"Béni soit celui qui vient..." 

Attirance et rejet 

 

Jésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem. A l'approche de Bethphagé et de Béthanie, sur les pentes du mont des Oliviers, il envoya deux disciples : " Allez au village qui est en face. A l'entrée, vous trouverez un petit âne attaché : personne ne l'a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Si l'on vous demande : 'Pourquoi le détachez-vous ?' vous répondrez : 'Le Seigneur en a besoin.' Les disciples partirent et trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. Au moment où ils détachaient le petit âne, ses maîtres demandèrent : " Pourquoi détachez-vous cet âne ? " Ils répondirent : " Le Seigneur en a besoin. " Ils amenèrent l'âne, jetèrent leurs vêtements dessus, et firent monter Jésus. A mesure qu'ils avançaient, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin. Déjà Jésus arrivait à la descente du mont des Oliviers, quand toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus : " Béni soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! " Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : " Maître, reprends tes disciples ! " Mais il leur répondit : " Je vous le dis : s'ils se taisent, les pierres crieront. "

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 19, 28-40

DIMANCHE DES RAMEAUX (C)

oOo

Contraste.

Alors que l'évangile de Jean place l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem juste avant le récit de la passion, les trois évangiles synoptiques la situent bien avant l'arrestation. Entre les deux événements, il y a, particulièrement dans l'évangile de Luc, un certain nombre d'allées et venues et de discours de Jésus. Une période assez longue pour que l'évangéliste puisse écrire : " Pendant le jour, il était dans le Temple et il enseignait, mais il s'en allait passer la nuit sur le mont des Oliviers " (Luc 21, 37).

La liturgie de ce dimanche des Rameaux, par contre, juxtapose les deux événements, ce qui crée un effet de contraste qui donne à réfléchir. Au matin des Rameaux, Jésus est accueilli comme un roi par la foule de Jérusalem. C'est un triomphe. C'est à peine si quelques voix s'élèvent, dans le parti des pharisiens, pour demander à Jésus de faire taire la foule. On ressent, à la simple lecture de l'évangile, tout l'enthousiasme d'une foule qui acclame Jésus comme le Roi tant désiré, tant attendu : il est certainement le Messie annoncé, celui qui vient faire la révolution, chasser l'occupant romain et redonner à son peuple l'indépendance, la prospérité, la grandeur tant désirées. Et puis, la liturgie de ce dimanche se poursuit avec la lecture de la Passion. Et là, il n'est plus question de triomphe, mais bien d'un rejet. La foule, la même qui l'avait acclamé sans doute, va crier " à mort ".

Un malentendu.

Que s'est-il passé ? On peut analyser les deux événements en y voyant simplement l'effet de la versatilité d'une foule plus ou moins manipulée. Et certes, on le sait bien, il est assez facile de manipuler des foules. Nous en avons eu des exemples à toutes les époques de l'histoire, et encore de nos jours. Mais dans le cas précis, je crois qu'il y a eu autre chose, comme un énorme malentendu entre Jésus et ses concitoyens. Le proverbe dit : " Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ". Eh bien, ce fut le cas des auditeurs de Jésus, disciples compris. A de nombreuses reprises, Jésus avait annoncé le sens de sa mission. Que de fois il avait essayé de leur faire comprendre que son projet n'était pas politique, du moins au sens où l'entendaient ses interlocuteurs. Que de fois, il avait expliqué que l'opposition qu'il rencontrait de la part des autorités religieuses d'Israël le conduirait nécessairement à un rejet, et, pire, à une mort ignominieuse. Les gens n'avaient pas voulu l'entendre. Et au matin des Rameaux, ils poursuivaient leur rêve éveillé. Ils croyaient que c'était enfin arrivé, le jour de la revanche. Et puis voilà : les jours étaient passés, et Jésus n'avait rien fait, que de parler, de parler. Chaque jour, il venait au Temple, très tôt le matin. On venait l'entendre, et il enseignait, il discutait, il expliquait. Mais ce n'était pas cela qu'on attendait de lui. Pas des paroles, mais des actes. Et progressivement, la déception les avait gagnés. Ils n'en voulaient plus, de ce Messie-là ! lls ne voulaient pas comprendre que la seule force dont se servirait Jésus, c'était la force de la Parole. Une force qui ne contraint pas. Une force qui laisse libre. Alors, ils se sont révoltés. Vieille révolte des hommes contre un Dieu qui nous laisse libres. Aujourd'hui encore.

Et un refus.

De nos jours encore, combien de chrétiens refusent en secret un Dieu de faiblesse, un Dieu mendiant, le " Très-Bas ", comme l'écrivait Christian Bobin. Ils rêvent d'un Dieu fort, le " Très-Haut ", le Tout-Puissant, " Celui qui règne dans les cieux, de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la puissance et la gloire ", comme l'écrivait Bossuet. Le scandale de la croix, il est aussi actuel qu'au temps du Christ, qu'au temps de saint Paul Trop dur, trop horrible. On veut bien suivre Jésus dans ce qu'il a d'aimable, de souriant. On adhère à cet homme qui se présente comme l'ami des pauvres, des malades, des exclus. On adhère à son œuvre de bienfaisance. On en ferait facilement un bienfaiteur de l'humanité. Mais de là à "le suivre jusqu'à la croix", il y a un saut à faire, qui est difficile, pour ne pas dire scandaleux.

Pourtant, nous pouvons bien l'évacuer : nos croix seront toujours là. Nos propres croix et celles de notre humanité d'aujourd'hui. Elles sont là, dressées dans les cinq parties du monde par la haine homicide. Et si nous ne reconnaissons pas le Christ comme celui qui vient s'y clouer pour être Dieu-avec-nous et recueillir dans sa souffrance toutes nos souffrances, nous n'avons pas le droit de nous dire chrétiens ; et surtout c'est que nous ne savons pas qui est le Dieu de Jésus Christ : celui qui est l'Amour, un amour inouï qui vient nous ressaisir et nous réhabiliter jusque dans l'extrême de notre mal.

Une simple erreur.

Quand les foules de Jérusalem accueillent le Christ comme celui qui va prendre le pouvoir, elles ont partiellement raison. Simplement, elles se trompent sur la nature de ce pouvoir. Par sa mort et sa résurrection, Jésus va prendre le pouvoir sur la volonté de puissance, sur l'esprit de domination, sur tout ce qu'on appelle habituellement le " pouvoir ". Il va nous libérer de la nécessité de nous imposer, de la tâche épuisante de surclasser. Jésus, sur la croix, se présente en vainqueur de la violence et de toute puissance. " Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ", écrira saint Paul. Et il ajoute : " Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort ". Paradoxe de l'Evangile. Ne nous trompons pas de sens. La réussite de notre vie, comme la réussite de notre humanité, n'est pas au bout d'une recherche du pouvoir qui écrase et asservit, mais, avec Jésus, dans la volonté de servir les frères, et de manifester ainsi l'Amour infini de Dieu.

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