LE CREDO
(Gilles Brocard)
1ère séquence : Qu’est-ce que croire ?
Cet article débute une série de 10 réflexions sur le credo (symbole des apôtres). Ce dernier a besoin d’être réinterprété à chaque époque avec des mots qui parlent à ceux qui le proclament.
Mon objectif est donc de redire, dans un langage actuel, comment je comprends ce texte qui a bientôt 1700 ans ! Parfois on me dit qu’il faudrait changer les mots du credo, dire les mêmes choses autrement pour que ce soit compréhensible à tous ! Oui certes, cela serait utile à nos contemporains, mais on perdrait alors le texte original. En fait ce travail de compréhension d’un texte ancien est à refaire à chaque génération ! Il a toujours à être interprété en lien avec l’époque dans laquelle il est lu.
Au cours de ces 10 articles, je prendrai chaque phrase du credo et je tenterai d’en extraire le sens pour nous aujourd’hui. Pour l’heure, en guise d’introduction, je voudrais commencer par ce mot « credo » qui signifie « je crois » en latin : mais qu’est-ce que croire ? Et que croire ? À quoi ça sert de croire ? Peut-on perdre la foi ? Comment l’entretenir ? Etc. Autant de questions que Murmure m’a posées sur ce sujet.
*************
Murmure : Gilles, la foi est-elle le propre des croyants ?
Gilles Brocard : non, elle est d’abord le propre de l’homme : dès la naissance, l’homme pose un acte de foi : foi en ses parents, à son professeur et plus tard à son médecin, à son conjoint, foi en son enfant quand il va à l’école ou en boîte tout seul pour la première fois. Etc… la "foi", « fides », en latin a donné le mot confiance, (cum fides = avec foi), puis fidélité, se fier, fiable, se fiancer, se confier, confidence et même fédérer, … des mots qui disent tous la confiance, comme le verbe « croire » (credere), qui consiste à donner du crédit à quelqu’un. et cela est accessible à tous.
M : et pour la foi en Dieu, c’est pareil ?
GB : croire en Dieu, c’est faire confiance en Dieu, s’ouvrir à un Autre que moi, bref, ne pas être auto-référent ! Pour les chrétiens, la foi consiste à accueillir le don de Dieu, accueillir sa Parole, qui s'est faite chair et qui se nomme Jésus-Christ. Il s'agit d'entrer dans une Alliance, dans un dialogue, dans une relation amoureuse, dont Dieu lui-même a l'initiative.
M : Pourriez-vous nous donner votre propre définition de la foi ?
GB : je dirais que la foi est une décision volontaire qui consiste à faire confiance, à s’abandonner à un (A)autre que soi. Bref, c’est une réponse d’amour à un Amour qui me précède.
M : Les chrétiens ont reçu deux « credo » : celui du symbole des apôtres et celui de Nicée-Constantinople. Quelle est la différence ?
GB : le second précise le premier. Le symbole des apôtres a été élaboré dans le contexte de l’Église de Rome au IIIe siècle. Le credo de Nicée-Constantinople lui, a été élaboré au concile de Nicée (325) dans le contexte de la crise arienne (l’Arianisme nie la divinité du Christ et refuse à Jésus le terme de fils de Dieu) et complété lors du 1er concile de Constantinople (381) pour réaffirmer la divinité de Jésus (« il est Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé » etc..). Les Pères de l’Eglise en ont aussi profité pour expliciter ce qu’ils mettaient sous le terme « Saint Esprit » que certains ne mettaient pas dans la Trinité : « Il procède du Père et du Fils, avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire » ... On imagine mal aujourd'hui, l'extraordinaire travail qu'il a fallu à nos aînés dans la foi pour exprimer le mystère du Christ à travers des mots qui sonnaient justes. Le Credo de Nicée-Constantinople complète donc le symbole des apôtres. Cette profession de foi est considérée comme œcuménique par les confessions latines, réformées et orientales. Habituellement les chrétiens proclament le symbole des apôtres le dimanche mais l’autre (le plus grand) peut tout autant être proclamé lors des liturgies. Si les chrétiens proclament le credo c’est pour se rappeler l’essentiel de leur foi, ce qui les rassemble et fait leur identité. Encore faut-il bien en comprendre le contenu.
M : Merci Gilles pour ce petit excursus historique. J’ai une autre question qui me taraude : à ton avis, peut-on perdre la foi ? Et si oui comment la retrouver ?
Je ne pense pas qu’on puisse perdre la foi comme on perd ses clés ! Ce que je sais, c’est qu’on peut cesser de croire, de donner librement sa confiance à Dieu ! C’est comme en amour, on peut aimer une personne et puis laisser cet amour s’étioler parce qu’on ne l’a pas entretenu ! Il en va de même pour la foi : la foi est quelque chose de mouvant. Comme toute relation, elle évolue compte tenu des événements qui surgissent, des étapes de la vie.
M : Pourrais-tu nous dire alors ce qui favoriserait l’oubli de la foi ?
GB : Eh bien comme je l’ai dit, le danger c’est la routine ! Comme dans une relation amoureuse, après l’effervescence des débuts, on pense que c’est acquis et nous oublions d’entretenir le feu ! Or sans entretien (prière, méditation, lecture de la Parole de Dieu, célébrations, partage de sa foi, etc…) on court le grand danger de ne plus savoir combien il est bon de sentir aimé. Alors on transforme le don en une obligation, et la relation perd toute sa saveur.
M : Y a-t-il d’autres raisons qui peuvent nous faire perdre la foi ?
Oui, j’en vois trois : une foi trop centrée sur soi, trop intéressée : or la foi est un acte éminemment gratuit. C’est un acte libre qui ne doit pas viser une bonne place au paradis ou pour éviter d’aller en enfer comme on a pu le faire croire dans le passé. Cette manière égocentrée d’avoir la foi ne tient pas dans la durée : au premier coup dur, elle ne tient plus. C’est comme aimer une personne pour les bienfaits qu’elle m’apporte ! Le jour où les désagréments arrivent inévitablement, alors on se sépare car cette relation ne repose pas sur l’amour.
Le deuxième risque, c’est une foi réduite à un savoir, à une connaissance. Il ne s’agit pas seulement de connaitre Jésus de façon livresque, mais il convient d’être en relation avec Lui. Comme dans un couple, la connaissance intellectuelle est nécessaire pour mieux aimer l’autre, mais n’est en aucun cas un but en soi ! C’est un moyen pour mieux aimer avec le cœur.
Je voudrais encore noter une fragilité pour la foi, c’est de croire que la foi est uniquement une affaire de ressenti. La qualité de la foi ne peut se mesurer à la quantité d’émotions qu’elle me procure. Parfois (et même souvent) on ne ressent rien ! Si nous avons eu la chance de vivre une expérience spirituelle forte qui nous a fait vibrer, tant mieux, mais cela ne dure pas en général. Le danger, si on ne recherche que des sensations, c’est que lorsque celles-ci se font plus rares au cours du temps, on pense qu’on a perdu la foi. Or il n’en est rien : comme dans un couple, il y a forcément des moments où ce n’est pas toujours la grande effusion pour l’autre, il y a aussi des moments très banals, sans émotions particulière, cela ne veut pas dire qu’on ne s’aime plus. Au contraire, ces moments permettent de vérifier la qualité de l’amour mutuel. Il en va de même pour la foi en Dieu : les moments où nous ne ressentons plus rien sont des occasions qui nous sont offertes pour affirmer notre foi. Alors attention au ressenti, tant mieux si vous vibrez, mais n’en déduisez pas que Dieu a déserté votre cœur si vous ne ressentez rien.
M : Et maintenant Gilles peux-tu nous dire ce qui permet d’entretenir la foi
GB : Oui, je vois trois moyens : à commencer par les doutes et les crises de foi qui, contrairement à ce que l’on croit, ne sont pas des dangers pour la foi : nous le savons bien, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille, il y a des hauts et des bas. Il en va de même pour la vie spirituelle : elle connait des crises et des moments merveilleux, des creux et des sommets. Comme en amour, il y a des printemps et des hivers ! Comme pour la nature dans nos régions : quand arrive l’hiver et que les arbres ont perdu leur feuilles, vous ne vous précipitez pas sur les arbres pour les couper en vous disant qu’ils sont morts : non, vous vous dites que le printemps arrivera et qu’ils refleuriront. De même, les grands saints qui parlent de leur vie spirituelle, font mention de crises très fortes, de nuit de la foi ! Cela ne leur a pas enlevé la foi, au contraire elle a été renforcée par ces moments difficiles où Dieu semble les avoir abandonnés.
Ce qui entretient aussi la foi c’est de la confronter à notre pensée. En effet, la foi ne dispense pas d’être intelligent ! La foi, pour ne pas sombrer dans le simplisme, suppose la réflexion avant de donner son assentiment. De la même manière dans un couple, il est souhaitable que les deux réfléchissent avant de s’engager et qu’ils ne laissent pas seulement leur passion amoureuse décider pour eux. Ainsi en est-il pour la foi, l'intelligence participe réellement à l'accueil de la Révélation. En effet, je ne sais pas vous, mais moi, je ne donne pas ma confiance à un inconnu : il faut que je connaisse un minimum la personne pour lui faire confiance ! C’est bien normal ! St Augustin disait au 5ème siècle : « il faut croire pour comprendre et comprendre pour croire ! ». La foi a donc besoin d’être nourrie par la pensée et inversement : je connais des personnes qui sont venues à la foi par la pensée, qui ont trouvé qu’il était raisonnable de croire au Dieu de Jésus-Christ, et que cela n’allait pas à l’encontre de leur raisonnement. Je connais aussi des scientifiques croyants et des croyants présents dans le monde de la recherche, bref, si la foi ne se résume pas à un savoir, elle requiert notre intelligence pour être éclairée. Comme le dit très bien JP II, « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité » (Jean-Paul II dans son encyclique « foi et raison »).
M : Les doutes et les crises, la confrontation avec notre pensée, y a-t-il encore d’autres moyens pour entretenir sa foi ?
GB : Oui, il y a encore un moyen qui me semble tout à fait capital pour entretenir notre foi : c’est de la partager avec d’autres. La foi a cette caractéristique d’être personnelle et communautaire : si elle n’est que personnelle, sans lien avec une Eglise ou un groupe de croyants, on risque de se fabriquer un Dieu qui nous arrange, un Dieu à notre hauteur. En revanche, la foi partagée en groupe, confrontée à d’autres, permet de vérifier si on ne dévie pas. Mais attention à l’excès inverse : si la foi n’est que communautaire et ne repose pas sur un assentiment personnel, elle court aussi le risque de flancher à la première difficulté ! D’où l’importance de ces deux dimensions qui s’alimentent mutuellement : foi personnelle (prière, relation personnelle à Dieu, méditation) et foi communautaire (participation à la liturgie, groupe de prière, groupe de partage de la Parole de Dieu ou de sa foi, etc…). Il me semble urgent de créer des groupes où des croyants pourraient partager leur foi personnelle, leur propre cheminement de foi comme un trésor qu’ils possèdent et cela, quelle que soit leur religion.
Pour le dire autrement et pour conclure sur ce point, il me semble important de tenir les trois pôles suivants : célébrer sa foi, l’annoncer et la vivre (Personnellement et communautairement). C’est comme un tabouret à 3 pieds : s’il en manque un, il n’est pas très stable et ne sert plus à grand-chose. C’est pareil pour la foi : pour être solide, pour qu’elle nous stabilise, il est important qu’elle soit célébrée, vécue au quotidien et annoncée en actes et en paroles.
M : Mais que penses-tu de la réponse de Jésus à ses disciples qui lui demandaient : « Seigneur, augmente en nous la foi ! » : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’ ; il vous obéirait. » (Luc 17, 5-6).
GB : C’est certainement parce qu’ils percevaient la fragilité de leur foi que les disciples ont posé cette question à Jésus. Mais Jésus peut-il augmenter la foi des gens comme ça ? Je n’en suis pas sûr ! Car si la foi est une relation de confiance que nous mettons en Dieu ou en quelqu’un, alors Jésus ne peut pas avoir la foi à notre place : ça sera toujours une démarche personnelle ! Certes notre foi peut augmenter si nous l’entretenons comme nous l’avons dit précédemment, mais jamais personne ne peut augmenter ma foi à ma place ! C’est comme en amour : personne ne peut augmenter l’amour que j’ai pour un tel ou une telle ! Voilà pourquoi Jésus semble rembarrer les apôtres en leur disant : « Mais moi je ne peux pas croire à votre place mes amis, et puis, vous savez, la foi, il n’y a pas besoin d’en avoir tant que cela, un tout petit peu suffit, gros comme une graine de moutarde et vous déplacez les montagnes de votre vie » L’important c’est d’avoir un peu de confiance en Jésus ! Se fier un peu seulement à lui, et c’est Lui le Christ qui prend le relais, qui fait des merveilles à travers nous. Du coup, la question des disciples se déplace et devient : « comment avoir la foi, ce minimum de foi qui permet à Jésus de s’infiltrer en nous et de déplacer les montagnes qui sont en nous ? » Bref, cet Evangile nous interroge sur la qualité de la relation que nous entretenons avec Jésus et avec Dieu !
M : Gilles, nous arrivons au terme de notre entretien, qu’aimerais-tu encore nous dire à propos de la foi et du credo ?
GB : Je dirais volontiers que la foi est un don et une tâche : en effet, il nous est donné de croire (cf. Jn 6, 44) : « Personne ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l’attire à lui » mais elle est aussi une tâche car c’est aussi un acte volontaire, où je donne mon assentiment. Un peu comme le vent qui souffle et ne fait pas de différence entre les gens, il souffle pour tous : si le vent souffle pour tous, c’est un don, mais je peux ne pas en tenir compte, ou alors me rendre réceptif à ce souffle en tendant la voile ! C’est en ce sens qu’on peut dire que la foi est aussi une tâche : il s’agit de tendre la voile, c’est-à-dire, de consentir à me laisser aimer par Dieu, à dire oui à son Amour. Nous n’avons alors plus besoin de ramer.
J’aimerais pour terminer vous offrir cette petite parabole qui me semble bien à propos :
Un jour un grand funambule, mondialement connu, tente de passer au-dessus des chutes du Niagara. Exploit incroyable. Il s'élance, tout le monde a les yeux rivés sur lui, il avance, hésite, tangue, cela dure plusieurs minutes où chacun retient sa respiration et finalement il arrive de l'autre côté. Ouf, bravo, tout le monde applaudit, ce funambule est vraiment super. Mais c'est alors qu'il s'élance à nouveau dans l’autre sens avec une brouette et réussit son exploit. Super, ce funambule ! Tout le monde l'applaudit de plus belle. Mais voilà qu'il recommence encore mais cette fois-ci avec une personne assise dans la brouette. C'est fou ils vont tomber ! Mais là encore il réussit. Tonnerre d’applaudissements
Le lendemain, dans la presse, tous les journalistes font son éloge. Et un homme assis à une table dans un café, lit cet exploit dans le journal local. C'est alors que le funambule s'assoit à sa table et lui demande ce qu'il lit.
- « Oh, c'est le funambule d'hier, il est vraiment super, génial, … »
- « Et vous n'avez pas eu peur pour l'homme qui était dans la brouette ? » lui dit le funambule que l'homme n'avait pas reconnu.
- « Oh non ! dit l'homme, le funambule connaît bien son affaire ».
- « Ah ben, ça tombe bien, je suis le funambule et ce soir on recommence notre numéro et je cherchais justement une personne qui puisse remplacer mon assistant car il a 40 de fièvre et doit rester au lit. Puisque vous semblez me faire confiance, accepteriez-vous de venir dans ma brouette ce soir ? »
- « Ah ben, euh…, c'est que… vous comprenez, … »
- « Ne vous inquiétez pas dit le funambule, vous n'avez qu'à me regarder dans les yeux et me faire confiance, c'est tout ».
L'histoire ne dit pas ce que l'homme a répondu, mais c'est à chacun de nous que le Christ illustré par le funambule pose cette question : « Tu veux me faire confiance jusque-là ? Ne t'inquiète pas, je connais mon affaire, j'ai déjà traversé le ravin de la mort et j'en suis sorti vivant. Veux-tu me faire confiance ? Tu n'as qu'à me regarder les yeux amoureusement comme je regarde amoureusement le Père les yeux dans les yeux et tu verras, tu n’auras rien à craindre, car c'est moi qui t'assure ta réussite et ton bonheur. Allez viens, n'aie pas peur, cesse de regarder le vide, ne me quitte pas des yeux, viens, viens et suis moi… ».
M : Merci Gilles : de quoi vas-tu parler la prochaine fois ?
GB : La prochaine fois, j’essaierai de vous faire comprendre la première affirmation du credo : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ! » Vaste programme !
A suivre début mars
Gilles Brocard