Il les envoie deux par deux
QUINZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 6, 7-13
Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux. Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais, et il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton ; de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange ». Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ». Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
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Rupture
Jésus, nous l’avons vu dimanche dernier, a subi un échec retentissant dans son propre village où il s’était présenté, le jour du sabbat, pour enseigner. A partir de ce moment-là, il ira ailleurs, il portera son message sur les routes et dans les bourgades de Galilée, puis de Judée. Dès lors, il se démarque clairement du culte officiel et des autorités religieuses du peuple juif, pour adopter un style de prédication ambulante dans la ligne des prophètes de l’Ancien Testament. C’est le même style de vie qu’il impose à ses apôtres lorsqu’il les envoie eux aussi dans les bourgs et les villages de la région.
Prédication ambulante. On trouve cette manière de faire dans tout l’Ancien Testament. Bien souvent, les prophètes se heurtent aux autorités religieuses en place : ils sont dérangeants. Nous en avons un bel exemple avec le prophète Amos, le plus ancien des prophètes d’Israël dont les paroles et les gestes nous ont été conservés dans un livre. Symptomatique, la réponse que le prophète donne au prêtre de Béthel qu’il vient déranger par sa prédication et qui lui demande d’aller prophétiser ailleurs. Il lui dit que ce n’est pas lui qui s’est improvisé prophète, qu’il n’a pas choisi cette mission, mais que c’est Dieu qui l’a choisi. « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les figuiers. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël. » Que peut-il faire d’autre alors ?
Mobilité
Jésus pourrait en dire autant à ceux qui refusent de l’entendre : « J’étais le charpentier de Nazareth et je n’avais jamais fait parler de moi avant que le Seigneur me parle au jour de mon baptême. ». Les évangiles nous ont gardé nombre de controverses dans lesquelles il s’est situé en opposition frontale contre des autorités religieuses, scribes, prêtres et anciens, réellement installées. Lui, comme tous les prophètes, il bouge. Il va de bourgs en villages, et partout il enseigne. Et lorsqu’il envoie les Douze pour des « travaux pratiques », pour une première mission, toutes ses consignes pratiques et concrètes, se résument en une seule : la mobilité. Pour être disciples efficaces du Maître, il faut être légers. A la rigueur une paire de sandales (encore que chez Matthieu et Luc, ils iront pieds nus) et c’est tout : rien dans les mains, rien dans les poches. Le disciple n’a besoin de rien. Pas même d’une pièce de monnaie. Pas même d’un morceau de pain ! Pourquoi ? Parce qu’il possède une richesse extraordinaire, que Jésus lui confie : « le pouvoir sur les esprits mauvais. » Et ça marche. L’évangile nous dit que cette première mission apostolique a réussi. Les Douze, qui seront désormais appelés « Apôtres », viendront rendre compte de ce temps d’apprentissage et Jésus s’en félicitera. Ils enseignaient les gens des villages « et ils proclamaient qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient, »
Anachronique ?
Il est probable qu’en lisant ce rapport, nos contemporains manifesteront un certain scepticisme. Nous aussi ! Que signifient donc ces actes d’un ministère étrange : chasser beaucoup de démons, guérir de nombreux malades avec des onctions d’huile ? Cela nous paraît passablement anachronique. Pour comprendre, il faut savoir que, du temps de Jésus et des apôtres, tout le mal qui survenait dans le monde, aussi bien les catastrophes naturelles, les accidents que les maladies, tout étaient imputé à l’esprit du mal, personnifié sous différents noms, Satan, esprit impur, diable ou Belzébuth. Puissances maléfiques, elles régnaient sur le monde. Je prends un simple exemple pour vous faire comprendre jusqu’où pouvait aller cette croyance. Luc (13, 11) rapporte que Jésus a guéri une femme « possédée d’un esprit qui la rendait infirme depuis 18 ans : elle était toute courbée. » Lorsque l’évangile de Marc, donc, nous précise que Jésus, envoyant les Douze en mission, leur donne « pouvoir sur les esprits mauvais », cela veut dire qu’il leur donne sa propre force pour lutter contre le mal sous toutes ses formes. Non seulement contre les maladies psychosomatiques en tous genres, mais contre la violence, l’égoïsme, les divisions, les haines, etc… bref tout le mal du monde. Et ce qu’ils apportent comme remède souverain, c’est la paix et la réconciliation. C’est en cela que consiste la conversion qu’ils prêchent. Et cela marche.
Itinérance
Je voudrais faire une deuxième remarque concernant cet épisode évangélique. Pendant trente ans, Jésus a été un sédentaire : l’artisan du village. Et voilà que, dès le jour de son baptême où lui est révélée à la fois son origine divine et la mission qui lui est confiée, il devient un nomade, quelqu’un qui « n’a pas une pierre où reposer sa tête ». Il est frappant de remarquer combien les évangiles ont insisté sur cet aspect d’itinérance. A la différence des scribes qui attendaient et recevaient chez eux les disciples pour les instruire, Jésus, lui, va au devant des gens. Et il demande à ses disciples de faire de même. Ils l’ont fait, oh combien ! et non seulement du vivant de Jésus où seulement deux missions nous sont rapportées, celle des Douze et celle des soixante-douze disciples, mais ensuite, dès la Pentecôte. Notre Eglise, dès ses commencements, a été une Eglise de gens en mouvement, de missionnaires qui sont allés au-devant des hommes, qui n’ont jamais attendu qu’on vienne à eux. Et cela pendant des siècles. Jusqu’à ce que notre Eglise devienne une Eglise « installée » avec ses structures immobiles, diocèses et paroisses entre autres. Jésus avait recommandé aux premiers disciples de ne s’encombrer de rien qui puisse ralentir la marche. Un randonneur le sait bien : si on veut aller loin, et surtout en montagne, il faut se débarrasser de tout le superflu. Il en est de même si l’on veut que l’Eglise – et que les chrétiens qui la composent – redeviennent missionnaires.
Il est important d’y réfléchir, particulièrement de nos jours où l’Eglise, surtout dans le monde occidental, semble être nettement en perte de vitesse. Des structures trop lourdes, une organisation encombrante et pléthorique, une gouvernance souvent bien trop administrative, des bâtiments qui deviennent une charge inutile… je ne vais pas continuer l’énumération. Tout cela bloque, ou tout au moins freine la marche, la démarche d’évangélisation. Quant aux chrétiens, bien souvent ils ont pris la – mauvaise – habitude de se considérer comme des « administrés », où même des « consommateurs ». Or c’est à chacun d’entre nous qu’aujourd’hui encore, Jésus qui nous confie tout pouvoir contre toutes les forces du mal, nous demande de nous mettre en route pour aller au-devant de tous ces « malades » de nos sociétés actuelles : nous avons beaucoup à leur apporter pour les arracher à leur aliénation et en faire ainsi des hommes libres.