THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2007 : DIEU.

 

"Dieu est beau. Il aime la beauté."

4 - Les Maîtres du soupçon (1)

avril 2007


Nous allons poursuivre, ce mois-ci, notre recherche des origines de l'athéisme.
D'abord, un rappel : dans mon projet, il y aura deux parties.
Première partie, Dieu existe-t-il ? Deuxième partie : Qui est Dieu ?

Dans la première partie, nous avons commencé l'étude de l'athéisme. Descartes au XVIIe siècle, puis les philosophes du siècle des Lumières (le XVIIIe siècle) nous en ont indiqué un peu les origines. Avec ceux du XIXe siècle, on passe à une étape beaucoup plus radicale et plus importante dans l'histoire de l'athéisme. Comme les mousquetaires, les trois "maîtres du soupçon" étaient quatre, en réalité : le précurseur, Feuerbach, et les trois grands : Marx, Freud et Nietzsche. Tous totalement différents, mais tous acharnés à nier l'existence de Dieu et à mener, chacun à leur manière, le combat de l'athéisme. C'est alors que Nietzsche pourra crier triomphalement "Dieu est mort !"

Nous allons donc commencer à regarder cela d'un peu plus près.

 

 

Il y a eu, entre le début et la fin du XXe siècle, une mutation considérable : Dieu a cessé de faire partie des préoccupations habituelles des gens. Il a cédé la place à d'autres valeurs, notamment l'efficacité et la rentabilité. Surtout, ce n'est plus Dieu qui donne sens aux activités de l'homme. On se réfère encore parfois à lui, mais seulement pour marquer quelques étapes de la vie, de la naissance à la mort, en passant par le mariage ; ou encore dans les périodes de crise de notre existence (personnelle ou collective): ce que Sartre appelait les "moments de pointe". Mais cela n'est plus qu'une vague survivance sociologique. Dieu s'est effacé des consciences.

Quelle est l'origine d'une telle mutation, qui a conduit une partie du monde à une indifférence de plus en plus large, dans toutes les couches de la société ? Ce n'est pas seulement la faute aux "maîtres du soupçon" En réalité, ils ont trouvé dans la réalité vécue par beaucoup une audience inattendue et ils ont su exprimer clairement cette réalité. Il y a des raisons sociologiques, économiques, politiques à l'indifférence religieuse actuelle. Mais les grands penseurs du XIXe siècle ont su exprimer fortement ce qui n'était qu'une tendance pratique, et pour une part un simple laisser-aller religieux. Les arguments de l'athéisme contemporain sont presque tous empruntés aux penseurs du siècle précédent.

Avant d'apprendre à connaître les arguments de ces grands penseurs, nous allons faire une recherche plus globale autour de trois questions :
1 - Comment l'athéisme s'est-il imposé ?
2 - Par quelles stratégies l'athéisme s'attaque-t-il au problème religieux ?
3 - Enfin, nous ferons le point sur la situation actuelle.

1 - Comment l'athéisme s'est-il imposé ?

Partons de ce constat : de plus en plus de gens vivent comme si Dieu n'existait pas. Sans qu'il y ait chez eux une négation de Dieu, et même si parfois subsiste une interrogation, (il y a peut-être quelque chose ?) pour la plupart il s'agit d'une absence d'opinion. On se dit agnostique plutôt qu'athée. Agnostique = on ne sait pas ! Et aujourd'hui, l'athéisme n'a plus le caractère virulent qu'il avait au début du XXe siècle. Il faut dire également que les croyants ne cherchent pas la bataille. Au contraire : l'athéisme est non seulement toléré, mais même accueilli avec bienveillance. D'ailleurs, il "interpelle" notre foi, ce qui est un bien. Nous entrons dans une période de post-athéisme. L'athéisme ne surprend plus. Et au contraire, ce qui est surprenant aujourd'hui, c'est la foi. Le croyant devient aux yeux de beaucoup un type bizarre. C'est maintenant à lui de justifier sa foi. Cette foi qui allait de soi jusqu'ici pose aujourd'hui de plus en plus question.

Donc, pour en revenir à l'histoire, je vous rappelle comment l'athéisme contemporain est né. En février et mars, dans cette page consacrée à Dieu, j'ai évoqué quelques figures, telles que celles de Descartes et de Pascal, qui sont tous deux des croyants d'ailleurs, puis les "philosophes" des Lumières au XVIIIe siècle, qui manifestent un scepticisme assez général, mais qui sont très rares à faire profession d'athéisme. Ils sont, pour la plupart, des "déistes", qui se font une certaine image de la divinité, en dehors de la Révélation biblique transmise par les Églises. Très rares sont ceux qui se déclarent athées, d'abord parce que c'est risqué, mais aussi parce qu'aux yeux des croyants, l'athéisme ne peut être que la conséquence d'une perversion morale, ou alors d'une faiblesse de la raison. C'est l'époque, d'ailleurs, où les religions multiplient les preuves de l'existence de Dieu, comme pour mettre l'athée hors-jeu.

L'athéisme cherche donc à se frayer difficilement un chemin au XVIIIe siècle. Mais il progresse surtout dans les milieux intellectuels comme dans la bourgeoisie "éclairée". Ce n'est qu'au XIXe siècle  qu'il trouvera ses véritables fondateurs. Nous en reparlerons en détail, plus tard. Retenons simplement que si, avant la Révolution, l'athée risquait la mort ou l'enfermement dans des asiles, même si on avait encore pour lui un certain mépris, pendant longtemps - et jusque de nos jours - beaucoup pensent que l'athéisme relève d'une certaine perversion morale. Il faudra arriver au Concile Vatican II pour changer d'opinion. On peut être athée et moralement irréprochable, pensent les théologiens. Et même, pour certains, il est possible d'accéder au salut au sein même de l'athéisme.

2 - L'homme, créateur de Dieu.

Au XVIIIe siècle, la religion a perdu du terrain, surtout chez les intellectuels. Au XIXe siècle, un phénomène nouveau se produit : l'athéisme gagne les masses, même dans les couches les plus démunies de la société. Mais surtout, se produit un nouveau tournant : l'athéisme trouve ses maîtres à penser. La religion va être rejetée comme nuisible. Bien plus, cet "athéisme populaire" va se trouver justifié par des penseurs. Voici quelques pistes de leurs réflexions :

* Dieu est un produit de l'imagination. Il est une illusion, une création de l'esprit humain qui le pare de toutes les qualités humaines. La foi chrétienne affirme que Dieu est le Créateur des hommes. Faux, disent-ils. C'est l'homme qui se crée des dieux. Remarquez que les croyants pensent aussi cela, mais justement pour essayer de purifier leur représentation de Dieu de tous les attributs, bons ou mauvais, que les hommes lui octroient. Par contre, l'athée jette par dessus bord toute croyance religieuse. Dieu n'est rien d'autre que le fruit de l'imagination humaine. Il est le résultat d'un transfert hors de l'homme d'une qualité vécue par l'homme sur un être imaginaire qu'il pense doté du maximum de cette qualité humaine.

* Dieu est une consolation pour le coeur. Pourquoi l'homme a-t-il inventé Dieu ? Parce qu'il en a besoin pour supporter la vie. Marx ayant analysé les phénomènes économiques qui pèsent sur l'homme écrit que la religion est "le soupir de la créature opprimée, l'opium du peuple, l'auréole d'un monde sans coeur." Freud pense que la religion est un remède, "un sédatif" dans un monde qui "inflige trop de peines, de déceptions, de tâches insolubles." La religion est un baume qui rend supportable la vie qui ne l'est pas par elle-même. Elle est le cri de l'homme meurtri, mais aussi, pour Marx, une manière de protester contre le mauvais fonctionnement et les injustices de la société. Certes, pour lui, elle n'est qu'une illusion de plus, mais elle joue un rôle de consolatrice. Donc Dieu, inventé par l'homme, n'est qu'une réponse à des besoins. C'est un Dieu "utilitariste", le complément de nos manques. C'est un Dieu "bouche-trou", remède aux limites humaines. Remarquez qu'il y a quelque chose de vrai dans cette analyse, et le chrétien cherchera toujours à éliminer ce Dieu des manques. Mais l'athée est plus radical : il élimine ce Dieu du "besoin" qui est une nécessité pour la vie humaine. Mais il ignore le Dieu du "désir" qui est gratuité et appel à la gratuité humaine. On en reparlera, bien sûr.

* La religion est un frein pour la volonté. La religion, disent les athées, endort la volonté. Pour Marx, c'est un opium. Et Rimbaud écrit : "O Christ, éternel voleur des énergies." Ce qui veut dire que la religion maintient l'homme dans son état d'enfance et l'empêche de devenir adulte. La religion n'est pas un moteur, mais un frein. Pas besoin d'une grande recherche pour parler ainsi : il suffit de lire les déclaration de nombreux auteurs catholiques du XIXe siècle, telle celle-ci : " Résigne-toi à la pauvreté et tu en seras récompensé et dédommagé éternellement" (Montalembert). Les athées vont donc inviter l'homme à devenir autonome, à s'appuyer sur lui-même, à faire sa vie et à transformer le monde. Et pour cela, commencer par éliminer la religion. L'homme est inapte tant qu'il regardera vers le ciel. C'est pourquoi la lutte antireligieuse est une condition préliminaire. La religion est fondamentalement nuisible parce qu'elle démobilise. D'où la nécessité, pour le croyant, de placer la réfutation de l'athéisme, non pas d'abord sur le terrain des discours et des arguments, mais sur le terrain de l'engagement concret. "Quant au remède à l'athéisme, on doit l'attendre, d'une part, d'une présentation adéquate de la doctrine, d'autre part de la pureté de vie de l'Église et de ses membres" (Constitution Gaudium et Spes de Vatican II). C'est-à-dire de l'efficacité de l'engagement des chrétiens pour l'homme.

L'athée considère donc la religion, non pas comme une erreur, ni comme un mensonge, mais comme une illusion que l'homme produit par lui-même pour répondre à son angoisse existentielle, et comme un frein pour sa volonté. Donc l'athée, pour se libérer de l'illusion religieuse, va d'abord montrer comment l'idée de Dieu germe dans l'imagination, puis essayer de déconstruire l'idée de Dieu en montrant les réalités humaines sur lesquelles elle s'est greffée.

On peut mesurer le chemin parcouru. Jusqu'à l'aube des temps modernes, l'athée était au banc des accusés : soit on le considérait comme un pervers, soit on le regardait comme un débile intellectuellement. Aujourd'hui l'athée est au banc des accusateurs : la religion relève de l'ignorance ou de la méconnaissance de ses racines humaines, et elle affaiblit la volonté humaine, elle l'infantilise. L'athéisme est un effort de réappropriation par l'homme de tout ce qui est humain et dont il s'était dépouillé en l'attribuant à Dieu.

3 - La situation actuelle

Peut-on faire maintenant un premier bilan ? L'athée n'est plus au ban de la société. Il vit comme tout le monde. Il assume son existence, avec sa grisaille et ses joies, mais sans référence à la foi et sans évasion. On parle d"'athéisme positif", capable de révéler l'homme à lui-même. La lutte contre la religion s'inspire toujours d'une certaine idée de l'homme et d'un projet de libération.

Un monde séculier.

Un athéisme positif ? Oui, comme porteur de valeurs. Essentiellement l'autonomie des réalités humaines. Pendant des siècles, il y avait unité entre trois réalités : le monde, l'Église et Jésus Christ. Ces trois réalités se superposaient. L'Église prétendait parler au nom de Jésus Christ et imposer la Vérité au monde. L'Église s'identifiait à Jésus Christ et exprimait la volonté de Dieu pour le monde, dictant sa manière de penser et de vivre. Nous vivions dans une religion "conventionnelle" dont on acceptait les vérités et les pratiques, non au terme d'une réflexion et d'une décision personnelle, mais parce qu'on nous l'avait dit, que ce soit à la maison, à l'école ou à l'église. Dans ce type de religion, la contestation n'avait pas de place. Les déviants étaient mis à l'égard et rejetés. Or ce christianisme conventionnel est mort. Il n'y a plus cette unité entre monde, Église et Dieu. Le monde tourne en roue libre. Il a pris ses distances et son autonomie. On parle donc de déchristianisation et de sécularisation. Des secteurs entiers de la société sont soustraits à l'autorité de l'institution ecclésiale.

Le phénomène a atteint la science dès le XVIIe siècle avec l'affaire Galilée. La science est sortie gagnante de cet affrontement. Puis la sécularisation a atteint la sphère du politique au XVIIIe siècle, et là encore, l'Église a eu du mal de renoncer à son emprise sur le pouvoir temporel. Aujourd'hui, nous sommes en train de vivre  la rupture entre l'Église et la morale. Dans ce domaine, la sécularisation atteint les moeurs, et également pénétré les consciences. Il y a de plus en plus d'individus qui vivent sans référence religieuse. Et enfin l'éthique échappe progressivement, sous nos yeux, au contrôle de l'Église. Voir contraception, avortement, divorce, liberté sexuelle, manipulations génétiques, euthanasie... Non seulement l'Église n'est plus entendue, mais elle passe pour n'avoir que des interventions antihumanistes. Elle prêche des valeurs estimées d'un autre âge, surtout quand elle s'appuie sur une hypothétique "nature humaine" dont elle prétend détenir la clef. Dans ce processus de sécularisation, il faut reconnaître la responsabilité de l'Église : elle a toujours été au frein, alors qu'il aurait fallu accompagner le processus , sous peine d'être laissée en-dehors de toute l'évolution de nos sociétés. Église d'autorité, non entendue, alors qu'il eût été intéressant qu'elle se présente comme une Église de dialogue, capable d'écouter ce que le monde a à lui dire, et non pas seulement capable d'enseigner au monde.

Les raisons de l'athéisme moderne.

Plutôt que de parler de l'athéisme, il vaudrait mieux parler des athéismes divers. On aura par exemple un athéisme "politique" qui rejette l'Église parce que la religion a toujours tout justifié, la torture, l'esclavage, l'oppression, et que bien souvent elle s'est mise dans le camps des oppresseurs. Mais toutes ces causes ne sont pas des raisons suffisantes pour justifier l'athéisme. On peut critiquer la religion (comme le faisait déjà Voltaire par exemple) et croire en Dieu. Donc, allons plus profond et cherchons quelles sont les raisons invoquées par l'athée contre l'idée de Dieu ?
* La raison la plus fréquente, c'est
le problème du mal. Puisque le mal existe, Dieu est moralement impossible. Le mal, surtout la souffrance et la mort de l'innocent c'est le grand scandale. Voir La Peste de Camus.  Où est le coupable. On ne peut accuser l'homme. Alors ? Les athées voient dans la souffrance le signe de l'absence de Dieu. On ne peut affirmer Dieu et le mal.
* Seconde raison : Dieu est
scientifiquement inutile. La science explique tout au moyen des lois naturelles. Le hasard et la nécessité. Le monde s'explique sans Dieu, même si cette explication reste inachevée.
* Troisième raison : Dieu est
humainement intolérable. On ne peut concilier liberté humaine et existence de Dieu. Pour Nietzsche et Sartre, il y a incompatibilité entre Dieu qui sait tout et la liberté de l'homme, livré à son indiscrétion. Comment l'homme serait libre s'il est sans cesse observé, prévisible, déterminé, prédestinés. On ne peut accepter l'intolérable ingérence d'un étranger dans les affaires "privées" de l'homme. L'homme est fatigué de vivre sous l'oeil de Dieu.
* Une quatrième réflexion, encore plus actuelle. C'est celle du philosophe allemand Heidegger qui demande : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" Les anciens répondaient que justement, il fallait Dieu, seul fondement possible de l'être du monde. Les penseurs actuels refusent ce recours à Dieu, mais en même temps répondent : inutile de chercher des "raisons" d'être. Devant l'être, une seule attitude convient : l'émerveillement.

En voulant défendre l'existence de Dieu, le croyant, aujourd'hui, a l'impression d'une cause perdue d'avance. "Il est frappant de constater qu'aujourd'hui on ne prouve plus guère Dieu, comme le faisaient saint Thomas, saint Anselme ou Descartes... Les preuves restent d'ordinaire sous-entendues... La philosophie, elle s'établit dans un autre ordre. Elle ne dit pas que l'homme total nous attend dans l'avenir : comme tout le monde, le philosophe n'en sait rien." (Merleau-Ponty). Voilà où nous en sommes. Le chrétien est sur la défensive, mais le philosophe est lui-même devenu modeste. Il ne croit plus au triomphe de la science. Il ne croit pas à l'absolu chrétien, mais il ne croit plus à un autre absolu, scientifique ou marxiste. L'athéisme ne croit pas posséder toute la vérité. En tout cas il ne fait plus de la science le nouvel absolu. Le scientisme est passé de mode. Renan attendait de la science la révélation du monde "véritable", de l'"infini réel". Aujourd'hui, cette idée ne fait plus recette et passe pour obscurantiste. Ce n'est plus de la science qu'on attend le salut aujourd'hui. Alors ?

(a suivre, début mai)

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