THEOLOGIE "POUR LES NULS" CETTE ANNEE 2005 : La Création. ![]()
"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l'univers visible et invisible."oOo 2e séquence : Bible, Création et liberté 1 - Objection, votre honneur !
Je n'ai pas demandé à venir au monde. On me dit que Dieu m'a créé. Alors, de quel droit ? Est-ce ainsi qu'il respecte ma liberté ? Nietzche, Marx, Freud, Sartre reprennent le même argument. Refus de Dieu. Si Dieu me crée, je ne suis pas libre. Si je suis libre, Dieu n'existe pas. Croire en Dieu, c'est se rendre esclave. Et si je suis vraiment un homme, mon devoir est de transférer à l'humanité le pouvoir qu'on attribuait autrefois à Dieu. Je le sais : je résume un peu trop sommairement la pensée de ces philosophes qui ont marqué le siècle dernier, mais cette pensée, même informulée, court encore dans l'esprit de beaucoup de nos contemporains : ils considèrent Dieu comme celui qui opprime, surveille, voire punit. Donc je ne me sens pas libre. Je reste dépendant, soumis au pouvoir suprême. Il s'agit donc de nous demander à quelles conditions notre foi en Dieu créateur peut se concilier avec notre liberté. En d'autres termes, il s'agit d'un " débroussaillage " : rechercher comment Dieu créateur, non seulement ne nous asservit pas, mais encore fonde notre liberté.
2 - L'idée qu'on se fait de Dieu dans la culture contemporaine ne vient pas que de la Bible, ni de la prédication chrétienne, ni des philosophes, mais aussi du comportement global de l'Eglise. Prenons un exemple. L'Eglise a tendance à légiférer en matière morale, non seulement en rappelant simplement quelques principes, mais en intervenant jusque dans les plus petits détails concernant la conduite des fidèles. Elle allonge ainsi indéfiniment la liste du permis et du défendu. Résultat : pour les gens, Dieu apparaît comme un tyran et un ennemi de la liberté. Voir l'histoire de la pilule. Il en est de même pour quantité de choses. L'Eglise a tendance à tout contrôler. Rappelez-vous l'Index, les diverses censures. Egalement cette tendance à tout superviser au lieu de faire confiance. Pour n'importe quoi il faut des " mandats " des évêques, des " lettres de mission ". Où est l'initiative et la créativité chez les fidèles ? Dans un tel contexte, tout ce que l'on peut proclamer au sujet de Dieu libérateur et créateur de liberté est inutile. Ce n'est pas entendu. Ce qui est reçu, c'est l'image impliquée dans le comportement de l'Eglise. Bien sûr, il y a eu des progrès depuis cinquante ans, mais les clichés ont la vie dure, et beaucoup de gens vivent encore avec l'image d'une Eglise qui interdit et réglemente, et cette image de l'Eglise retentit sur l'image qu'on se fait de Dieu. Il faut donc pousser à la roue pour que ça change.
3 - Partir de la Bible.
Contrairement à ce que nous pourrions imaginer, nous ne commencerons pas notre investigation par les deux récits de la création, aux deux premières pages de la Bible. Pourquoi ?
Il faut nous rappeler que la Bible, c'est un ensemble de livres qui racontent l'expérience religieuse d'un peuple, Israël. Avant l'écrit, il y a eu l'oral : une transmission par la parole, de générations en générations. Puis ces récits ont été mis par écrit, comme des collections de textes disparates jusqu'aux derniers rédacteurs, ceux qui ont produit les textes de notre Bible actuelle. Les traditions orales provenaient de communautés différentes, implantées dans des régions différentes de la Palestine, et à des époques très différentes les unes des autres. Enfin le genre littéraire des éléments qui constituent la compilation définitive varie d'un texte à l'autre. Dans la Bible, il a des livres d'histoire, des poésies, des légendes, des fables, des paraboles. Le rédacteur final avait une intention bien précise en transcrivant, en amalgamant, en modifiant. Il voulait dire quelque chose à une communauté déterminée qui vivait longtemps après les auteurs primitifs des traditions orales. Cette expérience religieuse d'Israël, nous la regardons comme inspirée.
On y voit une relecture de l'histoire. Pour Israël, cette expérience est interprétée comme une alliance, une alliance qui s'est formée dans une histoire. C'est l'histoire du peuple Hébreu qui est le terrain, le fondement de la Bible. D'où l'importance des livres historiques, même si les rédacteurs ne conçoivent pas l'histoire comme nous aujourd'hui. Pas de faits bruts, mais toujours une interprétation du fait brut. Une lecture prophétique de ce fait historique.
Une lecture prophétique, qu'est-ce que c'est ? Essentiellement, regarder les événements avec les yeux de la foi. Un regard de foi, donc essentiellement un regard inspiré par l'Esprit. A partir d'un événement, le prophète élargit son regard à l'ensemble de l'histoire d'Israël. Le fait présent qu'il rapporte, pour lui, s'inscrit dans une trajectoire. C'est surtout cette trajectoire qui l'intéresse. C'est pourquoi, certaines fois, il pressent même l'avenir. L'histoire d'Israël, c'est l'histoire d'un peuple avec Dieu, prise dans son ensemble et déchiffrée comme une alliance, conclue, rompue, reniée, renouée.
Mais dans la Bible, il n'y a pas que des textes des prophètes. Il y a aussi toute une littérature de sagesse. A partir de l'histoire de son peuple, le sage élargit sa vision jusqu'à la condition humaine en général. Textes de sagesse, relecture d'un quotidien, d'un art de vivre, mais aussi toute une véritable philosophie de l'existence humaine. Ce qui se passe entre Dieu et son peuple, c'est une illustration de ce qui se passe toujours et partout avec tous les hommes.
Dans la Bible, à côté des textes historiques, prophétiques ou des livres de sagesse, il y a aussi des poésies, des prières, et quantité de textes juridiques.
4 - Peut-on faire l'histoire de la création ?
Sous cet éclairage, qu'en est-il des " récits de la création " ?
D'abord, bien sûr, on n'a pas de textes " historiques " sur lesquels les auteurs bibliques auraient pu réfléchir. L'histoire se fait avec des documents et avec des récits de témoins. Rien de tout cela ici. Pas de témoins du point zéro. De plus, il faut toujours nous rappeler que la création n'est pas, à proprement parler, dans le temps : ne pas confondre le commencement, le surgissement, avec l'origine. Mon commencement personnel, c'est ma conception et ma naissance ; mais mon origine, c'est Dieu. Donc, pas d'histoire de la création. Alors, les auteurs bibliques vont-ils réfléchir dans le vide ? S'il n'y a rien à interpréter, il ne peut pas y avoir interprétation. Les auteurs bibliques vont opérer une substitution. Comme il n'y a pas de noyau historique en ce qui concerne la création, ils vont substituer à ce noyau historique absent, en ce qui concerne la création, l'histoire même du peuple d'Israël. C'est dans cette histoire, dans cette expérience collective, interprétée par les prophètes, élargie par les sages aux dimensions de l'humanité dans l'espace et dans le temps, jusqu'au commencement des temps, qu'Israël va lire le pourquoi et le comment de la création. Mais en quoi consiste exactement l'expérience historique d'Israël ?
5 - L'événement fondateur est une libération.
Ce peuple s'est créé en tant que peuple grâce à une libération. C'est la sortie d'Egypte, le passage de la mer Rouge, le Sinaï et la longue marche au désert avant l'entrée dans la terre promise qui constituent le foyer initial. Tout va sortir de là. Toute l'histoire d'Israël comme peuple. Ce qui précède, Abraham, Isaac et Jacob, ce n'est pas de l'histoire : c'est une lecture après coup des traditions des tribus nomades dans lesquelles Israël reconnaît ses ancêtres.
Alors, comment apparaît Dieu, à la lumière de la foi des prophètes, dans ce qui s'est passé à l'exode ? Essentiellement comme libérateur. Il libère cette masse d'esclaves pour en faire un peuple d'hommes libres, son peuple. Donc, avant tout, Dieu se présente comme libérateur. Bien avant qu'il ne soit perçu comme créateur. Relisez le récit du buisson ardent (Exode 3). Dieu n'y est pas nommé créateur mais, premièrement Dieu des pères (Abraham, Isaac et Jacob), donc un Dieu engagé dans une histoire avec les hommes ; deuxièmement, il est Celui qui libère de l'esclavage d'Egypte ; troisièmement, il est cela parce qu'il est, par opposition aux idoles qui ne sont pas et donc qui ne peuvent rien.
6 - L'Exode est création d'un peuple. Pas seulement libération, pas seulement sortie de l'esclavage. Ni même l'expérience de tribus disparates qui se libèrent et se constituent comme nation indépendante. Ici, Dieu apparaît comme celui qui fait un peuple et lui donne une loi, à laquelle le peuple est invité à adhérer librement. Pour qu'il y ait une nation, en effet, il faut des lois. Au Sinaï, les tribus deviennent peuple en recevant une loi qui est Parole de Dieu. Formé par la parole de Dieu, ce peuple devient Peuple de Dieu. C'est cette Parole de Dieu qui nous est présentée comme créatrice d'un peuple. La Loi n'est pas vue comme un produit des hommes, mais comme Parole de Dieu. Le peuple naît d'elle. Dieu nous apparaît donc comme créateur de son peuple, puisqu'il fait quelque chose là où il n'y avait rien et il le fait par sa Parole. Alors, prophètes et sages vont extrapoler : chaque fois qu'il y a quelque chose, n'importe où et n'importe quand, il y a présence active de cette source d'existence qui se nomme " celui qui est ". Même au commencement de toute chose.
7 - La création racontée en forme d'exode.
Nous allons voir que les récits de la création (Genèse 1 et 2) se calquent sur les récits de l'exode. D'ailleurs, les récits de l'exode ont été écrits longtemps avant les récits de la création. Exemple de cette manière de calquer : le couple de mots " prendre-installer ". Les récits de l'Exode rappellent que le peuple a été pris de l'Egypte et installé en Canaan. De même, Adam est pris de la terre et installé dans le jardin d'Eden, une terre toute plantée comme la terre promise. Dans le premier cas, c'est Israël qui est créé, dans le deuxième, c'est l'homme. Restons-en à ce simple exemple. Les détails de Genèse 1, 2 et même 3 nous montrent que les auteurs nous racontent, à propos de la naissance du monde, ce qui s'est passé à la naissance d'Israël au désert, péché compris.
Vous remarquerez que la Bible ne présente pas Israël comme passif, dans le processus de sa libération et de sa création comme peuple. Il est partie prenante de cette libération et de cette création. Moïse doit partir en Egypte, aller trouver le pharaon, etc. Plus tard, c'est le peuple qui marche vers la terre de la liberté. Dieu est comme une énergie spirituelle à la disposition du peuple. Il est l'allié d'Israël, de l'homme dans sa libération et sa création. Puissance amicale qui fait exister et avancer. C'est là que se joue le drame de la liberté d'Israël : va-t-il accepter de croire au bonheur possible et offert, faire confiance à la puissance de vie et de libération ? Ou bien va-t-il se retrancher dans des attitudes de défiance et d'avarice ? Le peuple à la nuque raide a peur de son destin, c'est-à-dire de la vie et de Dieu. Attitude d'Israël, attitude de l'homme au jardin d'Eden. Le veau d'or et l'arbre de la connaissance disent des choses semblables.
(A suivre, en mars)
Ces séquences sur "Dieu créateur" s'inspirent largement d'une série de M. Domergue dans "Croire aujourd'hui" en 1981
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