Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ?
21e DIMANCHE ORDINAIRE B
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 6, 60-69
Jésus avait dit dans la synagogue de Capharnaüm : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, s’écrièrent : « Ce qu’il dit est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter ! » Jésus connaissait par lui-même ces récriminations des disciples. Il leur dit : « Cela vous heurte ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ?… C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas, et celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ». A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu. »
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Soumises
Il est possible qu’aujourd’hui, en écoutant proclamer dans votre église ou simplement en lisant le texte de la deuxième lecture de ce dimanche (Paul aux Ephésiens 5, 21-32) vous soyez révoltés. Peut-être même avez-vous pensé, comme beaucoup l’ont proclamé depuis des siècles, que l’apôtre Paul est un horrible misogyne, lui qui recommande une fois de plus aux femmes d’être « soumises à leur mari. » Or, c’est ne rien comprendre à la société qui était celle de son temps. Le fait était là – et Paul n’y pouvait rien – depuis des siècles, et non seulement en Grèce, les femmes vivaient dans une situation de dépendance étroite dans des sociétés dominées par les hommes, comme elles le sont encore de nos jours, hélas, dans un grand nombre de sociétés. Je le rappelais encore récemment à un jeune couple qui allait assister au mariage de l’un de leurs amis : au temps de Paul, le mariage n’était rien d’autre, pour la jeune mariée, que le passage de la dépendance de son père à la dépendance de son époux. Elle changeait de maître. Paul n’y pouvait rien. Par contre, ce qu’il apporte de réellement nouveau et révolutionnaire c’est la suite : « Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ. » Eh oui, c’était nouveau dans une société où l’épouse était simplement considérée comme la bonne et la génitrice, « la mère de mes enfants » disait l’homme. Pour l’amour, voir ailleurs !
Révolutionnaire
C’est consciemment que j’emploie le terme de conseil « révolutionnaire » : le christianisme a introduit, certes lentement, très lentement, mais aujourd’hui de façon générale et très largement répandue, l’idée du mariage comme un choix entièrement libre entre un homme et une femme. Il est possible que mon propos vous étonne, et pourtant il dit la réalité : alors que dans une grande partie de l’humanité on en est encore à marier les filles sans leur demander leur avis, de nos jours, il est impensable que cela se fasse dans nos pays de vieille tradition chrétienne. Et pourquoi ? Parce qu’un jour, au début de l’histoire chrétienne, Paul et d’autres disciples de Jésus, ont introduit le ferment de l’amour dans une pratique ancestrale qui considérait le mariage comme une espèce de marchandage : un simple changement de propriétaire. Cela s’est fait lentement, très lentement, j’en conviens, mais c’est largement irréversible de nos jours.
Libre choix, donc, basé, non plus sur l’idée d’un échange, mais sur un amour réciproque. Il y a là, à mes yeux, un extraordinaire progrès dans l’histoire de l’humanité, même si on peut aller, comme c’est le cas de nos jours, à certains excès. Parce que le choix initial dont mener à un engagement solide et irréversible, ce qui n’est pas toujours facile. Les difficultés sont là, et elles sont souvent difficiles à vaincre. Pour tout engagement humain, et pas seulement quand il s’agit de l’engagement d’un garçon et d’une fille dans le mariage.
Question de confiance
Le passage d’évangile que nous lisons ce matin nous en apporte un bel exemple. Il s’agit de la fin de ce qu’on appelle « la crise de Capharnaüm. » Après que Jésus eût nourri la foule au bord du lac, il tient, dans la synagogue de Capharnaüm, un long discours à la foule qui court après lui. Et ce long discours, que nous avons lu et détaillé tout au long des dimanches du mois d’août va provoquer un clash, tant il est difficile à accepter. Une partie de l’auditoire a déjà quitté les lieux. Et voilà que même parmi les disciples, on entend des propos désabusés, à tel point que Jésus pose la question de confiance à ceux qui restent : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
C’est Pierre qui répond par une authentique profession de foi : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu. » Ce n’est pas sa première profession de foi. Déjà à Césarée, au nom de ses camarades, c’est lui qui a déclaré à Jésus qu’il est « le Messie ». Mais ensuite, il lui arrivera de mesurer les difficultés qui surgissent pour celui qui veut « marcher avec » Jésus. La première fois où celui-ci annonce son destin, sa prochaine arrestation, son procès et sa mort, Pierre s’insurge contre lui et se fait traiter de Satan par Jésus. Au soir du Jeudi Saint, il est encore capable de déclarer que même si tout le monde abandonne Jésus, lui, il restera fidèle (ce qui lui attire d’ailleurs une remarque directe du Maître) : quelques heures plus tard, il reniera Jésus par trois fois !
Assumer son choix
C’est vous dire qu’il ne suffit pas de faire un choix généreux. Encore faut-il assumer les conséquences de ce choix dans toute sa vie. Il en est de même – je vous le disais – dans le mariage ; il en est de même dans tout choix humain. Il en est de même, en particulier, dans notre vie chrétienne, où le choix fait un jour, dans la générosité de notre jeunesse, demande beaucoup de constance pour être toujours assumé. Dans la première lecture de ce dimanche, que les spécialistes appellent l’Assemblée de Sichem, on a le récit d’un des moments les plus importants de toute l’histoire d’Israël. Le peuple libéré de l’esclavage d’Egypte a recouvré la liberté, puis a conquis la Terre que Dieu avait promise aux ancêtres. Or se produit un phénomène classique dans toute l’histoire des conquêtes humaines : les conquérants sont séduits par les coutumes des peuples conquis et sont tentés de les adopter. Dans le cas précis, il s’agit des religions cananéennes. Josué est donc amené à poser la question de confiance. Il faut choisir. Avec enthousiasme, le peuple répond « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux ! Nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu ! » Belles paroles, hélas ! La suite de l’histoire montrera que ce n’est pas si évident que cela !
Et nous ? On le chante : « Fais que je marche Seigneur/Aussi dur que soit le chemin/ Je veux te suivre jusqu’à la croix/ Viens me prendre par la main. »
Ainsi soit-il !