« Tu es le Messie. »
24e DIMANCHE ORDINAIRE (B)
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 8, 27-35
Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages situés dans la région de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il les interrogeait : « Pour les gens, qui suis-je ? » Ils répondirent : « Jean-Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres, un des prophètes. » Il les interrogeait de nouveau : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre prend la parole et répond : « Tu es le Messie. » Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne. Et pour la première fois, il leur enseigna qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cela ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan : Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Evangile, la sauvera. »
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Un tournant
Après les belles journées pleines de soleil et de chaleur de cette fin d’été, voici que, depuis quelques jours, tout est en train de changer. Il fait plus froid, le soleil se montre plus discret, les feuilles tombent. On sent que c’est bientôt l’automne.
Même tournant dans la liturgie de l’Eglise. Avant-hier, 14 septembre, nous célébrions la fête de la Sainte Croix. Dans plusieurs monastères, c’est le début de la période qui, à travers les mois d’automne et d’hiver, va acheminer vers le mémorial de la Passion du Christ ; c’est comme un « grand carême ». Et, de même, dans les lectures évangéliques de chaque dimanche, cet évangile que nous venons de lire marque un tournant. Une transition entre les deux grandes parties qui constituent les deux moitiés de l’Evangile de Marc. L’évangéliste nous l’avait annoncé dans le titre qu’il donnait à son ouvrage : Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. Jusqu’ici, chaque dimanche, nous avons suivi la révélation progressive et première de ce qu’il est, de son origine. Il est le Messie. Mais désormais, nous allons suivre son itinéraire et marcher avec lui vers ce qui constitue son propre destin : sa mort et sa résurrection.
Sondage d'opinions
« Pour les gens, qui suis-je ? » Il peut paraître étonnant que Jésus lui-même pose cette question, comme s’il avait besoin de savoir ce que l’on pense de lui. Certes, chacun de nous a cette propension et se sent flatté ou au contraire déçu d’apprendre l’opinion favorable ou défavorable que l’on se fait de lui. Il est difficile de ne pas en tenir compte. Mais c’est plus étonnant de la part de Jésus. Il sait bien que, si la foule court après lui, les autorités civiles et surtout religieuses manifestent à son égard plus que de la méfiance : jusqu’à de la haine. Dimanche dernier, nous entendions la foule s’exclamer « Tout ce qu’il fait est admirable ! » Mais il y a aussi, et nous l’avons déjà vu, ceux qui l’espionnent et cherchent à le piéger.
Quoi qu’il en soit, nombreuses sont les opinions favorables rapportées par les disciples. Que l’humble travailleur de Nazareth, dont on connaît la famille et les origines modestes soit désigné par la foule comme Jean-Baptiste, Elie ou simplement comme un prophète, voilà qui a de quoi surprendre. Même le roi Hérode, qui a entendu parler de lui, se demande s’il n’est pas Jean-Baptiste, qu’il a fait décapiter, qui serait ressuscité. Bref, ces opinions plus ou moins divergentes montrent qu’on n’arrive pas à classer Jésus. Ce qui est bien normal. Comment dire et décrire n’importe quelle personne humaine dans ce qui fait son mystère. On n’arrive même pas à se connaître soi-même ! Jésus échappe à toute classification.
Consacré
Et pourtant Jésus insiste. Il demande à ses disciples, ceux qui lui sont les plus proches, ce qu’il est pour eux. Là, une seule réponse, celle de Pierre, au nom de tous : « Tu es le Messie » Réponse péremptoire. Et pourtant réponse terriblement ambiguë. Car sous cette appellation de Messie, on peut mettre des réalités différentes, et même contradictoires. Le mot hébreu Messie, traduit en grec par Christos, en latin Christus, signifie celui qui a reçu une onction d’huile d’olive, qu’il soit prêtre, roi ou prophète. Pourquoi de l’huile ? Sans doute parce qu’une tache d’huile est très difficile à effacer. Donc il y a une idée d’imprégnation permanente. Il s’agit d’une marque ineffaçable. Dieu prend son « oint » sous sa marque définitive. Par conséquent, aux yeux de Pierre et de ses camarades, Jésus, leur ami, est « sacré », « consacré », revêtu par Dieu d’une grandeur et d’une dignité incroyables. C’est le plus beau et le plus grand qualificatif qu’il puisse utiliser pour désigner Jésus. .
Donner sa vie
Et voilà que Jésus va le détromper et lui signifier une toute autre destinée, aussi bien pour lui, le Messie, que pour toutes celles et tous ceux qui veulent le suivre. Certes, il est le Messie de Dieu, mais son destin passe par les contradictions, les refus, la haine des puissants, le rejet, l’arrestation, la torture, la mort… et la résurrection.
Comme je comprends Pierre qui s’élève contre cette perspective ! Qui de nous n’en ferait-il pas autant ? Et voilà que Jésus enfonce le clou. Pas question pour lui d’édulcorer la perspective. Tu veux être disciple du Christ ? Il faut prendre le même chemin que lui. La contradiction, le rejet, la souffrance ? Oui. Entendons-nous bien : nous ne sommes pas masochistes, et jamais nous ne chercherons la souffrance pour elle-même. Alors, que signifie « prendre sa croix » ? Sans doute, essentiellement, être prêt à donner notre vie pour les autres. Et cela coûte, bien sûr. Mais « donner sa vie » - je le répète sans cesse – ne signifie pas d’abord « mourir pour… », mais « vivre pour… » Vivre au service des autres. Donner de ses forces, de son temps, de ses capacités humaines pour que les autres puissent vivre mieux, de façon plus juste et plus vraie.
Tout au long des dimanches de l’automne, Jésus nous expliquera de façon plus concrète en quoi consiste cette « suivance ». A nous de manifester, par une écoute fervente ; notre volonté de suivre Jésus en prenant notre propre croix.