Réflexion pour le Vendredi Saint

 

Nous venons de relire la passion de Jésus telle que nous la rapporte l'évangile de Jean. Bien. Mais pour commencer cette méditation, il faut nous souvenir que la croix, la souffrance, la violence, c'est le lot quotidien de notre humanité. Partout, en ce moment même où vous me lisez, des hommes, des femmes, des enfants pleurent, souffrent, gémissent, crient à cause de la violence qui leur est faite. Au nom de la politique ou de quelque idéologie. Pour acquérir des richesses, pour conquérir le pouvoir, pour se venger. Par jalousie ou par ambition. Aujourd'hui même, et cela depuis qu'il y a des hommes. Cela, Dieu ne le veut pas. Il est, pour moi, puissance d'amour, et il n'a rien à voir avec nos massacres, nos oppressions, toutes les atrocités que les hommes commettent.

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Il y a pire : pour expliquer le mal et la souffrance des hommes, on a parlé de la "souffrance rédemptrice." Dieu voudrait la souffrance, celle du Christ et la nôtre, parce qu'elle compenserait le péché : ainsi justice serait faite ! Les souffrances que s'imposent les hommes seraient donc doublées d'une souffrance imposée par Dieu. Je ne peux pas être d'accord avec cette pensée : Dieu, pour moi, ne veut la souffrance d'aucune manière. C'est nous qui dressons la Croix, toutes les croix du monde. Dieu, qui respecte notre liberté, ne peut que supporter notre cruauté. Alors, la croix du Christ ? Simplement, la croix étant dressée, Dieu vient, dans le Christ, y rejoindre l'humanité victime et souffrante. Il vient ainsi porter et emporter le péché de l'homme.

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Lorsque le Christ est torturé, crucifié, mis à mort, c'est la violence humaine qui s'attaque à l'innocent, au juste. En Jésus, le Juste, c'est Dieu qui est atteint. La violence humaine s'attaque à l'action créatrice de Dieu. Elle est dé-création. Voilà Dieu empêché de créer. Le mal veut éliminer l'acte créateur de Dieu, réduire la Parole créatrice au silence. Mort de Dieu. Mais ce n'est qu'une tentative : elle est vouée à l'échec. Le péché aurait réussi si le Dieu-Amour en était venu à concevoir pour nous de la haine et du mépris. Or, nous dit l'Ecriture, le péché n'a fait que susciter la surabondance de l'amour, cet amour qui est lisible dans l'acte du Christ : sa vie, nul ne la prend, c'est lui qui la donne, librement.

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L'évangile de Jean a ceci de particulier qu'il nous présente la passion de Jésus comme une élévation, une exaltation. Jésus est "élevé de terre" pour que tout le monde puisse le voir, "regarder vers lui". Allusion, certainement, à l'histoire du "serpent d'airain", l'un des épisodes les plus marquants de la longue marche du peuple à travers le désert. Le doute est le mal intérieur qui ronge le peuple hébreu : ce Dieu qui nous a libérés de l'esclavage est-il vraiment bon ? La morsure des serpents venimeux est mortelle, et le peuple l'interprète comme la vengeance de Dieu. Or c'est sur son ordre que Moïse "élève" sur une perche un serpent de bronze. Il suffit de "regarder vers lui" pour être guéri. Jésus devient ainsi image de notre mal et de notre détresse. C'est parce qu'il s'assimile aux injustes et connaît le sort des malfaiteurs qu'il est "glorifié" et qu'il peut recevoir "le nom qui est au-dessus de tout nom".

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"Regarder vers", "se tourner vers", "croire en" : autant d'expressions qui sont équivalentes dans l'évangile de Jean. il s'agit d'abord d'un aveu. Inutile de détourner la tête et de faire comme si "cela ne nous regardait pas". Acceptons donc de regarder toutes les victimes de nos sociétés, de nos politiques, de nos égoïsmes. Les médias nous le font voir, les "élèvent de terre". Il ne suffit pas de manifester notre indignation : il nous faut reconnaître que souvent nous sommes solidaires des systèmes et des hommes qui les sacrifient. Cet aveu, de notre part, est nécessaire : c'est l'entrée dans notre guérison, dans le salut. Un aveu, donc, mais également l'accueil, dans la confiance, du signe du salut. Notre confiance se déplace : au lieu de porter sur nous et sur nos "bonnes actions", elle porte sur un autre, le Christ. C'est vers lui que nous regardons, c'est vers lui que nous nous tournons. Il est notre Sauveur.

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