THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE 2005 : La Création.

"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l'univers visible et invisible."

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5e séquence : L'homme actif en sa création (suite)

Retour à la Bible

Dieu liberté, Dieu créateur de liberté : c'est toute la Bible. Rappelez-vous l'Exode, expérience fondamentale du peuple d'Israël. Ces gens qui viennent d'être libérés marchent vers la terre promise. Cette liberté qui leur est offerte vient certes de Yahweh-libérateur, mais il va falloir que le peuple fasse l'apprentissage de cette liberté toute neuve pour pouvoir se constituer en peuple, pour accéder à son identité, à sa création. Il faut les deux : don de Dieu, initiative des hommes.

De même, le thème de l'alliance : pour qu'il y ait alliance, il faut être deux. Et si Dieu a l'initiative première, il faut une réponse du peuple élu. La liberté de Dieu ne peut s'exercer que par l'intermédiaire de la liberté humaine. Et lorsque le peuple hébreu écrit les "récits de la création", il le fait en se souvenant de sa propre expérience : ce qui est arrivé au peuple de l'Alliance est typique de ce qui arrive à tout homme depuis le commencement.

C'est pourquoi, si vous relisez les textes du livre de la Genèse, vous pourrez remarquer des composantes d'activité et de passivité. Et la loi donnée au jardin d'Eden (tu mangeras ceci et tu ne mangeras pas de cela) est la loi de vie et de mort. Dieu-libérateur a créé l'homme libre, c'est-à-dire capable aussi bien de choix créateurs que de choix dé-créateurs.

Proximité.

Si nous envisageons la création comme un acte indivisible de Dieu et de l'homme, comme un lien de rivière à source, de parole à bouche, nous remarquerons que Dieu est dans une proximité extraordinaire avec nous. L'apôtre Paul écrira que "c'est le Christ qui vit en moi." Il y a en nous ce secret qui nous fait être, qui est la vie qui nous fait vivre. Nous ne pouvons pas nous détacher de cette présence, ni même nous en éloigner, si peu que ce soit. A moins de choisir de ne pas être. Rappelez-vous le prologue de l'évangile de Jean : "Au commencement était le Verbe...tout ce qui vit est vie en lui." Nous sommes donc continuellement en train de jaillir de Dieu "comme le ruisseau coule de la source, comme du soleil coulent les rayons" (saint Ignace). Notre propre existence est participation à l'être de Dieu. Se mettre à exister, c'est entrer en Dieu ; d'une certaine façon, c'est devenir Dieu. L'acte créateur, c'est comme un appel de Dieu à venir à lui, à venir en lui. A partir de rien, car c'est cet appel lui-même qui nous constitue. Nous ne sommes que réponse, et nous ne sommes rien avant la réponse.

Panthéisme.

Le panthéisme est une doctrine qui prétend que Dieu est tout et que tout est Dieu : la créature est simplement une part de Dieu. Dieu est la totalisation, la somme additionnelle de tout ce qui existe. Alors, ce que nous venons de dire, n'est-ce pas du panthéisme ? Il s'agit de bien préciser notre foi en Dieu créateur.

D'abord, pour être, Dieu n'a pas besoin de la créature. Il existe en lui-même. Comme Père il engendre le Fils et l'Esprit procède (est issu) de l'amour, de la relation Père-Fils. Il ne s'agit pas d'une création : il s'agit de l'échange par lequel Dieu est. Seule définition de Dieu possible : Dieu est relation. Disons, comme la Bible, que Dieu est antérieur à tout. C'est très important de bien noter cette source radicale de distinction entre Dieu et le reste. Il y a une différence essentielle entre la nature humaine et la nature de Dieu, entre être homme et être Dieu.

Et pourtant, dans sa première lettre, l'apôtre Pierre explique que notre état final, notre création achevée, nous fait participants de la nature divine. De quelle participation s'agit-il ? Ou, plus précisément, comment participons-nous à Dieu ?

Participation.

Dieu crée l'homme par l'intermédaiire de la liberté humaine. Ou plutôt, pour que la création ait lieu, il faut que l'homme s'y engage, qu'il soit d'accord, qu'il coopère. Et d'abord, qu'il se laisse créer. Ensuite, qu'il choisisse dans le sens d'un être plus homme, donc dans le sens d'un plus-être tout court. Et cela, dans les réalités les plus concrètes de notre vie. Sans cesse, nous devenons ce que nous n'étions pas encore. Puis-je parler d'un supplément d'existence alors que je vieillis, que tous mes organes connaissent une certaine décrépitude ? Oui. Supplément d'existence, qui se traduit par un plus-aimer, une confiance accrue. Bien plus, dans ce processus de création, l'intervention de notre propre liberté introduit une distinction radicale entre l'homme et Dieu. Parce qu'il y a deux libertés, la liberté divine et la nôtre, il n'y a pas identité de nature. Je ne suis pas Dieu. Mais parce que j'ai mon mot à dire, je ne suis pas fabriqué comem un objet qui sort de la main de son créateur. Dieu n'a pas toute l'initiative et toute la liberté. Parce qu'à la base de tout, il y a cette réalité d'une Alliance ( il faut être deux), il y a le jeu de deux libertés, donc accord ou désaccord. Deux libertés, donc possibilité d'amour. Dieu nous a créés "à son image" dit la Bible : donc, pour Dieu, créer l'homme revient à créer une liberté. Et par conséquent, je ne parlerai pas du déroulement de mon existence comme d'un destin : il est une création. Il est oeuvre divine et oeuvre humaine. Nous ne sommes ni téléguidés ni programmés : nous sommes fondés, et ce que Dieu fonde, c'est notre liberté. Liberté d'être, donc de participer à l'Etre qu'il est.

Liberté humain : nous ne sommes pas Dieu, mais grâce à cette liberté, nous sommes comme Dieu, "à son image" et nous pouvons participer à lui.

Tout est Pâque.

Dieu m'attire à lui, à son être propre, et je peux répondre librement à cet appel. Il s'agit donc d'un chemin, avec des "passages", d'un moins à un plus, d'un rien à un tout. Il y a "passage" au Père, dans une démarche créatrice, pour atteindre une réelle communion avec lui.

Nous voici sur un itinéraire finalisé : ma vie a un but, elle a un sens. Nous allons vers quelque chose qui est à la fois nous et Dieu. C'est la perfection de l'Alliance. "Dieu est en quelque sorte au travail à travers les éléments, les plantes, les animaux et l'homme lui-même." (Saint Ignace). Dieu est au travail à travers l'histoire des hommes. Comme un incessant appel, comme une force d'attraction. Mais nous restons toujours libre de répondre à cette attraction ou de nous y refuser.

Signes des temps ?

Dieu crée donc parl'intermédiaire de l'activité et de la liberté des créatures. "Que la terre produise des végétaux, que la terre produise des animaux", dit la Bible. La fécondité de la Parole investit ce qu'elle produit et crée une créature créatrice. Donc, si Dieu crée par l'intermédiaire de la liberté créée, s'il produit la créature par le jeu même de la créature, nous n'avons pas à chercher Dieu dans des interventions extraordinaires, hors du fonctionnement iordinaire de la création. Et donc il faut faire attention quand on parle des "signes des temps", comme si on pouvait trouver Dieu uniquement dans des "signes des temps" particulièrement éclatants. Comme si Dieu, qui d'ordinaire n'intervient pas, se mettait à intervenir davantage, de manière privilégiée, dans tel ou tel phénomène. Dieu n'est pas un "intermittant". Peut-on parler des signes des temps ? Oui, mais seulement si nous y cherchons, si nous y voyons des signes des temps et non pas directement de Dieu. En d'autres termes, il y a dans l'histoire des phénomènes qui nous interrogent avec plus de force, surtout aux périodes de grandes mutations, comme la nôtre. En face de ces phénomènes, nous ne pouvons pas rester indifférents. Il nous faut prendre position, et donc chercher à comprendre, à trouver sens. Notre réponse doit s'inspirer de l'Evangile. Le signe des temps est un fait brut, provenant du jeu antérieur des libertéshumaines. Il "vient" de Dieu comme en vient le minéral ou l'arbre, ou l'homme, pas davantage : il n'est pas le fruit d'une intervention divine particulière. Dieu ne donne pas des coups de pouce aux événements pour modifier les lois de la nature. Mais ce phénomène brut devient signe pour le croyant. A l'occasion d'un phénomène important - la mondialisation par exemple - l'Esprit m'invite à réagir, à prendre des attitudes évangéliques, à discerner et à mettre dans le monde plus d'humanité, bref, à me créer à l'image de Dieu. Le monde pose une question, je mets Dieu dans ma réponse. Finalement, face à tout événement, je suis appelé à me construire dans la foi.

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Voilà. C'est tout pour aujourd'hui. Et comme vous avez été bien assidus et très courageux pour suivre jusqu'ici, pour vous en remercier, je vous joins le beau poème de la Création que m'adresse aujourd'hui un correspondant belge. Ce poème est l'oeuvre d'un exégète, professeur à l'Université de Louvain.

 

Création
lecture et réécriture de Genèse 1, 1-24

 

Quand Dieu se met à créer l'univers,
La terre est un incroyable chaos,
" Tohu bohu " sans vie ni lumière.
Alors Dieu parle, et ses premiers mots
Illuminent la nuit. Et il fait jour.
Dieu voit la lumière : qu'elle est belle !
Alors il sépare la nuit du jour
Et puis par leurs noms, il les appelle.

Il y a un soir et puis un matin
Premier jour

° ° °

Dieu avise alors cette boule d'eau
Immense qui n'a rien d'habitable.
Il se dit qu'après tout ce serait beau
D'y faire la maison des possibles.
D'une parole, il la coupe en deux
Par le milieu et ouvre un espace
Séparant les eaux qui sont sur les cieux
Des eaux qui sont dessous, en surface.

Il y a un soir et puis un matin
Deuxième jour.

° ° °

Mais comment habiter ces eaux où rien
N'est solide ? Comment vivre sans sol
Stable où assurer son pas ? Dieu
Revient à la tâche ; d'un mot, il crée le sol.
Il entasse les eaux dans l'océan :
C'est la mer. Et là où sèchent les eaux,
C'est la terre. Alors se reculant,
Dieu s'émerveille : que c'est bon et beau !
Une maison tout de brun et de bleu
C¹est plutôt monotone. Un habit
Vert lui irait mieux. Sans plus tarder
Dieu la décore de plantes, d'un tapis
De verdure ­ herbes, blés et arbres ­,
La parsème de fleurs et leur donne
Semences. Alors, d'un regard tendre,
Il la contemple et la trouve bonne.

Il y a un soir et puis un matin
Troisième jour.

° ° °

Comme Dieu sent qu'est douce la maison,
Il se prend au jeu et cherche où il peut
L'embellir encore. Son intervention ?
Des lustres accrochés en haut des cieux,
Comme lampes au plafond. le soleil
Est pour le jour, étoiles et lune,
Lumières pour la nuit. Et le soleil
Sonne l'heure à l'horloge divine :
Comme est beau tout ce qui illumine !

Il y a un soir et puis un matin
Quatrième jour

° ° °

Une maison sans bruit, sans mouvement,
Une maison sans habitants, Est-ce
Vraiment une maison ? Cet océan
Est un lieu rêvé pour toute espèce
De poissons, de crustacés, d'animaux
Marins ! Ce ciel, quelle belle volière,
Espace et liberté pour les oiseaux,
Les papillons, tout ce qui peuple l'air !
Et voir tous ces vivants, quoi de plus beau ?
Et Dieu bénit qu'ils prolifèrent.

Il y un soir et puis un matin
Cinquième jour.

° ° °

L'océan et le ciel, tout débordant
De vies foisonnantes, osent alors
Arracher Dieu à son étonnement
Et lui disent que la terre dort encore.
Qu¹elle engendre comme eux toutes sortes
De vivants : insectes, quadrupèdes,
Reptiles ! Plus de nature morte !
Et Dieu imagine d'autres bêtes
Pour la terre et la vie en déborde.
À la voir, Dieu a le coeur en fête.

Une fois sa demeure achevée,
Palais de vie plein de soleil, Dieu dit :
" À qui donner cette maison rêvée ?
L'humanité habitera ici ! "
Femmes et hommes, à son image
Il les crée, pour confier à leur soin
La gestion de la terre. " En sages
Intendants, vous saurez créer demain
Le monde et sa richesse, à l'image
Du Dieu vivant qui donne à pleines mains. "

Il dit aussi : " Maitrisez les bêtes,
Mais ne les tuez pas ! Voyez les fruits
Des arbres, le blé, le vin de fête ;
Et toute verdure est pour votre vie ! "
Et Dieu se prend à rêver d'un monde
Sans violence, d'une terre où l'amour
Serait créateur et où la ronde
Des vivants serait poème de jour
En jour. Et Dieu contemple ce monde :
Qu'il est beau le chant du coeur de l'amour !
Et il y a un soir et puis un matin
Sixième jour.

° ° °

Le septième jour,
pour que tout soit bien,
Dieu se fait léger, imperceptible
Comme un murmure, ou comme une main
Dont la caresse effleure, insensible,
Mais douce, le coeur des créatures.
On dit qu'il se repose ! Il se fait
Discret, il accepte la blessure
De l'absent et, à l'écoute, il se tait
Attendant un mot qui le rassure :
Le oui de l'homme à la vie, à l'amour ?

° ° °

Mais qui sait ? Peut-être ­ en grand secret ­
Espère-t-il pour lui un peu d'amour ?

C¹est aujourd'hui, je crois, que si Dieu crée
Cieux et terre, de ses mains,
Il se retire pour que l'homme crée
Terre et cieux de demain.

 

André Wénin

 

(prochaine séquence : début juin)

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