LE CREDO
(Gilles Brocard)
Article 5 : "Il viendra juger les vivants et les morts"
et "Je crois en la vie éternelle"
« En son premier jet créateur, Dieu ne peut faire que des étincelles. Mais celles-ci seront appelées par son amour initial à devenir des brasiers. Ce ne sera pas de l’instantané. Il faudra que les étincelles collaborent avec cette chaleur qui est en elles. Dieu obligé d’aller à ce rythme-là ! Il ne peut faire mieux du premier coup ! Peut–on oser dire qu’au fond de son bonheur primordial, Dieu éprouve le frisson d’une crainte ? Ces petites étincelles qui jaillissent de Lui courent toutes le risque de s’éteindre de disparaitre de mourir !
Alors Dieu parce qu’il est Amour, ne peut pas au fond de lui-même faire autre chose que de devenir étincelle avec les étincelles, (= l’incarnation) créature demeurant Créateur, afin d’amener ses petites étincelles à flamber comme Lui à jamais. Dieu n’a pu être surpris par son propre geste créateur, c’est pourquoi au fond de son éternité voyant le jaillissement du temps et de l’espace, il n’a pas pu ne pas rêver de résurrection pour sauver temps et espace et tous les êtres qu’ils contiendront de la décadence inéluctable vers la mort. On peut donc dire que Dieu a pensé à la résurrection avant même la création, sinon à quoi bon, quand on est l’Amour, faire des êtres pour qu’ils cessent d’exister un jour ?
On peut donc dire que l’incarnation, c’est Jésus qui arrive sur terre avec la résurrection dans ses poches, avec l’Esprit d’éternité dans ses mains pour en faire le partage à tous. Mais ceci suppose le oui intense et renouvelé de chacun de nous ! »
Ces paroles sont à nouveau celles du P. Florin Callerand, fondateur de la communauté de la Roche d’Or à Besançon, paroles avec lesquelles je terminais le précédent article sur la mort-Résurrection du Christ. Si je vous les offre en introduction de cet article sur le jugement dernier, c’est parce que son intuition me semble fonder toute la réflexion qui va suivre : en effet, je crois que l’incarnation, comme la résurrection, sont prévues de toute éternité, puisque Dieu veut que sa création réussisse, « sinon à quoi bon, quand on est l’Amour, faire des êtres pour qu’ils cessent d’exister un jour ? ». Il en va de même pour le jugement dernier. Ce jugement est prévu depuis toujours par Dieu, encore faut-il bien comprendre ce « jugement dernier », parce que si l’on entend par là l’idée que Jésus nous attendrait à la fin des temps pour nous juger et nous faire payer le prix de nos péchés qu’on était bien obligé de commettre puisqu’ils étaient soi-disant d’origine (le fameux péché originel[1]), alors Dieu serait bien étrange ! Qu’est-ce qu’on a pu traumatiser des générations de chrétiens avec cette fausse idée du jugement dernier, sans compter tous ceux qui sont partis de l’Eglise ou qui ont perdu la foi parce qu’ils ne pouvaient plus supporter une telle épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
Ne pas sortir de la sphère de l’Amour
Pour bien penser cette notion de jugement que l’on retrouve à maintes reprises dans la bible, voici une première piste : je la tiens de François Cassingena-Trevedy, moine poète de l’abbaye de Ligugé dans son livre « Etincelles » : « Au jugement dernier, tout sera jugé et le jugement lui-même sera jugé, sinon il ne serait pas le dernier. Mais dans cette action là, ce n’est pas le jugement qui aura la parole : c’est l’Amour ! Le jugement dernier est le premier mot de l’Amour, mot sans second ni réplique, car l’Amour n’a qu’une seule parole ». Le premier repère pour penser le jugement est donc de ne jamais quitter la sphère de l’Amour : si Dieu n’est qu’Amour, alors c’est un Amour et rien d’autre qu’un Amour qui nous jugera. Et que va-t-il juger ? Notre tendance à juger, le jugement, cette fâcheuse habitude de tout peser en bien et mal, en noir et blanc, en permis et défendu. Au dernier jugement, il n’y aura que l’Amour comme critère de jugement ! Et comment juge l’Amour ? Avec miséricorde, avec ses tripes, (= sens du mot miséricorde en hébreux) avec Amour ! Comme des parents devant leur enfant encore en croissance, s’ils lui font des reproches, c’est pour qu’il grandisse et qu’il révèle le meilleur de lui-même. Ainsi en sera-t-il avec Celui qui est tout-Amour : il nous regardera comme le Père dans la parabole de l’enfant prodigue, ne nous laissant pas le temps de finir notre liste de péchés pour nous inviter à la fête. Le Christ nous jugera comme il a jugé la femme adultère : « Je ne te condamne pas ! Je te sais capable de ne plus manquer la cible maintenant, va vers le meilleur de toi-même ». Il nous jugera comme il a jugé Pierre après son reniement : « Pierre m’aimes-tu ? ».
Mais, me direz-vous, les bourreaux et les assassins d’enfants, les terroristes, Dieu ne va pas quand même les accueillir comme ça ! Ce serait trop facile ! Non bien sûr, vous avez raison : Dieu, qui veut le bien de chacun, ne rendrait pas service à ces gens-là en les laissant dans leur état de bourreaux. Celui qui n’est qu’Amour veut que tout Homme devienne pleinement ressemblant à son Fils et soit à son tour tout Amour. Dans la bible, le jugement dernier est souvent apparenté à « la colère de Dieu ». Oui Dieu se met en colère contre tout ce qui abime l’Humain et tout ce qui le défigure ! Le jugement dernier sera celui de la colère de Dieu qui passera au feu toute haine, tromperie, violence, égoïsme pour que s’établisse le royaume de l’Amour. Sa colère sera alors une colère contre tout ce qui fait obstacle à la relation de plénitude qu’il rêve d’avoir avec tous les humains. On peut alors parler de la véhémence de l’Amour de Dieu. St Augustin poussait lui aussi de grandes colères dans ses homélies, mais il ajoutait aussitôt : « si je suis si exigent avec vous dans mes paroles aujourd’hui, c’est pour ne pas que Dieu ait à vous répéter cela avant d’entrer au ciel » ! Magnifique souci des âmes de ses ouailles !!! Mais en même temps magnifique espérance en ses paroissiens qu’il croyait capables de changer et de s’améliorer. C’est cela que l’on appelle le purgatoire.
Je tiens à vous en dire quelques mots, car j’ai l’impression qu’en passant d’un Dieu dont il fallait avoir peur à un Dieu qui n’est qu’Amour, on a parfois on a jeté le bébé avec l’eau du bain.
Le purgatoire
Si notre vocation n'était pas de participer à la vie même de Dieu, de devenir nous-mêmes Dieu, à la ressemblance de Jésus-Christ (cf article 3 sur Jésus vrai homme et vrai Dieu) il n'y aurait pas de purgatoire ! La doctrine du purgatoire repose sur ceci que pour être uni à Dieu dans une communauté de vie, il faut que nous soyons tout amour, comme Lui-même est tout Amour. Seul l'amour est assimilable à l'Amour. Il est donc nécessaire, pour participer pleinement à la vie de Dieu, que tout résidu de non amour soit entièrement consumé. Ces « résidus », ce sont nos actes explicites contre l'amour mais aussi le bien que l’on n’a volontairement pas fait. Qui oserait penser qu'à l'heure de sa mort, il a atteint l'état de parfait amour, qu'il n'y a plus en lui que de l’amour pur ? Cette purification (terme préférable à celui de purge) doit donc être achevée au-delà de la vie terrestre d'une manière mystérieuse mais certaine. Et il n'y a rien de surprenant à ce que la Tradition compare cette purification à un feu. Dieu n’étant qu’Amour, c’est son Amour qui purifie, comme le feu purifie l’or à haute température.
Le purgatoire n'est donc pas une punition infligée par Dieu pour nous faire « payer » nos péchés. Il faut au contraire le comprendre comme une chance qui nous est offerte pour pouvoir partager sa vie divine. Je prends une image : si la barre de fer, couverte de rouille et grattée par la paille de fer pouvait parler, elle dirait à la fois sa douleur d’être grattée, mais aussi sa joie de voir sa rouille ôtée pour redevenir belle et brillante. C'est une seule et même chose que de souffrir de nos manques d’amour et de se réjouir de se voir rendu capable d’aimer davantage pour pouvoir communier pleinement à l’être de Dieu. C'est pourquoi il est possible (et même recommandé) de parler de la joie du purgatoire ! Sainte Catherine de Gênes (1447-1510) disait que "rien, sinon la joie du ciel, n'est comparable à la joie du purgatoire, car plus on est brûlé par le feu de l'amour purificateur, plus on se voit redevenir pur et capable d'entrer en Dieu". Car le bonheur du ciel, c'est le bonheur d'aimer comme Dieu lui-même nous aime, et le purgatoire nous offre la capacité d'être comme Dieu, pure relation à l'Autre et aux autres.
L’enfer
Et l’enfer, alors ? Comment tenir ensemble l’existence de l’enfer et l’Amour de Dieu, car si Dieu est Amour, tout le monde devrait aller au paradis, comme le dit la chanson (on ira tous au paradis…) et l'enfer ne devrait pas exister. Attention n’allons pas trop vite. Prenons le temps de réfléchir à l’enfer mais sans sortir de la sphère de l’Amour[2]. Puisque Dieu n'est qu'Amour, son Amour est vraiment donné et il souhaite de tout son cœur qu'il soit accueilli. Mais qui peut garantir que l'amour librement offert sera un amour librement accueilli ? La seule garantie possible, ce serait que Dieu nous oblige à l'aimer ! Or il ne le peut pas. Ce qui fait la grandeur de Dieu, c'est que l'amour inconditionnellement offert peut se voir inconditionnellement refusé. Voilà pourquoi la possibilité de refuser l’Amour de Dieu existe et c’est cela qu’on appelle l’enfer.
Vous comprenez bien je pense que l’amour ne serait pas l'Amour, s'il manipulait la liberté en vue d'obtenir coûte que coûte la réciprocité. Avec des enfants, quand ils sont tout-petits, nous pouvons obtenir la fin d'une bouderie grâce à un sourire, un baiser, ou un bonbon ! Mais ce sont des gamins ! Or Dieu ne nous traite pas en gamins. L'amour n'est plus l'Amour s'il contraint à aimer. Aimer vraiment, c'est promettre et se promettre de ne jamais employer à l'égard de l'être aimé des moyens autre que l’Amour. Alors de deux choses l’une : ou bien Dieu manipule notre liberté pour se faire aimer, et dans ce cas, il n'y a pas d’enfer, ou bien, parce qu’Il est la pureté absolue de l'Amour, qu’il respecte jusqu'au bout notre liberté et s'interdit d'obtenir la réciprocité de l'amour en forçant notre liberté (même s’il la désire du plus profond de son être) alors l'enfer est une éventualité que nous ne pouvons pas exclure.
Je dis bien une éventualité, car si quelqu'un dit que l'enfer existe, il se flatte d'avoir un renseignement que les chrétiens n'ont pas. L'enfer n'existe pas comme existe le Mont-Blanc. La réflexion à partir des images bibliques nous conduit à concevoir l'enfer non pas comme un lieu mais comme un état. Celui d’être hors de la présence Divine. Pour qu'il y ait exclusion de la présence de Dieu, il faut bien sûr l’avoir choisi et que cette décision engage le fond de soi. L’enfer, c'est la libre décision de refuser d'être aimé par Dieu. Il s'agit là d'une éventualité qui est à peine pensable, j’en conviens, mais qu’il m'est impossible d’ignorer sans diminuer du même coup Dieu, l'Homme et l'Amour. Ainsi, l’Eglise nous invite à croire que l'enfer est une éventualité, plus exactement, à croire en Dieu dont l'Amour ne peut rien contre l'éventualité de l'enfer. Mais elle nous rappelle aussi qu’être chrétien, ce n'est pas d'abord croire à l'enfer, mais croire en Jésus-Christ vivant et espérer (et agir et prier pour) qu'il n'y ait jamais personne en enfer.
Par conséquent, si nous ne pouvons écarter l’éventualité de l’enfer, alors je dirais que l’enfer, ce n’est pas les autres, mais au contraire, l’enfer, c’est d’être coupé des autres et du Tout-Autre. En même temps, je crois que Jésus, expert en relations humaines, n’aura de cesse d’aller chercher chaque personne coupée des autres (enfer) pour l’inviter à rejoindre la communion totale de tous en Dieu (paradis) avec tous ceux qui auront accepté de se laisser purifier par le feu de son Amour (purgatoire).
« Je crois a à la vie éternelle »
Je voudrais maintenant vous parler de la vie éternelle : oui car vous parler de l’enfer et du purgatoire sans vous parler du paradis, avouez qu’il manquerait quelque chose d’essentiel. Je vous disais dans le précédent article à propos de l’expression « il est monté aux cieux », que notre imagination risquait de nous jouer des tours et qu’il fallait faire attention de ne pas imaginer le ciel comme un lieu supra-terrestre, au-dessus des nuages que Jésus aurait rejoint comme la fusée Ariane. Non, je vous invitais au contraire à penser le ciel comme le lieu de la rencontre de Dieu et de l'Homme, le lieu de la communion avec Dieu, comme le cœur de Dieu tout simplement.
Si nous croyons que le Christ dit vrai quand il nous dit : « Je pars vous préparer une place et je veux que là où je suis, vous soyez avec moi », (Jn 14, 2-3), alors nous devons en conclure que « le ciel » est ce que Jésus veut pour nous. Voilà notre vocation, voilà le grand projet de Dieu et c’est pour cela que Jésus est venu prendre notre chair afin de faire une place pour l’Humain au sein même de la Trinité. Désormais toute l’humanité (et la création tout entière) est appelée au ciel, c’est-à-dire à partager éternellement la vie même de Dieu. Le ciel sera donc forcément un lieu de communion : communion totale à soi, aux autres et au tout-Autre (Dieu). Il n’y a pas de compartiment au ciel. Il ne peut en être autrement tant Jésus a insisté sur cette dimension de son vivant terrestre : je pense à la parabole du riche et de Lazare, (Lc 16, 19-31) : l’abîme que ce riche avait mis sur terre entre lui et ce pauvre reste le même au ciel entre l’enfer et le paradis, tant que ce riche n’aura pas changé sa relation avec ce pauvre et qu’il continue de le traiter comme un esclave. Seuls ceux qui accepteront de vivre en communion (en frère) avec les autres pourront goûter au paradis. C’est aussi ce que je comprends dans la parabole des invités au festin qui s’excusent tous pour ne pas venir au repas du roi (Mt 22, 1-10): ce n’est pas parce qu’ils avaient d’autres choses plus urgentes à faire, c’est tout simplement parce qu’ils ne voulaient pas s’asseoir à table à côtés de n’importe qui, « les bons comme les méchants », nous dit Matthieu au v 10. Il n’y aura de ciel que pour ceux qui accepteront que tous les autres y soient aussi.
Dieu est sérieux en Amour
Pourquoi une telle condition pour entrer au ciel ? Parce que Dieu est sérieux en Amour, parce qu’il ne veut pas vivre avec nous des amourettes de passage, mais une relation unique et de qualité avec chacun de nous. Voilà pourquoi il renvoie l’homme qui n’a pas l’habit de noces à la fin de la parabole des invités au festin (Mt 22, 11-14) afin qu’il aille se changer et se faire beau pour la noce, qu’il aille s’endimancher en quelque sorte ! Mais cette expulsion du repas n’est pas définitive, elle est pédagogique : c’est simplement pour lui faire comprendre que Dieu veut vivre avec nous une relation de qualité et que cela ce se prépare, se désire. C’est comme si Jésus lui disait : « Va apprendre auprès des humains et pendant que tu es sur terre ce que signifie : être en relation. Alors tu pourras profiter pleinement du ciel et entrer dans mon royaume, car mon royaume n’est que relation ». Porter l’habit de noces signifie se préparer à la rencontre, s’habiller en conséquence pour être à la hauteur de l’événement. Pour vous faire sentir cela, je vais prendre à nouveau une image : imaginez que vous ayez donné rendez-vous à votre amoureuse et que vous l'attendiez avec un bouquet de fleurs ou un cadeau à lui offrir et que cette dernière arrive au rendez-vous amoureux sans s’être apprêtée, pas maquillée, ni parfumée, elle ne s’est pas peignée les cheveux et arrive en habit de semaine, pas très propres et sentant la sueur ! Vous imaginez la rencontre ? Elle sera forcément ratée, en tout cas, elle n’aura pas l’élan que vous attendiez ! En revanche, si elle s’est préparée, alors la rencontre sera d’autant plus belle.
Les pleurs et les grincements de dents dont il est fait mention à la fin de la parabole sont l’évocation de la difficulté à apprendre à aimer comme Dieu, à entrer dans des relations de qualité (le purgatoire sur terre en quelque sorte). Tout cela coûte, demande des efforts et des grincements pour nous ajuster aux mœurs de Dieu. Oui Dieu nous aime inconditionnellement et pour toujours, mais cela ne signifie pas qu’il ne soit pas exigeant avec nous, au contraire, comme le disait l’auteur du livre de Ben Sirac le sage : "Ne sois pas si assuré du pardon de Dieu que tu entasses péchés sur péchés. Ne dis pas : Sa miséricorde est grande, il me pardonnera la multitude de mes péchés ! Car il y a chez lui pitié et colère" (Ben Sirac, 5, 5-6). Oui Dieu est exigeant avec nous car il nous rêve grand, il nous veut à l’image de son Fils.
Au terme de cette réflexion, il est bon de se poser quelques questions me semble-t-il : est-ce que je veux le salut de tous les hommes et de toutes les femmes, de tous mes frères et sœurs en humanité ? Pour mes proches, mes parents, mon conjoint, mes enfants, je peux assez facilement répondre « oui », mais peut-être est-ce plus difficile de prononcer ce même « oui » pour mon patron, mon voisin ou pour celui qui m’a fait du mal et à qui je ne peux pas pardonner ! Voilà la question à laquelle nous aurons à répondre si nous voulons entrer au ciel et y trouver du bonheur à s’assoir à côté de ceux que je n’ai pas su aimer sur terre. Il n’y aura pas de ciel sans cette réconciliation entre les offensés et les offenseurs. C’est là que je perçois l’exigence de l’Amour de Dieu et c’est ainsi que je comprends ces paroles du credo : « il viendra juger les vivants et les morts », les vivants comme les morts, c’est-à-dire tous, à la fois ceux qui auront aimés (les vivants) et ceux qui n’auront pas aimé (les morts), tous seront invités par l’Amour à aimer, les saints comme les crapules ! Alors autant commencer ici sur terre, ce sera cela de moins à faire au ciel, vous ne croyez pas ? Je crois qu’au ciel, nous nous appellerons mutuellement au salut ! Ça risque de prendre un certain temps, j’en conviens, mais je crois qu’il n’y aura pas de ciel sans que tous y soient rassemblés, aient accepté d’y participer librement ! En effet, comment un Père pourrait-il être heureux s’il manque un seul de ses enfants à sa table ?
Et puis il y a une autre question que cette réflexion sur le jugement dernier nous pose : à quoi cela sert-il de se donner tant de mal à garder les commandements, si Dieu offre la même chose (le ciel) aux bons comme aux méchants ? Vous voyez le problème ? C’est la question du fils ainé dans la parabole du fils prodigue en Lc 15, qui n’accepte pas la bonté inconditionnelle de Dieu ; c’est aussi le problème des ouvriers de la 1ere heure qui s’attendent à recevoir plus que ceux de la 11ème heure (Mt 20, 1-16) et qui veulent que le maitre reconnaisse leur supériorité par rapport aux autres. Ça c’est notre justice à nous les humains, pas celle de Dieu. Il nous faut nous habituer dès maintenant aux mœurs de Dieu. C’est pourquoi Jésus insiste tant sur l’amour des ennemis : pour nous préparer au ciel : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton proche, et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous deveniez enfants de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et descendre la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 43-45). Voilà le vœu de Dieu : c’est que tous puissent devenir enfant de Dieu, librement, volontairement et Il est certain qu’il patientera jusqu’au dernier.
C’est cela le royaume (ou le règne) de Dieu dont Jésus parle si souvent dans les Evangiles : le ciel, le paradis, la vie éternelle à laquelle nous disons croire dans le credo, c’est croire que nous pouvons vivre entre nous ici sur terre comme au ciel, (et tout faire pour que la terre soit comme le ciel) car au ciel chacun parlera en son nom propre, sera pleinement lui-même, dira ce qu’il a au fond de lui, rien de plus et rien de moins. Nul alors ne pourra forcer un autre à taire ce qui lui importe de dire, ni à dire ou à penser ce qu’il ne pense pas ; chaque personne pourra être qui elle est vraiment. On ne pourra plus faire semblant (à moins de choisir de rester en dehors de la lumière divine donc en enfer). Alors autant commencer maintenant à travailler à des relations de qualités et de vérité entre nous, ça sera cela de moins à faire au ciel. Car au ciel, Dieu ne nous demandera pas combien de fois nous sommes allés à la messe ou combien nous avons donné au denier de l’Eglise, non, il nous posera une seule question : « Gilles as-tu été toi-même ? » J’espère pouvoir lui répondre : oui j’ai tenté de l’être, en essayant d’aimer au mieux. Mais il restera certainement encore un peu de travail à achever pour être pleinement moi-même à l’image de ce que Dieu rêve pour moi : devenir son fils bien aimé. Heureusement, il y aura l’éternité pour cela.
La prochaine fois je vous parlerai de l’Esprit Saint sans qui, tout ce que je vous ai dit là, serait totalement impossible. Pour terminer, je vous offre ce dialogue de Fabrice Hadjadj, philosophe scénariste, tiré du livre « Arcabas, Résurrection » qui montre merveilleusement bien que le ciel n’est qu’une histoire de relation. Au mois prochain
Gilles Brocard
Scène de résurrection de Fabrice Hadjadj
L'ANGE. Il faut dire que nous, les anges, on ne sait pas bien compter. Va pour les tables de la Loi, mais la table d'addition n'est pas notre fort. Excellents en contemplation, mais pas doués en calcul. Sachant la valeur unique de chaque chose, mais en ignorant le nombre.
S’il vous plait, veuillez vous mettre deux par deux, comme les animaux à l'entrée de l'arche. En rang, oui, mais comme les rayons du soleil, comme les vagues de la mer ou les collines de Sion, c'est-à-dire en toute liberté.
Donc. . . (il prend sa respiration) : le dix-milliard-trois-cent-million-neuf-cent-mille-trois-cent-quatre-vingt-quatriéme et la dix-milliard-trois-cent-million-neuf-cent-mille-trois-cent.quate-vingt-cinquième… ouf !
Je préfère dire le numéro un et la numéro un (Ça, jusqu'à un, nous savons compter) Et j'aime mieux encore vous appeler par votre nom : Qin Shi Huang, premier empereur de la Chine, Et mademoiselle Germaine Pacot, mercière à Chambon-sur-Voueize.
VIEILLE GERMAINE. - Monsieur l'ange. . . sans vous offenser. . . il doit y avoir erreur sur la personne. Un antique empereur de la Chine comme cavalier pour entrer avec moi, pauvre vieille femme de la Creuse. . . Et puis vingt-trois siècles nous séparent !
L'ANGE. - Je sais, nous aurions pu vous mettre avec quelqu'un de plus important, Je veux dire de plus humble, car ce sont souvent ceux qui furent les plus effacés qui se retrouvent ici les plus rayonnants, mais un jour vous avez récité votre chapelet en songeant à la Chine, et toc ! puisqu'il n'y a pas de temps pour l'Éternel, C'est cela qui a fait pleuvoir des grâces qui ont rafraîchi l'âme de l'empereur et donné de dire « oui » sur son lit de mort. Les desseins du Seigneur. . . Allons, entrez donc, entrez dans sa joie.
Et au suivant. . . ou au précédent ! ici on ne sait plus très bien.
Le dix-milliard-trois-cent-million-neuf-cent-mille-trois-cent quatre-vingt-sixième et le. . . bref, le numéro un et le numéro un !
Atoum et Losiké de la tribu des Iks, au nord de l'Ouganda.
ATOUM. -Très heureux... je suis très heureux mais... je crains que ... mon compagnon... c'est moi qui l'ai fait mourir... Je n'ai cessé de lui voler ses rations. Il en est mort de faim. D'ailleurs je le détestais. Et je mangeais sa farine de manioc devant lui, en riant, pendant qu'il me suppliait. . .
L'ANGE. - Si vous croyez que vous êtes le seul ici dans ce cas ! Sachez seulement que Losiké, a prié pour vous, pour votre salut, et qu'au dernier instant vous n'avez pas refusé.
ATOUM. - Mais monsieur l'ange, j'ai ricané, j'ai rigolé la bouche pleine pendant son agonie !
L'ANGE. - Vous n'avez pas refusé le salut. Ce que vous dites en est la preuve.
ATOUM. - Vous vous moquez. Ça n'est pas bien, monsieur l'ange ! Montrez-moi où sont les flammes, que j'y brûle pour ma honte.
L'Ange. - Je ne me moque pas et je vous répète que vous avez accueilli votre rédemption. La preuve, C'est que vous reconnaissez votre faute. Allez, ne traînez pas comme ça sur le seuil, Entrez, entrez dans la joie de notre Maître.
Et que s'avancent ceux qui viennent après, et avant, et pendant. . .
Le dix-milliard-trois. . . et zut ! numéro un et numéro un,
Josyane Lampe, de Sarcelles et sa petite fille Leïla.
JOSYANE. - non, monsieur l'ange, non, il ne faut pas troubler la justice de Dieu. Ma place est en enfer. Je le sais bien. J'ai, de mes mains, j'ai...
L'ANGE. – vous avez Jeté votre bébé dans la Seine, le soir de Noël. Vous étiez une prostituée, toxicomane et sans logis, et vous croyiez ne pas pouvoir en prendre soin. . .
JOSYANE. - Et après ! après !
L'ANGE. - Après, le jour des saints Innocents, Vous vous êtes pendue dans un local désaffecté du Secours populaire.
JOSYANE. - Vous voyez, il n'y a pas d'issue. Mon amour, comme je suis heureuse de t'avoir dans les bras, ma petite Leïla chérie, oh! On dirait que ta première dent a percé, oui, elle a percé, c'est trop beau, je n'arrive pas à y croire, je n'y arrive pas. . .
L'ANGE. - Avant que le nœud coulant tranche à jamais votre souffle, Vous avez pensé à elle, Vous lui avez demandé pardon, Et votre ange gardien vous a portée jusqu'ici. Alors trêve de scrupule ! Entrez, il vous attend toutes les deux par-delà ce seuil, Et le papa de la petite est avec lui. Engouffrez-vous dans la Joie du Seigneur ! Ah! Qu'il est fatiguant d'avoir à faire entrer des humbles dans le Ciel ! Toujours à protester, à dire qu'ils seraient bons pour l’enfer, à réclamer le gril et l'huile bouillante. . . Heureusement que je suis un ange. On ne me lasse pas facilement. Bon, eh bien, où en étions-nous ? À qui le tour ? Qui est le prochain ?
[1] Si vous voulez réfléchir sur le dogme du péché originel et les conséquences désastreuses pour les Hommes, je vous conseille de lire le dernier livre de
Lytta Basset « Oser la bienveillance » aux éditions Albin Michel.
[2] j’appuie ma réflexion sur les propos de F. Varillon dans son livre : « Joie de croire, joie de vivre »