THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE 2005 : La Création.

"Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre,
de l'univers visible et invisible."

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6e séquence : Dieu créateur. Où le rencontrer ?

Pas dans l'inexpliqué !

Poursuivons notre recherche. Evidemment, nous avons une manie : on ne cherche Dieu que dans les choses extraordinaires, dans ce qu'il y a de mystérieux et pas encore inexploré, dans les lacunes du savoir humain, dans ce que la science n'a pas encore expliqué. Alors on est tentés de se réjouir si un savant avoue "qu'il ne sait pas", qu'il ne peut pas expliquer tel phénomène. C'est là qu'on place Dieu, comme si Dieu pouvait se contenter d'un domaine limité : Dieu lié à l'inexplicable (qui d'ailleurs se rétrécit de plus en plus). Car ce qui est inexplicable sera expliqué demain, et donc le domaine de Dieu irait en se rétrécissant. Etrange foi que celle qui ne voit le doigt de Dieu que là où la science n'a pas encore fait la lumière. Ce n'est pas cela que dit la Bible. Certes, elle s'émerveille de ce qu'il y a d'incompréhensible dans la création, mais c'est toujours une démarche d'humilité, pour admirer combien Dieu est plus intelligent que l'homme. Mais elle n'en reste pas là. Elle nous invite à découvrir l'action de Dieu dans les choses connues plutôt qu'à travers de ce que l'on ne connaît pas. Relire Romains 1, 19-23, où saint Paul explique que les perfections invisibles de Dieu sont visibles pour l'intelligence humaine dans ses oeuvres. Et Dietrich Bönhoffer déclare qu'il convient de trouver Dieu dans la vie plutôt que dans la mort, là où se fait l'histoire plutôt que là où elle piétine. Saint Augustin explique que celui qui est incapable de trouver Dieu dans un brin d'herbe est également incapable de le trouver dans les mystères vertigineux des espaces infinis. Bref, le lieu de la rencontre de Dieu n'est pas dans le mystérieux, l'inconnaissable, mais dans le quotidien, le connu, l'exploré. En toutes choses.

En toutes choses.

C'est dans les "lois naturelles" elles-mêmes que la foi peut trouver Dieu créateur. Saint Ignace, dans ses Exercices Spirituels, invite "à regarder comment Dieu habite dans les éléments, leur donnant d'être ; dans les plantes, leur donnant en plus la croissance ; dans les animaux, leur donnant l'être, la croissance et la sensibilité ; dans les hommes, leur donnant tout cela et en plus la connaissance et l'amour." Voila un chemin pour approcher Dieu créateur : l'émerveillement devant ce qui est ordinaire. Et si la science nous parle de l'évolution comme d'une loi certaine de la nature, nous trouverons Dieu dans l'évolution.

Ce qui nous permettra de ne pas commettre l'erreur courante qui consiste à voir l'action de Dieu dans l'inexplicable et dans les événements fortuits. Nombreuses sont les choses qui nous arrivent, pour lesquelles nous n'avons pas d'explication. Alors on parle de Providence s'il s'agit d'événements heureux ; mais s'il s'agit de malheurs, on parlera d'épreuves que Dieu nous envoie. Comme si Dieu intervenait directement pour provoquer l'événement. Un Dieu qui tire les ficelles ! Mais si nous réfléchissons, nous nous dirons que ces événements sont le fruit d'une multitude de causes ignorées. Dans ces circonstances, nous sommes simplement invités à réagir selon l'Esprit. Du coup, Dieu est là, nous rejoignant et nous invitant simplement à nous comporter en disciples du Christ.

La création au futur

Dans les précédentes séquences, nous avons vu que la création n'était pas seulement l'oeuvre de Dieu, mais qu'elle nécessite la collaboration de l'homme. Nous sommes objets du travail de Dieu, mais en même temps il faut que nous participions à ce travail. Tout cela nous est révélé dans la Pâque du Christ. "C'est pour ce travail (cette oeuvre) que je suis venu dans le monde", dit-il. L'Ecriture explique qu'il s'agit précisément du "retour de ce monde à son Père." Retour - Exode - vers la Source. Exode à partir du rien figuré par le mort. C'est pourquoi le Nouveau Testament présente la résurrection, terme de la Pâque, comme une naissance. Naissance dans la douleur, mais naissance qui met au monde l'homme nouveau. L'homme achevé. Il s'agit de la Genèse définitive. De la Genèse enfin achevée. Enfin, "voici l'homme". Il faut le redire : la Bible ne conçoit Dieu créateur qu'à partir de l'expérience fondamentale de la Pâque : Dieu libérateur, créateur d'un peuple, et faisant alliance avec lui.

La création, une mise en relation.

Dieu crée toujours "par". Son amour créateur s'exprime par l'intermédiaire du monde créé et la communauté humaine, dans le temps et dans l'espace. Nous sommes dans l'univers de la médiation. Nous sommes constitués, chacun de nous, dans un univers et par un univers de relation. Je nais par des parents, je me crée comme personne par le jeu de relations multiples, comme Israël parvient à concevoir Dieu comme créateur universel à la suite et à la lumière d'une expérience unificatrice : d'un ramassis de tribus et de clans disparates, Dieu fait un peuple, un peuple cohérent. L'oeuvre de Dieu est unification. L'oeuvre du Christ est réconciliation. Elevé de terre, il attire à lui tous les hommes. Réconciliation commencée, et toujours à continuer. Paul dit que c'est l'objet de son travail d'apôtre. Ce qui signifie que chaque homme ne sera vraiment lui-même qu'à la fin des temps, lorsque nous arriverons à la plénitude, à la taille parfaite du corps du Christ. Pratiquement, cela veut dire que je suis d'autant plus créé que je suis davantage relié, c'est-à-dire davantage animé par l'amour. Ce n'est que par ma participation à l'oeuvre de Dieu-Amour que je me crée. Etre créé, c'est être par les autres et pour les autres.

Vers l'unité ?

Reprenons cette perspective tirée de saint Paul, reprise par Teilhard de Chardin : l'idée de "convergence", comme une marche vers l'unité à la fin de l'histoire. L'idée est séduisante. Mais ça colle trop bien et ça met entre parenthèses les problèmes concrets. Les choses se compliquent quand on veut passer de l'ensemble au détail, du biologique à l'humain. Dans le domaine du biologique, on voit bien que plus un être est perfectionné, plus il est unifié, plus ses éléments constitutifs sont ordonnés au fonctionnement de l'ensemble. Unité et diversité marchent bien ensemble. Mais quand on passe au domaine de l'humain, le paysage change. Les relations de l'homme avec l'homme suivent leurs propres lois avec leurs paramètres économiques, sociologiques, psychologiques, politiques, etc. Nous sommes dans le domaine du jeu anarchique des libertés.

Et Dieu là-dedans ?

Dans le domaine du biologique, on a l'impression d'une montée irrésistible vers l'unité. Donc l'univers a un sens, une orientation ; il marche vers quelque chose. On peut y voir l'influx d'un Dieu créateur. Mais quand il s'agit de l'univers humain, soumis aux mécanismes divers - qui ne conduisent pas forcément à l'unité - et aux caprices des libertés, ce n'est plus la même chose ! Est-ce qu'alors on peut dire : "La main de Dieu est là, au travail pour unifier les hommes" ? Je ne le crois pas. Tout ce qui se passe entre les hommes peut s'expliquer sans intervention divine. Ce serait malhonnête de vouloir annexer, par exemple, tous les efforts humains de solidarité, de pacification, le mouvement de socialisation, en disant : voilà le Royaume de Dieu en marche ! Dans tous ces cas, l'hypothèse Dieu n'est pas nécessaire. Nous devons au contraire constater "l'absence de Dieu". La foi reste une démarche libre. On ne peut pas prouver la nécessité de la foi.

Un autre sens ?

Par la foi, pourtant, nous pouvons trouver un autre sens à tout ce rationnel explicable : la foi n'introduit pas d'éléments nouveaux, mais elle prend l'explication rationnelle et lui trouve une autre dimension, un autre sens : la création en marche. Mais, d'abord, rappelons-nous que la foi reste du domaine de la liberté. C'est la liberté humaine qui trouve et confère ce sens au donné brut, et elle puise cette dimension dans le message de l'Ecriture. Ce qui existe devant nous, aujourd'hui même, et notamment des phénomènes comme la mondialisation, est comme inerte et muet, ou ne disent que ce qu'on leur fait dire. Faire dire quelque chose aux réalités muettes, leur conférer un langage et une signification, c'est une démarche hasardée, risquée? Loin de leur faire dire n'importe quoi, il faut leur faire dire leur vérité la plus profonde. Et cette démarche de la parole est une démarche créatrice.

Rien n'échappe à Dieu

C'est vrai qu'alors la foi annexe tout le créé, y compris les mécanismes les plus profanes. Mais le monde pourrait-il échapper à ce qui le fonde ? Attention ! Cette annexion ne consiste pas à déclarer chrétien ce qui ne l'est pas, ce que l'on qualifie de séculier. Mais le christianisme commence avec cette reconnaissance de l'empire de Dieu sur le monde et sur l'histoire. Parlant du Christ, saint Paul déclare "Premier-né de toute créature, en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles comme les invisibles : tout est créé par lui et pour lui." Pour tout résumer, disons que notre histoire, l'histoire de la création en route, est finalisée par Dieu, mais cette histoire ne peut déboucher en Dieu que moyennant la reconnaissance par l'homme de cette emprise de Dieu. A la fois reconnaissance et acquiescement.

Perspective nouvelle

Voilà une perspective nouvelle, contraire à ce que la plupart des gens pensent quand ils disent, par exemple, "c'est le destin". Comme si les êtres suivaient leur itinéraire de toute façon et qu'on n'y peut rien changer. C'est là une conception matérialiste de l'univers. En réalité, nous ne pouvons aller vers Dieu - vers la Vie - malgré nous. Bien sûr il n'est pas indispensable de donner le même nom que nous à ce que nous appelons la Vie, donc au sens de la marche. Surtout quand le mot "Dieu", déprécié par l'usage qu'on a pu en faire, ne présente plus, pour beaucoup, ce qu'il représente pour le croyant. Le Christ attire tout à lui, mais cette attraction comporte notre adhésion. Nous ne pouvons être attirés malgré nous. C'est tout le mystère de la condition humaine et le risque que prend Dieu en créant un être semblable à lui, capable de connaissance et de liberté. Création d'un créateur, voilà le paradoxe initial. Nous sommes "nature", soumis à des lois naturelles, à des conditionnements, et une analyse de type scientifique, ou de simple bon sens, ne trouvera jamais que cela. Mais nous sommes en même temps "liberté" : une liberté capable de prendre en charge ces déterminismes, cette nature, et de leur donner un sens ultérieur, un sens qui dépasse la "nature", et de faire surgir du nouveau. C'est là le lieu de la foi.

(A suivre, début juillet)

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