjà né (avec la Pâque du Christ), " ne vois-tu pas le jour venir et tous les arbres reverdir ? "

Il ne suffit pas, bien sûr, d'espérer et d'attendre béatement. Il s'agit, pour le chrétien, de s'insérer dans cette grande mutation de l'histoire, inaugurée, répétons-le, avec la mort et la résurrection du Christ, et qui se poursuit aujourd'hui avec tous ses disciples de par le monde. Dans sa Passion, Dieu s'est manifesté comme amour. Tous les conflits qui divisent les hommes étaient arrivés à leur paroxysme : le péché a " abondé ". Et Dieu, qui aurait dû être découragé d'aimer des hommes qui ne sont que haine, a aimé à travers l'homicide lui-même. La fin de nos conflits, c'est la mort et la résurrection du Christ. Voilà pourquoi l'amour des autres reste la seule consigne, l'héritage unique de Jésus. L'amour fraternel, c'est la fin du conflit entre l'homme et l'homme. Dans le monde nouveau, l'homme sera en paix avec l'homme. Mais ce n'est pas gagné. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de conflit. Simplement, le conflit a changé de nature. Il ne s'agit plus d'un combat contre l'homme (et donc contre Dieu), mais du combat pour l'homme, auquel sont conviés tous les disciples de Jésus. Et ce combat ne va pas sans souffrances.

Relire saint Paul (Lettre aux Romains, 8, 17…24) : " Enfants de Dieu…héritiers de Dieu, cohéritiés de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire…J'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu…Nous le savons en effet, la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement…Et nous aussi, qui possédons la promesse de l'Esprit. "

Un enfantement.

Je ne cite qu'un passage d'une seule lettre de l'apôtre, mais il y en a plusieurs, qui reprennent la même idée : le monde nouveau se construit, et nous participons à cette édification, dans la mesure où nous travaillons à instaurer quotidiennement des valeurs d'amour fraternel dans nos vies. Ne croyez pas que c'est facile, dans ce monde fondé sur d'autres valeurs, totalement opposées à l'amour fraternel. C'est pourquoi Paul parle des " douleurs de l'enfantement " du monde nouveau, et en même temps exprime sa certitude d'avoir part à la gloire de Dieu, avec le Christ, comme le Christ.

Durant sa vie terrestre, Jésus avait multiplié les " signes " de ce monde nouveau fondé sur l'Amour. Relisez l'Evangile et vous verrez que ce qu'on appelle les miracles de Jésus sont autant de signes : restauration de l'homme dans sa dignité, son intégrité, sa liberté ; et annonce de l'univers libéré de ses conflits, un univers réconcilié. L'apôtre Jean, dans l'Apocalypse, a la vision-révélation de ce monde enfin réussi : " Dieu demeurera avec les hommes, et ils seront son peuple, Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux et la mort n'existera plus ; et il n'y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse, car la première création aura disparu. "

C'est ce que nous annonçons chaque fois que nous célébrons l'Eucharistie, en faisant mémoire du Seigneur, " qui nous a rompu le pain, qui nous a donné son sang, pour un monde nouveau, pour un monde d'amour. "

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