THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2007 : DIEU.
"Dieu est beau. Il aime la beauté."
1- Noms de Dieu !
( janvier 2007)
AVANT-PROPOS
Au moment de commencer cette série 2007 de notre Théologie pour les Nuls, je me sens incroyablement perplexe. Quelle idée de vouloir vous parler de Dieu cette année ? Comme si on pouvait parler de Dieu ! Comment parler de quelqu'un qu'on n'a jamais vu, dont les plus illustres spécialistes de la question, aussi bien théologiens que mystiques de toutes religions disent qu'il est celui dont on ne peut rien dire, littéralement l'ineffable. Lui qui, dans les traditions bibliques, a semé crainte et tremblement chez celles et ceux qui l'ont approché de plus ou moins près. Et par quel bout, par quel commencement pourrait-on bien aborder la présentation. Cela fait des semaines, des mois que je retourne la question en tous sens, sans trouver de solution satisfaisante.
Pourtant mon projet a un but. Il s'agit de répondre à quelques questions que nos contemporains se posent en ce début de troisième millénaire. Essentiellement deux questions : Dieu existe-t-il ? et s'il existe, qui est-il ? Pour répondre à ces deux questions, il me faudrait d'abord expliquer pourquoi, personnellement, homme du XXIe siècle, je crois en Dieu, malgré toutes les déconstructions et les négations que les penseurs des trois derniers siècles ont opérées. Et ensuite, mais ensuite seulement, préciser qui est ce Dieu en qui je crois. Vaste programme, vous le devinez. Comment faire simple, dans un langage accessible, pour préciser des choses passablement compliquées par "les sages et les savants " !
Mais pour commencer, je crois qu'il nous faudra bien préciser de qui on parle quand on prononce ce nom : Dieu. Vous verrez que déjà là, sous ce simple nom, les hommes disent des choses bien différentes.
Mais avant tout, je vous dois une explication. Pour illustrer cette page consacrée à Dieu, j'étais très hésitant. Un moment, j'avais pensé à mettre une photo du "Beau Dieu d'Amiens". Mais en fait, cette statue représente Jésus. Et alors je me suis souvenu du 2e commandement du Sinaï : "Tu ne te feras pas d'image sculptée" (représentant Dieu). C'est pourquoi j'ai préféré placer en tête de ce chapitre une belle calligraphie arabe (et sa signification)
Les multiples noms donnés au Dieu unique.
Le mot Dieu a derrière lui une longue histoire. Ainsi le mot allemand Gott (en anglais God) fait partie de la langue germanique bien avant le christianisme. Il vient sans doute d'un mot indien huta, qui signifie l'être qu'on invoque, à moins qu'il ne vienne d'un autre mot qui signifie "fondre" et désigne donc alors la divinité comme "celui à qui l'on sacrifie".
Par contre, on ignore l'étymologie du mot Theos qui désigne Dieu en grec. Platon est le premier à forger, à partir de ce nom, le mot "théologia", la science de Dieu. Le mot désigne toute expérience d'une force extraordinaire, en particulier le face-à-face qui bouleverse, qui saisit, qui ravit. L'ancienne religion grecque connaissait une foule de dieux. Il en est de même chez les Romains, qui emploient le mot Deus. Le mot a un rapport avec le ciel. Il provient sans doute du vieux mot indien devas, qui a donné Dio, Dios, Dieu dans les langues romanes. Plus qu'avec le ciel, le mot a un rapport avec la lumière. L'idée de jour, de clarté est lié à l'idée de divinité. le mot grec Zeus dit à la fois "Dieu" et "lumière" et le latin Jupiter, c'est ju-pater, le père du jour. Un jour, en latin, c'est dies, d'où l'adjectif diurne. Et donc par extension, puisqu'on divinise la lumière du jour, on va parler du ciel, et de céleste.
En dehors du judéo-christianisme, d'autres religions ont atteint un niveau de développement très élevé. Non seulement des religions polythéistes ou panthéistes, mais des religions monothéistes, où l'on vénère et prie un Dieu unique. Les historiens des religions ne parlent généralement de Dieu que là où le sacré est admis comme une personne. Par opposition aux "esprits" la notion de Dieu a un caractère plus individuel. En latin, on dit que le numen (la divinité) devient nomen (elle a un nom). Dieu reçoit un nom. Il arrive même que Dieu porte d'innombrables noms, généralement expressions de sa puissance. Mais parfois aussi, dans des religions mystiques qui ont évolué à un degré très élevé, il ne porte pas de nom du tout. Il est Dieu sans nom, ineffabilis, c'est-à-dire indicible, celui dont on ne peut rien dire.
Retenons, pour l'instant, cette appellation commune à nos civilisations : le mot Dieu, qui est un nom commun, lié à l'idée de lumière, de jour, de ciel. Dans la Bible, pour désigner la divinité, on trouve un terme générique, c'est El. Les patriarches vénéraient un dieu El lié à tel ou tel sanctuaire. El-Roï, par exemple, ou El-Bethel. Le dieu des patriarches se rattache au grand dieu El (pluriel : Eloïm), chef du panthéon des Cananéens. « Il désigne moins une personne de caractère individuel qu'une personne de nature divine, déterminée génériquement » (E. Stauffer). Dans la même lignée, on trouve Allah, le Dieu de l'Islam qui, d'après un certain nombre de spécialistes, vient d'El. Mais le mot Allah, beaucoup plus tardif que le mot El, désigne un Dieu personnel. "Allah est considéré comme le nom le plus précieux de Dieu parce que ce n'est pas un nom descriptif comme les 99 autres noms d'Allah, mais le nom de la présence même du Dieu unique."
La religion chinoise.
Au moment de l'expansion missionnaire liée aux grandes découvertes, donc à partir du XVIe siècle, le problème s'est posé : comment traduire le nom de Dieu en des langues étrangères ? Et comment ces peuples qu'on rencontre désignent-ils Dieu ? La religion chinoise est un cas exemplaire. Le bouddhisme également.
Avant cette époque, on ne se connaissait pratiquement pas. La Chine se considérait comme l'Empire du Milieu. Pour eux, à l'Ouest, tout était bouddhiste et les premiers portugais qui débarquèrent furent considérés comme une secte bouddhiste. Inversement, pour les Occidentaux, les Chinois étaient des païens. Un point c'est tout. Ce sont les missionnaires jésuites qui apprirent à l'Europe l'existence du confucianisme. Ils surent d'ailleurs faire très vite la distinction entre le bouddhisme, qui était pratiqué par beaucoup, avec ses doctrines précises, ses êtres divinisés, sa morale de la compassion, son ascétisme monastique et sa croyance d'une vie après la mort, et le confucianisme, qui se concentrait de façon plus concrète sur les relations entre les hommes et parlait peu de liens avec une réalité supra-humaine.
C'est le P. Ricci qui le premier expliqua que les textes confucianistes les plus anciens contenaient des notions très belles sur Dieu et la vie après la mort. Les anciens chinois croyaient en un Dieu personnel, qu'ils adoraient sous deux noms : "Seigneur d'en-haut" et "Ciel". Reprenant cette tradition séculaire dans leur évangélisation, les missionnaires jésuites utilisèrent dans leur liturgie et leur prédication les termes de Shang-ti (Seigneur d'en-haut) et Tien (Ciel), et ils y ajoutèrent une expression nouvelle Tien Zhu ("Seigneur du ciel".) Hélas, cette pratique ne dura pas longtemps. Elle fut condamnée par Rome. Jusqu'en 1940. Les conséquences de cette interdiction furent catastrophiques. Retenons simplement de cette affaire que lorsqu on parle de Dieu, il ne faut pas faire preuve d'arrogance ou d'exclusivisme, comme si nous seuls avions la vérité. Certes, il ne faut pas tout mélanger, mais au contraire susciter l'annonce désintéressée de Dieu un et vrai pour tous les hommes dans les différentes religions et donc dans différentes manière d'en parler.
La religion bouddhiste
Apparemment, le bouddhisme représente l'extrême opposé de l'idée chrétienne de Dieu. Mais sa conception - ou plutôt ses conceptions - de la divinité sont difficiles à comprendre pour nos esprits occidentaux. D'abord parce que les mots ne signifient pas la même chose en Orient et en Occident. Des mots comme "non-être", "non-soi", "non-moi", "néant", "silence" n'ont nullement, en Orient, la coloration négative qu'ils ont en Occident. D'autre part le bouddhisme du "Petit Véhicule" et le bouddhisme du "Grand Véhicule" ont souvent des doctrines et des pratiques antagonistes, qui vont de l'idolâtrie massive à la philosophie la plus sublime.
En Occident, on a une vision positive de Dieu, et on emploie quantité de noms positifs : l'Absolu, l'Acte pur, l'Etre-même. Dans le bouddhisme, par contre, ce qui compte, c'est le non-absolu, le non-être, le Nirvana, le Vide ou même le Néant absolu. En fait, plus qu'à la question de Dieu, le bouddhisme s'intéresse à la question du salut de l'homme. Ce monde est mauvais, aussi l'enseignement de Bouddha vise une voie pratique pour délivrer l'homme des souffrances de cette vie, souffrances causées par sa soif de vivre, son égoïsme, son auto-affirmation : c'est la voie du Nirvana. Dieu créateur, cause première, Père tout puissant ? Le bouddhisme ne connaît pas. Pourquoi poser des questions de ce genre à l'hommes souffrant ? Elles ne lui sont d'aucune aide pour arriver à l'état qu'il doit atteindre : négation du monde, absence de passions, dépassement, apaisement, illumination finale, bref, le Nirvana. Image parlante, celle de la roue. Nous sommes tous sur la roue, l'existence humaine est un perpétuel cycle, la roue des choses sur laquelle chacun est attaché, de réincarnations en réincarnations successives.. L'idéal est d'arriver à s'affranchir un jour de la roue des choses pour atteindre le Nirvana, illumination définitive, apaisement final. Le mot Nirvana signifie "disparaître, emporté par le vent", ou extiction, pour aller vers une éternelle quiétude sans conscience, sans souffrance, sans désir, comme une bougie qui s'éteint. Pour y parvenir, il faut dominer durant sa vie sa soif de vivre. Il éteint par là-même la nécessité de renaître.
Dans cette perspective, le monde n'est pas la création bonne de Dieu, au contraire : il est né de l'homme qui a délaissé l'absolu à cause de sa convoitise et de sa bêtise. Le vrai réel et la suprême réalité c'est le Nirvana, réalité permanente, stable, impérissable, immuable, sans âge, sans mort, non né, sans devenir. Il est pouvoir, bonheur, refuge sûr, abri. Le vrai réel est le Bien, la paix éternelle, cachée, incompréhensible. Le Bouddha, qui est comme une incarnation personnelle du Nirvana, est l'objet unique de toutes les émotions religieuses.
Confrontation ? Convergences ?
Le bouddhisme parle volontiers de Néant absolu, mais pour lui Néant ce n'est pas rien. Au contraire. Il signifie l'Être ab-solu, vie déliée de toutes les notions, de toutes les images. Voilà qui diffère largement de nos manières occidentales de penser. Cependant, il peut - il doit - y avoir confrontation entre ces manières apparemment divergentes de dire la même réalité. Les affirmations de l'Occident sur Dieu sont susceptibles d'être importantes pour l'Orient, et les négations orientales ne le sont pas moins pour l'Occident. Mais d'abord, il faut remarquer qu'en Occident également, on connait l'importance de la négation dans la question de Dieu. Même chez saint Thomas d'Aquin, qui reconnaît que l'essence propre de Dieu reste cachée et inaccessible à la raison humaine. Il écrit : "Le stade ultime de la connaissance humaine, c'est que l'homme sache qu'il ne connaît point Dieu, dans la mesure où il reconnaît que ce qui est Dieu dépasse tout ce que nous comprenons de lui."
Le cardinal Nicolas de Cues (1401-1464), expliquera que toute théologie purement affirmative, à l'exclusion d'une théologie négative, fait de Dieu une créature de notre intelligence et de l'adoration de Dieu une idolâtrie. En Dieu, toutes les oppositions coïncident. Le plus grand est donc aussi le plus petit, et il dépasse ainsi l'un et l'autre. Il est l'ineffable et l'infini. "En réalité, ajoute-t-il, Dieu n'est connu que de lui-même."
En conséquence :
* Nulle idée, nul énoncé ne peut enserrer Dieu. Il est l'Insaisissable, l'Inexprimable, l'Indéfinissable. Aussi les énoncés positifs ("Dieu est bon", par exemple) sont insuffisants.
* Dieu dépasse toute formulation, toute idée qu'on se fait de lui, et cependant il n'est pas séparé du monde et de l'homme, il n'est pas extérieur à tout ce qui est.
* Dieu dépasse le monde et l'homme tout en les traversant. Il est infiniment loin et pourtant plus proche de nous que nous ne le sommes à nous-mêmes. Impossible à saisir dans notre expérience de sa présence et pourtant présent dans l'expérience même de son absence.
* Dieu est immanent au monde et pourtant il ne se confond pas avec lui. Il l'englobe et pourtant il ne lui est pas identique. En lui, transcendance et immanence coïncident.
* Tout ce que nous disons sur Dieu doit donc supporter à la fois l'affirmation et la négation. Toute expérience de Dieu doit supporter l'ambivalence de l'être et du non-être.
* Devant Dieu, toute parole provient d'un silence qui écoute et conduit à un silence qui parle.(La suite, début février)