Au milieu des docteurs...

Qui est mon Père ? 

 

 Chaque année, les parents de Jésus allaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Quand il eut douze ans, ils firent le pèlerinage selon la coutume. Comme ils s'en retournaient à la fin de la semaine, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent. Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances. Ne le trouvant pas, ils revinrent à Jérusalem en continuant à le chercher.

C'est au bout de trois jours qu'ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. En le voyant, ses parents furent stupéfaits, et sa mère lui dit : " Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! " Il leur dit : " Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être. " Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.

Il descendit avec eux pour rentrer à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait tout cela dans son cœur. Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc. 2, 41-52

LA SAINTE FAMILLE (C)

oOo

Une école.

" La famille est le lieu où l'homme apprend à aimer ", a écrit saint Thomas d'Aquin. Oui, mais… ! Ce n'est pas toujours le cas, hélas. Nous avons tous connu des familles qui étaient plus ou moins des écoles de la haine, du mépris ou simplement de l'indifférence. Disons plus simplement que toute famille est une école, et d'abord une école pour le couple. Un homme et une femme se sont rencontrés, l'amour (ou ce qu'ils croient être l'amour) a jailli, puissant et naïf, et les voilà, au fil du temps, en face l'un de l'autre, avec leurs différences, leurs intolérances. Il y avait un germe d'amour : il ne pourra survivre qu'au prix de mutations successives, à travers des crises. La vie d'un couple n'est jamais " comme un long fleuve tranquille " Elle est une éducation de l'un par l'autre. Apprentissage des parents, qui sera le terrain de l'apprentissage des enfants. J'ai souvent expliqué le sens étymologique du mot " éducation " qui signifie " faire sortir de… " Un homme et une femme s'éduquent mutuellement quand ils se font " sortir de " leur étroite manière de voir, de penser, de juger, de vivre, pour accéder à la liberté. Et toute l'éducation des enfants consistera à leur donner la possibilité de " sortir de " leur cocon familial pour tenir debout, seuls, sans tuteurs, dans ce monde où ils ont à trouver leur place.

La Sainte Famille.

Nous célébrons aujourd'hui la fête de la Sainte Famille de Nazareth. Essayons de nous libérer de toutes les considérations édifiantes dont les siècles précédents ont enrobé l'image de la famille de Jésus, pour retrouver la réalité évangélique, telle que Matthieu et Luc nous l'ont livrée à travers quelques rares épisodes de ce qu'on appelle " les évangiles de l'enfance ", genre littéraire, d'ailleurs, à manier avec précaution (car ces récits ne sont pas à prendre à la lettre). Tels qu'ils sont, pourtant, ils nous disent la famille constituée de Joseph, Marie et l'enfant Jésus comme le lieu d'une éducation mutuelle, d'un apprentissage de l'amour. D'entrée de jeu, Matthieu nous montre Joseph affronté à la plus radicale tentation de non-amour : plus que de l'incompréhension, du soupçon à l'égard de Marie qu'il découvre enceinte. Il lui faudra dépasser ce soupçon, écouter la voix de l'ange, dans le respect du mystère de Marie. Pas d'amour possible sans un tel respect.

Les parents à éduquer

L'épisode de Jésus perdu et retrouvé trois jours plus tard au Temple est également significatif. Ici, ce sont les parents qui sont " éduqués " par l'enfant. Marie et Joseph ne pourront plus jamais dire que Jésus leur appartient comme un enfant appartient à ses parents. A Marie qui fait des reproches à Jésus : " Ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ", l'enfant répond : " Ne saviez vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père ". L'enfant Jésus n'appartient pas à ses parents. C'est d'ailleurs vrai de toute relation humaine, même si on chante " je t'appartiens " dans les chansons d'amour. Jésus est retrouvé, mais " au Temple ", dans le domaine de Dieu. Il rentre avec ses parents à Nazareth, il leur est soumis, mais Marie et Joseph savent bien que plus rien ne sera jamais pareil : eux aussi, ils auront à respecter son mystère. Même scénario dans l'épisode de la Présentation au Temple. Le vieillard Syméon déclare que Jésus est destiné à devenir " la lumière des nations ", donc, que Joseph et Marie n'ont pas à le garder pour eux. Là aussi, il leur échappe. Et il faut bien qu'ils se fassent à cette idée que, si Marie a mis au monde son bébé dans la crèche de Bethléem, elle aura encore à le " mettre au monde ", à le donner au monde, à en faire un homme libre de ses mouvements, parfaitement autonome, pour s'occuper des affaires de son Père.

Les parents éducateurs

Et pourtant, Joseph et Marie vont avoir à faire l'éducation de Jésus. La fin de notre passage d'évangile le note : " Jésus grandissait en taille, en sagesse et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes ". On comprend facilement que Jésus grandissait en taille, que le nouveau-né de Bethléem est devenu un enfant, puis un adolescent, puis un homme. On comprend aussi qu'il grandissait en sagesse aux yeux des hommes. Il a appris à prononcer les premiers mots : abba, papa, imma, maman ; il a appris à parler avec cet accent de l'araméen galiléen qu'on reconnaissait si bien à Jérusalem. Il a appris très tôt à lire et à écrire, comme le prescrivait la règle : à 5 ans, on commençait l'étude de l'Ecriture sainte ; à 10 ans, celle de la Michna (la tradition orale) ; à 13 ans, la pratique des commandements, et à 15 ans, le Talmud. Joseph lui a appris le métier de charpentier, métier qui était estimé. Sans doute, Jésus savait-il le grec, qui était la langue dominante dans les villes. Et même s'il ne maîtrisait pas parfaitement cette langue, il a pu dialoguer en grec avec la femme libanaise, avec le centurion de Capharnaüm, avec les Grecs que Philippe et André lui présentent un jour.

Mais le plus merveilleux dans cette éducation, c'est sa progression en grâce devant Dieu. L'intimité familiale de Marie et de Joseph a été le foyer où Jésus a appris qu'il y avait un Dieu d'amour, que ce Dieu était le Père -abba - de tendresse et de pitié, que le premier devoir de tout Israélite était de l'aimer de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force. C'est la loi de l'incarnation : Joseph et Marie ont appris à aimer Dieu à Celui qui était le visage même de l'amour de Dieu sur la terre !

Une résurrection "autrement"

Les spécialistes des " Evangiles de l'enfance " ont tous noté comment ils étaient des évangiles en raccourci et qu'ils étaient tous pleins d'allusions à la Pâque du Christ. C'est particulièrement marqué dans l'évangile de ce jour : on est à Jérusalem pour la Pâque, et le thème de Jésus perdu et retrouvé après trois jours, retrouvé " autrement ", renvoie à la Passion-Résurrection. En fin de compte, tous les rapports familiaux ne suivent-ils pas, à leur manière, le même itinéraire ? L'amour est au bout de ce chemin, à ce prix. Et la passion du Christ n'est-elle pas la révélation indépassable de l'amour ?

Mourir à soi-même en vue d'une résurrection " autrement ", c'est le passage obligé de tout amour vrai. Dans le couple (entre mari et femme) comme dans la famille (entre parents et enfants). Un passage, ou plus exactement, quantité de passages, dans d'humbles gestes quotidiens qui expriment des attitudes intérieures qui, souvent, nous coûtent beaucoup. J'indique là un chemin idéal, mais qui n'est pas irréalisable. Nous vivons en ce début de XXIe siècle une mutation extraordinaire de la réalité familiale. On est passé en quelques dizaines d'années d'un type de famille, immuable pendant des siècles, à des types familiaux extrêmement divers : de la famille classique aux familles monoparentales, aux familles recomposées, au pacs, aux familles homosexuelles, au concubinage... Au sein même de cette diversité, que je ne peux que constater, comment faire de la famille le lieu privilégié de l'éducation, de l'apprentissage de l'amour ? Je pense au prophète Malachie qui annonce " Il ramènera ce cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des enfants vers les pères " (et les mères). On a envie d'ajouter : il ramènera le cœur de l'époux vers l'épouse, et le cœur de l'épouse vers l'époux. Aimer, cela s'apprend. C'est un long voyage. Bonne route !

retour au sommaire