THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2007 : DIEU.

 

"Dieu est beau. Il aime la beauté."

6 - Dieu est mort ! (Nietzsche)

juin 2007

 

Nous continuons ce mois-ci l'analyse des origines de l'athéisme contemporain. Nous étions partis de Descartes, puis nous avons regardé les philosophes des lumières. Jusque là, très rares sont ceux qui se disent athées. C'est avec Feuerbach que naît l'athéisme contemporain, une pensée réfléchie et motivée. Marx et Freud suivront ses traces. Mais tous ces penseurs, même s'ils influencent aujourd'hui encore la pensée et les comportements de nos contemporains, ne sont rien en comparaison de l'influence, aujourd'hui encore, de Nietzsche. Celui-ci se révèle étonnamment moderne, alors que, de son temps, son influence fut assez modeste. Pensez donc : voilà un homme qui a vécu au XIXe siècle (1844-1900) et ce qu'il annonçait : le déclin du christianisme, l'homme post-chrétien, est en train de se réaliser sous nos yeux. Nous sommes en plein dedans. Donc, on va essayer de décortiquer cette pensée pour pouvoir, ensuite, nous situer en croyants dans ce monde qui est le nôtre.

 

 

    Une déclaration de guerre

Le père de Friedrich Nietzsche était pasteur. Il n'avait que 5 ans quand celui-ci est mort. Jamais il ne reniera ses origines : "Mon sang, écrit-il, est parent du sang des prêtres." Ce qui ne l'empêche pas de manifester assez rapidement son opposition à la foi chrétienne parce qu'elle enseigne, dit-il, "le mépris de la vie." Son père lui a transmis, pense-t-il, "un idéal ascétique, un idéal de mort, car l'ascèse est une forme de suicide, une lente mise à mort de soi-même."

Il faut dire que c'est l'idéal que lui propose l'école luthérienne de Pforta, où il fait ses premières études. Discipline toute monacale, destinée à former de futurs pasteurs. car Nietzsche envisage de devenir pasteur. Il a laissé le souvenir d'un enfant studieux et pieux. Mais déjà il se pose des questions et se dit qu'un jour, le christianisme ne résistera pas aux questions fondamentales que se pose l'humanité sur Dieu et  l'immortalité. Il en vient à penser que le christianisme n'est qu'un ensemble de traditions familiales. A 20 ans, il refuse d'aller au culte avec sa famille. Sa mère ne comprend pas. A sa soeur qui veut en discuter avec lui, il écrit : "C'est ici que se séparent les voies humaines. Si tu poursuis le bonheur et le repos, crois, mais si tu veux être un disciple de la vérité, alors cherche."

Désormais, il va essayer de faire souffler sur le vieux monde chrétien "un vent de dégel". Il veut être un "casseur". Non seulement il va se faire "l"adversaire de rigueur" du christianisme, mais en même temps il veut présider à la création d'un nouveau type d'homme, l'antithèse du chrétien. Deux parties dans son oeuvre, la première, critique, étant la plus élaborée. Comme Nietzsche commence à sombrer dans la folie à 55 ans, en 1889, il n'aura pas le temps d'achever son oeuvre.

Nietzsche prend le christianisme très au sérieux. Il s'énerve quand il évoque les moqueries de Voltaire. Pour lui, si on veut toucher le christianisme à mort, il faut le piquer à la racine. Quelle est cette racine ? Nietzsche la trouve dans la vie même des chrétiens, au fond de l'âme chrétienne : c'est le "ressentiment". Ce qui caractérise le christianisme, c'est un idéal ascétique, refus de la vie, rêve d'une autre vie meilleure que la première. Le christianisme comprend le monde comme une prison dont il faut s'évader, et il promet le salut, moyennant la foi, dans un arrière-monde invisible. Et voilà l'homme chrétien partagé entre un monde qui lui est interdit et un au-delà qui est une illusion. Ce n'est pas Jésus qui est responsable, lui qui proclamait un "gai message", mais c'est Paul, l'homme du ressentiment, prédicateur d'un "triste savoir". Certes, Nietzsche critique parfois Jésus aussi , mais ce sont surtout les disciples et l'Église qui sont responsables. L'Église a trahi le message de Jésus. Elle l'a enchaîné, étouffé : "l'Église est exactement ce contre quoi Jésus a prêché et contre quoi il a enseigné à ses disciples de lutter."

    Trois métamorphoses

Pour saisir l'évolution de la pensée de Nietzsche - ce qui n'a rien de bien évident - le plus commode est de se rapporter à la célèbre parabole qui introduit son livre Ainsi parlait Zarathoustra :
"Je vais vous énoncer trois métamorphoses de l'esprit : comment l'esprit devient chameau, comment le chameau devient lion et comment le lion devient enfant."

Que veut-il dire ?

L'esprit-chameau signifie que l'esprit met tout son courage à assumer, sans esprit critique, ce qui lui est proposé. Il se charge des fardeaux les plus pesants, ceux de la religion ou de la morale. Il est docile, il supporte tout, il vénère tout. Il endosse le destin, il le subit. Il ne conteste rien. Son trait distinctif est la vénération. Nietzsche écrit : "L'homme est un animal qui vénère." Mais, ajoute-t-il, il n'y a pas que les chrétiens qui vivent cet esprit-chameau qui vénère. Autrefois, l'esprit vénérait surtout les valeurs religieuses et les valeurs morales. Or celles-ci sont à leur déclin. Les modernes ont rejeté les valeurs chrétiennes, mais ils ne sont pas pour autant  devenus libres et créateurs de leurs propres valeurs. Ils se chargent d"autres poids  : les valeurs morales laïcisées et surtout  les valeurs scientifiques. Les savants remplacent les prêtres. Ils ne peuvent se passer du ciel et, dès qu'est effacé celui qu'imposait la religion, ils s'en inventent un autre, tout aussi oppressif. Le savant vit dans une myope soumission au réel. C'est un esprit docile, un esprit-chameau. Un tel esprit, fait de respect et de soumission  est incapable de dire "non" et de se révolter. il ne peut dire que "oui", mais c'est un "oui" stérile, à l'image de ce désert vers lequel s'en va le chameau chargé de son plus lourd fardeau. Tel est le "oui" de Jésus, un "oui" à la fois héroïque et affligeant . Il ne fait qu'adhérer à toutes les valeurs d'échec. Relisez l'évangile, dit-il, et vous verrez : Jésus a supporté sans révolte les affronts, il s'est effacé sans gloire et finalement est resté indifférent au succès, alors qu'il était à porté de main.

L'esprit-lion. Comment sortir de cette attitude de docilité ?  Par la révolte. Par exemple, fatigué de sa docilité, l'homme refuse de porter plus longtemps le poids dont il est chargé. Alors, il se métamorphose en lion.  Il oppose au "tu dois" un "je veux". L'esprit lion, c'est le libre esprit, l'indépendance. Il est indispensable que l'esprit passe par la révolte. "Quiconque veut créer détruit toujours." L'esprit lion refuse d'être guidé. Il veut être son propre maître, vivre dans son espace à lui. Mais l'esprit lion n'est pas constructif. Il reste au milieu de ses ruines. Tels sont les nihilistes européens, en révolte contre l'héritage chrétien, mais incapables de s'orienter vers la création de nouvelles valeurs. Ce sont aussi des êtres de "ressentiment". Nietzsche ne s'est pas contenté de décrocher les "noirs épouvantails à moineaux juchés sur l'arbre de la vie" : il veut créer d'autres valeurs. Il n'a aucune sympathie pour les anarchistes qui veulent tout renverser. Pour devenir créateur, il faut que le lion subisse une troisième métamorphose et se transforme en enfant.

L'esprit-enfant. "Mais dites-moi, mes frères, que peut faire l'enfant que le lion n'ait pu faire ? Pourquoi faut-il que le lion féroce devienne enfant ? L'enfant est innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un oui sacré." Il est la figure de l'homme disponible pour un nouveau monde, qui s'est arraché aux vieilles valeurs et qui s'est décidé à vivre de ses propres richesses. Il peut devenir créateur. Rien à voir avec l'enfant dont parle Jésus dans l'évangile. Pour Nietzsche, cet enfant-là n'a pas le goût du risque et de l'aventure. Il range parmi eux tous les "bigots" qui passent leurs soirées ensemble  et ne cessent de se dire : "Laissez-nous devenir pareils à de petits enfants . Ils sont inaptes à la terre : en écoutant le lâche démon qui leur souffle : "il existe un Dieu", ils ont sans cesse le regard tourné vers le ciel. Ce sont des transfuges. L'enfant nietzschéen, au contraire, se situe au-delà de la révolte, prêt à commencer un vie nouvelle qui est un "oui" à la terre et à lui-même. Il est totale création de soi par soi.  Nous voici donc en présence d'un idéal diamétralement opposé à l'idéal ascétique du chrétien. Un idéal inverse, que Nietzsche n'a fait qu'ébaucher : il parle de surhomme, de volonté de puissance, d'éternel retour. Des termes difficiles à définir. Disons que l'homme post-chrétien, ni prisonnier d'un oui à Dieu ni figé dans l'immobilisme ou le refus, libre de toute attache, est comme l'enfant, devant un avenir imprévisible, prêt à faire surgir le surhomme. Celui-ci n'est pas un nouveau modèle d'homme, il est l'homme qui se crée sans modèle, condamné à innover.

    DIEU EST MORT

On se demande pourquoi Nietzsche condamne le christianisme avec une telle violence. Les raisons en sont, semble-t-il, multiples. Peut-être parce qu'il en a souffert dans son enfance et sa jeunesse. Ou par conviction humaniste, pour libérer l'humanité qui ploie sous le joug de la religion. Ou par souci d'établir la vérité, face à ce qu'il considère un tissu d'erreurs, la foi en Dieu. Il ne donne pas de réponse nette et même la question semble l'agacer. S'il rejette le christianisme, c'est pour une question de goût, déclare-t-il. Ce qui ne l'empêche pas de multiplier les arguments contre le christianisme. Plus qu'une question de goût, c'est une question de vérité.

L'acte de décès.

C'est net et catégorique : Nietzsche déclare que, dans notre vieille Europe, imprégnée de civilisation chrétienne, Dieu est déjà mort. Pourquoi ? Parce qu'il est du destin des dieux de mourir. Les dieux sont mortels, le Dieu chrétien comme les autres. Voici une déclaration célèbre :

 

N'avez-vous pas entendu parler de cet homme insensé qui, ayant allumé une lumière en plein midi, courait sur la place du marché et criait sans cesse : "Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !" - Et comme là-bas se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une grande hilarité. L'a-t-il perdu ? dit l'un. S'est-il égaré comme un enfant ? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarqué ? A-t-il émigré ?  -  Ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L'insensé se précipita au milieu d'eux et les perça de ses regards. "Où est Dieu ? cria-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tué - vous et moi ! Nous sommes tous ses meurtriers (...) Dieu est mort ! Dieu est mort ! J'arrive trop tôt, dit-il ensuite, mon temps n'est pas encore venu. Ce formidable événement est encore en marche et voyage - il n'est pas encore parvenu aux oreilles des hommes". On raconte encore que le même jour l'homme insensé entra dans différentes églises où il aurait entonné son Requiem aeternam Deo."

Qui est responsable de ce meurtre ? Parfois Nietzsche dit que Dieu est mort de vieillesse, que les hommes étaient fatigués de le supporter et qu'ils l'ont abandonné par lassitude. Il ébauche ainsi une explication psychologique : il s'agit d'un meurtre collectif, dont les premiers responsables ne sont pas les athées, mais les chrétiens eux-mêmes : c'est la tradition chrétienne qui a produit l'athéisme : elle a abouti au meurtre de Dieu dans la conscience des hommes, puisqu'elle leur présente un Dieu devenu incroyable. Ils n'ont pas su présenter un Dieu d'amour, mais seulement un Dieu répressif. L'homme qui se tenait en accusé devant Dieu s'est retourné contre son accusateur.

On n'a pas encore mesuré les conséquences de cet événement capital qu'est la mort de Dieu. C'est un événement à la fois trop récent et trop énorme. Même Nietzsche ne se sent pas de taille à en mesurer l'ampleur. Mais, contrairement à ses contemporains qui nient Dieu, il pressent que la dérive de la religion signifie aussi la dérive de toute une civilisation  et implique donc la tâche d'inventer l'homme post-chrétien. Pour l'instant, personne ne semble avoir compris l'urgence de cette tâche.

Cette mort de Dieu, qui est un fait de civilisation, pose à Nietzsche  une double question. D'abord sur la nature de Dieu : si la mort atteint aussi les dieux, c'est sans doute parce qu'ils sont humains. Ensuite, deuxième question concernant cette fois le sens de l'existence. Puisque Dieu est mort, il n'y a plus personne dans le ciel pour nous dicter ce sens. Il faut donc l'inventer. Deux questions que nous allons maintenant aborder plus en détail.

La naissance des dieux.

Pour Nietzsche, les dieux ne sont pas descendus du ciel tels qu'on se les représente ; ils ont leur origine dans l'esprit des hommes. Nietzsche en fait la généalogie. Il fait assister à leur surgissement dans l'intellect d'une humanité primitive et sans maturité. Devant les forces de la nature qui les laissent désemparés, les hommes primitifs cherchent l'explication. Ces phénomènes ne sont pas naturels ; ils sont causés par des puissances supérieures. Cette explication n'est donc pas éloignée de celle de Feuerbach. La religion apparaît comme une illusion due à la confusion que les humains font entre la cause et l'effet. Incapable de dominer les forces qui le dominent et qu'il attribue à quelque puissance supérieure, l'homme va recourir aux stratégies habituelles : prières, supplications, gestes de soumission, engagement à s'acquitter d'offrandes, célébrations flatteuses... L'homme religieux est un malade qui s'invente une explication personnelle du monde. En fin de compte, l'homme finit par considérer comme une révélation de Dieu ce qui est une invention jaillie de son esprit. "La religion est une altération de la personnalité... La religion a avili la notion de l'homme."

C'est sur ce soubassement psychologique, à partir des comportements de masse qu'il faut comme "une allumette sur un baril de poudre", un fondateur de religion. C'est lui qui donne sens à ce qui existait déjà. Par exemple Jésus :

 

Jésus trouva autour de lui la vie des petites gens de la province romaine : il l'interpréta, la chargea d'un sens et d'une valeur suprêmes, et donna par là le courage de mépriser tout autre genre d'existence avec ce même fanatisme... cette secrète et souveraine confiance en soi qui s'enfle incessamment jusqu'à être prête un beau jour à "vaincre le monde", c'est-à-dire Rome et les hautes classes de tout l'Empire..."

Nietzsche, ayant observé qu'il y a diversité de religion selon la catégorie de gens auxquels le fondateur s'adresse, en vient à distinguer deux types de religions. Les religions du "non", comme le christianisme, qui table sur toutes les valeurs négatives, ce qu'il y a de plus "vil" en l'homme ; et les religions du "oui",  telle que la religion des Grecs qui divinise l'animal en l'homme, la vigueur, la jeunesse, bref les valeurs positives.

Enfin, l'homme est libre.

Nous venons de voir comment Dieu naissait. Mais pourquoi meurt-il ? Parce que l'homme en a assez d'être constamment surveillé. Il est impossible de vivre vraiment avec cet oeil de Dieu qui l'observe. "Il fallait que mourût ce curieux, entre tous les curieux, cet indiscret, ce miséricordieux. Il m'a sans cesse vu, moi ;  je voulus me venger d'un tel témoin - et cesser de vivre."

La mort de ce Dieu "indécent", c'est la condition indispensable pour que l'homme soit libre. Tant qu'il vit sous le regard de Dieu, il est impossible à l'homme d'être libre et de goûter la vie. Mais désormais "si plus rien n'est vrai, tout est permis." Tel est le sens de la négation de Dieu : une rupture de toutes les amarres et le départ vers une vaste conquête. Pas seulement la rupture des amarres, mais aussi, absolument indispensable, la conquête d'un avenir qui reste à inventer. "Depuis qu'il n'y a plus de Dieu, la solitude est devenue intolérable, il faut que l'homme supérieur se mette à l'oeuvre", écrit-il. Nietzsche ne veut pas vivre, comme les anarchistes de son époque, au milieu des ruines. Il veut recréer les valeurs. Nous avons à payer la perte de Dieu par la constante victoire sur nous-mêmes : "Tous les dieux sont morts : nous voulons que le surhomme vive ! Que ceci soit un jour, au grand midi, notre suprême volonté."

AU-DELA DE LA MORT DE DIEU

 Que devient l'homme sans Dieu ? Ce qu'il se fera, répond Nietzsche . Il se situe "par-delà le bien et le mal". Plus d'idéal préfabriqué L'idéal chrétien trace d'avance le chemin. Avec Nietzsche , le chemin est à tracer, à inventer en marchant. Nietzsche  invite tout homme à être désormais un créateur.

Que le surhomme vive !

Où aller ? Comment y aller ? Pour répondre à ces deux questions, Nietzsche invente deux idées : le surhomme et la volonté de puissance.

Le surhomme : difficile à définir. Ce n'est pas l'exaltation d'un type d'homme supérieur, qui serait supérieur à des inférieurs. Que le nazisme s'en soit inspiré ne veut pas dire que cela vient de Nietzsche. Par avance, il écrivait  son refus de "prendre part à cette débauche et à ce mensonge de l'auto idolâtrie raciale qui aujourd'hui s'exhibe en Allemagne  en tant que signe distinctif des vertus allemandes." (Le gai savoir). Le terme de surhomme désigne un type d'homme nouveau,  "le type de la plus haute plénitude, par opposition aux modernes, aux bons, aux chrétiens et aux nihilistes." Le surhomme, c'est l'enfant parvenu à sa plénitude et à son épanouissement, non pas seul, mais avec les autres.

La volonté de puissance, c'est le moyen de réaliser le surhomme. Celle-ci doit vouloir le surhomme, sans référence à Dieu et sans autre appui qu'elle-même. Elle ne peut se fier ni à une morale, ni à un guide quelconque. Ne compter que sur soi-même. Nietzsche veut remplacer la morale par la volonté d'atteindre notre but et pour cela, d'y employer les moyens nécessaires. A chacun donc de développer au maximum sa volonté de puissance. Il ne s'agit donc pas, comme on l'a dit souvent, de la volonté d'acquérir la puissance au détriment d'autrui, ni de dominer les autres. Il s'agit de se surmonter soi-même. la volonté de puissance n'est pas explosion des instincts, mais maîtrise de soi.

Maître ou esclave.

Je vous l'ai dit, Nietzsche oppose deux types d'hommes : le chrétien victime de son Dieu et le surhomme qui s'invente lui-même. L'un est enchaîné à un idéal préétabli, l'autre est ouvert sur  un avenir à inventer.

Alors que la volonté de puissance est essentiellement "oui" à la nouveauté, le chrétien, lui, est animé d'une volonté de vérité à tout prix et s'immobilise sans cesse sur du déjà là. Pourquoi en est-il ainsi ? Nietzsche distingue deux catégories d'hommes , les seigneurs et les esclaves. Il ne s'agit pas de deux classes sociales, mais de deux attitudes devant la vie. Les seigneurs sont d'une nature noble qui leur vient de leur force d'âme. Les esclaves sont des âmes viles, incapables d'agir par eux-mêmes et de s'affirmer. Nostalgiques de la puissance qu'ils remarquent chez les forts, ils cherchent à ériger leur non-valeur en valeur. Animés de l'esprit de vengeance contre les seigneurs qui les dépassent, ils revendiquent l'égalitarisme. "Le christianisme n'est autre que le type même du socialisme", écrit Nietzsche.

 

Dans le christianisme, il faut distinguer trois éléments : a) les opprimés de toute espèce ; b) les médiocres de toute espèce ; c) les mécontents et les malades de toute sorte? Il lutte avec les premiers contre les aristocrates politiques et leur idéal ; avec les seconds, contre toutes les exceptions et tous les privilèges... ; avec les troisièmes, contre l'instinct naturel des robustes et des heureux." (La volonté de puissance)

S'il est assez facile de déceler la règle de l'idéal chrétien, il n'est pas simple de déceler celle qui sert de référence à l'idéal nietzschéen. Nietzsche parle de "réduction de la morale à l'esthétique " ! L'expression la plus adéquate serait l'idée de "l'éternel retour". L'enfant, dit-il, est une roue qui tourne sur elle-même : il trouve en lui la source et l'achèvement de son acte.

EN CONCLUSION

Nietzsche est tout en nuance. Sn attitude envers le christianisme, jamais neutre, souvent violente, n'est jamais vulgaire. Il se pose en adversaire résolu du christianisme, "cette volonté de briser les âmes les plus fortes et les plus nobles". Pour le chrétien, Nietzsche représente un défi à la foi. A un refus du monde, il oppose un oui à la vie et au risque, une autre manière de vivre. Dans sa critique du christianisme, il rejoint Freud et Marx. Plus que les deux autres, il nous oblige à des remises en question radicales. En cela, Nietzsche est loin d'être périmé. Il est peut-être le plus moderne des critiques du christianisme. Mais jouer les prophètes n'est pas toujours  une réussite. Lui-même, ayant prédit la mort de Dieu, s'étonnait de voir que le christianisme continuait à exercer un certain attrait sur les hommes de toute condition. Il écrit : "Par un matin de dimanche, quand nous entendons bourdonner les vieilles cloches, nous nous demandons : mais est-ce possible ! Tout cela pour un juif crucifié il y a deux mille ans !"

Aussi nous pouvons poser à Nietzsche deux questions :
* concernant le surhomme. Nietzsche dit qu'il s'engendre dans un autodépassement. Mais il est clair qu'il se dépasse vers nulle part, sinon vers lui-même. Il est condamné à l'errance. "De chemin en effet  il n'y en a pas", écrit-il.  Ce surhomme est même condamné à la folie, car il n'y a pas de sens. Enfin il fait l'expérience du vide : il est appuyé sur le néant. Il danse courageusement sur le vide.
* concernant l'homme chrétien : Nietzsche en trace un portrait négatif. Il l'accuse de mépriser la vie. Mais n'y a-t-il donc rien de positif dans l'attitude chrétienne ? Au terme de cette critique, est-il encore possible d'être chrétien ? Oui certes, à condition de témoigner, par une pensée rigoureuse et une liberté active, que le Dieu de Jésus Christ , non seulement ne supprime pas la liberté, mais la suscite et la promeut. Nietzsche demandait : "Que resterait-il à créer s'il y avait des dieux ?". A cette question, le chrétien doit pouvoir répondre : tout.

A suivre, début juillet

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