THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2007 : DIEU.
"Dieu est beau. Il aime la beauté."
7 - Caricatures ou
contrefaçons
(juillet
2007)
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1 – « Il doit bien y avoir quelque chose ».
Quelque chose ? Mais quoi ? Le fruit des peurs ancestrales. Depuis qu’il y a des hommes, ils imaginent des puissances supérieures, sur lesquelles ils n’ont aucune prise. Des puissances supérieures qui commandent les éléments de la nature, brandissent la foudre et le tonnerre, déchaînent à leur gré les tempêtes. Que faire en face de ces « maîtres de la nature » ? Se concilier leurs bonnes grâces, discuter, prier, supplier, marchander ? Tout cela, en vrac. Ces dieux n’ont pas de visage. C’est une « chose » menaçante, une puissance vague. « Il doit bien y avoir quelque chose », disent les braves gens. Alors, on a recours à des rites plus ou moins magiques pour les empêcher de nous nuire. A la limite, certains de ces rites sont assez efficaces pour lier la puissance maléfique des dieux.
Ces dieux ont des noms. Ils s’appellent Baal, chez les Cananéens, ou Moloch chez les Phéniciens. Les Grecs en feront toute une « mythologie », racontant Zeus, père des Dieux, Héra, son épouse jalouse (et trompée) et toute une série de dieux, de déesses, de demi-dieux et de héros, auxquels on attribue les qualités et les défauts humains « à la puissance 10 ». Sous ces masques se cache la perception confuse du mystère de l’univers, de la profondeur et de la poésie des choses. On y reconnaît aussi les insatiables désirs de l’homme. Au bout de chaque expérience, la plus quotidienne soit-elle, s’éveille un Dieu. De hautes sagesses vont naître à l’ombre de ces idoles. Mais à côté de la sagesse d’un Platon, on trouve des manifestations religieuses écoeurantes. Que de misères, d’aliénations, de mépris de l’homme, à côté de la plus profonde réflexion sur l’homme et son destin !
Les dieux magiques conduisent soit à l’exaltation, soit au mépris du sexe. Car la sexualité est l’un des lieux privilégiés où l’on trouve ces faux-dieux. Au point de départ, la religion est pleine de sexualité : symboles phalliques comme à Delphes, pierres dressées, symboles vaginaux, prostitution sacrée. Et en même temps mutilations sexuelles, castrations, refoulement et culpabilité. Les dieux de la magie se nourrissent de la sexualité humaine. Remarquez, en passant, que notre christianisme après avoir lutté contre ces fêtes païennes, n’évita pas toujours de tomber dans une certaine complicité. Sans parler de cette forme de religion infantile fondée sur la peur du sexe et le refoulement. Ambiance où dominait la crainte de Dieu, la culpabilité et même certaines formes d’idolâtrie que Marx et Feuerbach critiqueront sévèrement.
Cependant la foi chrétienne ne peut négliger le « religieux » : elle doit l’épurer, l’éduquer, au sens étymologique du mot, c’est-à-dire le « faire sortir de » ce qu’il a de grossier et de primitif pour le faire entrer dans l’âge adulte. Il y a dans les religions naturelles, en effet, beaucoup de vérité et de beauté. Mais il faut en éliminer tout ce qui oblige l’homme à se courber devant Baal, à avoir peur de la divinité. La peur est le contraire de la foi. La peur dégrade l’homme : elle le rend méchant et agressif.
2 – Le « Tout-Puissant »
Notre Credo dit certes : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant ». Il nous faudra préciser en quel sens les chrétiens qui prononcent ces mots lui donnent une signification autre que celle qu’on imagine d’habitude. En effet, le Dieu des évangiles est tout autre. Mais quand ils parlent du « Tout-Puissant », les gens imaginent une espèce de dictateur qui peut tout faire, tout commander, et qui est donc responsable de tout. C’est en ce sens que l’athéisme contemporain entend le mot « Tout-Puissant » Et c’est en ce sens que l’expression est à la racine même de l’athéisme. Pour deux raisons. D’abord parce que, si Dieu est tout-puissant, l’homme n’est qu’une marionnette entre ses mains ; c’est lui qui tire les ficelles. Dans « Le Diable et le bon Dieu », Sartre fait dire à l’un de ses personnages : « Si l’homme existe, Dieu n’existe pas ; si Dieu existe, l’homme n’existe pas. » Avec ce Dieu-là, l’homme n’est plus rien.
Deuxième raison : si Dieu est tout-puissant, il est responsable de tout. Donc il est coupable de tout le mal du monde. Il pourrait l’empêcher, or il ne le fait pas. C’est bien ce que pensent la majorité des gens, et même des croyants. On dit couramment, devant tel ou tel malheur : « C’est la volonté de Dieu. Il faut se résigner. » Et on dit dans le Notre Père : « Que ta volonté soit faite » en évoquant tous les malheurs du monde. Voilà la plus grande raison de l’athéisme contemporain : une fausse idée de la toute-puissance de Dieu. Comment ne pas se révolter contre un Dieu qui fait souffrir l’innocent ? Dans La Peste, Albert Camus fait dire à son personnage principal, de docteur Rieux : « Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés. »Devant ce Dieu Tout Puissant, les religions prônent la soumission. C’est même le sens du mot Islam, « soumission » . Il y a quelque chose de noble dans cette attitude. Ce n’est pas forcément une attitude d’esclave. Sans se diminuer, l’homme peut reconnaître la grandeur de Dieu, sa transcendance, lui dont les voies sont impénétrables. Mais cela ne veut pas dire que le croyant doit « s’écraser » devant Dieu. Et sans discuter « d’égal à égal » avec lui, on peut quand même discuter. Dans la Bible, il y a le combat de Jacob, dont celui-ci sort victorieux après une nuit de lutte ; il y a Job qui rouspète et qui accuse Dieu de « faire périr de même justes et coupables et même de… rire de la détresse des innocents ». Et les psaumes sont pleins de ces cris de révolte et de récrimination.
Si je croyais en un tel Dieu, je ne pourrais que le détester, n’est-ce pas ?
3 – Le Dieu utilitaire.
Ce Dieu présente quatre avatars :
a – Le bon génie.
Celui qu’on invoque quand on en a besoin. Il est à nos ordres pour nous faire réussir nos examens, obtenir telle ou telle satisfaction, ou même gagner une guerre. Les Allemands portaient sur la boucle de leurs ceinturons la devise « Gott mit uns » (Dieu avec nous), donc contre les autres, et les autorités (laïques) françaises organisaient une grande prière publique à Notre-Dame en 1940, pour obtenir la victoire. C’est le Dieu de toutes les croisades, et c’est le Dieu du djihad. On se massacre allègrement au cri de « Dieu le veut ».b – Le Dieu « bouche-trou ».
Il sert à suppléer ce que notre intelligence ne peut découvrir. La science a expliqué déjà une grande partie de l’univers, mais il reste encore beaucoup d’obscurité dans nos connaissances scientifiques. Eh bien, le Dieu bouche-trou va remplir le vide. Or ce qui n’est pas explicable aujourd’hui peut l’être demain. Et alors le domaine du Dieu bouche-trou va se réduire comme peau de chagrin.C’est dans cette perspective du Dieu bouche-trou qu’on va cantonner Dieu, cantonner les miracles dans l’inexplicable. On déclare miracle ce que la science ne peut expliquer. Mais en réalité, il faut bien admettre que si la science ne peut pas tout expliquer actuellement, en réalité la pensée rationnelle n’a pas de limites. Il n’est rien qu’elle ne puisse un jour expliquer, même si ses explications sont largement insuffisantes pour dire certaines réalités, par exemple l’amour ou l’art. Elles peuvent disséquer, mais elles ne disent pas l’essentiel. Disséquer une fugue de Bach ou un tableau de Courbet, c’est possible, à condition de saisir les limites de cette dissection et de reconnaître un au-delà de l’explication, un au-delà du visible et du sensible, une mystérieuse profondeur.
Il existe donc un au-delà du monde des choses ; où seuls les poètes, les musiciens, les amants ont pleinement accès. Le monde de l’intériorité, le monde de l’Esprit. C’est pourquoi il faut tuer le Dieu « bouche-trou ». La science peut tout connaître, à condition qu’elle accepte de faire passer la raison au crible du soupçon critique. Dieu est peut-être ailleurs.
C – Le Dieu de l’ordre moral,
Le Dieu des valeurs. Il sert de justification à la morale, à des comportements le plus souvent individualistes, dans lesquels la répression des pulsions sexuelles tient la première place. Le christianisme est ainsi réduit à une morale assez ennuyeuse, ennemie de la vie et des grandes passions. Que de fois n’ai-je pas entendu des parents me dire qu’ils mettaient leur gosse au catéchisme pour que je lui fasse « la morale ». Et sans vouloir caricaturer, on sait bien, pour l’avoir éprouvé, que beaucoup de sermons n’étaient que moralisateurs, à tel point qu’on parle encore de « sermonner » quelqu’un pour dire qu’on lui fait une leçon de morale. Voir, de même, hélas, le nombre de documents épiscopaux ou pontificaux qui ne sont consacrés qu’à des problèmes de morale, individuelle ou familiale, au mieux de morale « sociale »La morale du Bon Dieu bien plus que la foi au Dieu de l’évangile ! On a mis la charrue avant les bœufs : les jeunes chrétiens ont reçu la morale avant de recevoir les rudiments de la foi. Or les comportements humains dépendent des convictions profondes, de la foi de tout homme. On commence par faire confiance à quelqu’un, et c’est seulement ensuite qu’on va chercher à transformer sa vie à cause de lui. Si bien qu’on va définir le chrétien, non par ce qu’il croit, mais par son comportement ; et les non-croyants qui manifestent des vertus admirables seront appelés des « chrétiens qui s’ignorent ». A contrario, et dans une telle perspective, s’il y a des chrétiens qui sont des salauds, on est en droit de se demander à quoi sert le Bon Dieu. A rien, diront en bonne logique les athées, puisque le Bon Dieu ne résiste pas à la découverte des vertus païennes. La loi morale n’a pas besoin de lui comme garant.
La vraie question que l’on pourrait se poser est la suivante : « Les chrétiens sont-ils plus heureux que les autres ? » Non pas « meilleurs », ce qui est une question moralisante, mais « plus heureux », ce qui est une question vitale. Seules les convictions profondes peuvent donner à l’homme la joie.
D – le « Dieu-gendarme »
Quatrième avatar : un Dieu pilier de l’ordre social. C’est le prétexte de tous les conservatismes. Il faut reconnaître que ce Dieu n’a plus bonne presse de nos jours et que nous sommes interloqués lorsque nous lisons des mandements et quantité de textes pontificaux du XIXe siècle (ou de la première moitié du siècle dernier). Voir, par exemple, le Syllabus, dans lequel Pie IX condamne systématiquement toutes les idées modernes. Pas étonnant que la critique marxiste ait dénoncé une Eglise qui prêchait aux pauvres la soumission à l’ordre établi sans jamais condamner les violences des puissants. Peut-on dire que le Dieu gendarme soit tout-à-fait mort ? Je voudrais bien pouvoir l’affirmer. Mais je n’en suis pas sûr.4 – Le Dieu sentimental
C'est un autre faux-dieu. Ce n’est pas un Dieu terrible, et il n’est pas très utile, même s’il est bien « consolant ». C’est le Dieu dont on se souvient quand on évoque le temps de notre première communion et de notre enfance. Il trône dans les nuages au milieu des chérubins joufflus. Il est lui aussi passablement démodé. Mais la ferveur tiède et mièvre a-t-elle disparu de nos dévotions habituelles.
Et à l’opposé, on trouve le dieu-puritain : on a alors refoulé toute affectivité, comme ces puritains qui sont aussi rigides que les croyants sentimentaux sont mièvres et pleurnichards. Ces dieux n’intéressent que les « belles âmes » Toute vraie passion leur fait peur.
5 - Idolâtries
On peut arrêter là cette énumération des faux-dieux. Mais on pourrait en citer bien d’autres. S’il suffisait de n’avoir pas de Dieu pour n’avoir pas d’idole, ce serait facile, mais on voit bien que l’idolâtrie n’a jamais été plus commune qu’aujourd'hui.
On peut révérer une idole sans croire en Dieu. On peut être idolâtre en étant athée. On peut adorer l’État, le parti, la patrie, l’argent, le sexe, l’Église même, et donc en devenir les esclaves. Ces réalités, mêmes dans ce qu’elles ont de bon et de nécessaire,, ne sont que des moyens à notre service (et non l’inverse). Rappelez-vous Jésus : « Le sabbat est fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat ». Si on adore ces réalités, elles se transforment en idoles qui dégradent et emprisonnent l’homme. Nous avons connu l’idole nationaliste servie par les nazis, et l’idole Révolution qui se nourrissait des purges staliniennes. Et plus près de nous encore, dans les pays capitalistes, sévit le culte du profit et des « affaires ». On trouve aussi le culte du sexe et de la drogue. Ces idoles-là se révèlent aussi meurtrières et aussi répressives que les faux-dieux. Être athée n’en préserve pas.
Au contraire, la vraie foi en préserve. Mais l’homme a tellement besoin de divin que, s’il ne trouve pas le vrai Dieu, il déifie n’importe quoi ; ou alors il devient fou. Seul le chrétien, parce qu’il met l’absolu à sa juste place, sera délivré des idoles et donc pourra devenir un homme libre.
Et aussi : Les déismes
Selon Louis de Bonald, "un déiste est un homme qui n'a pas eu le temps de devenir athée". Paul Hazard réplique que c'est un homme qui n'a pas voulu le devenir. Effectivement, le déisme (mot forgé au XVIe s., répandu aux XVIIe et XVIIIe s.) désigne une position moyenne, à mi-chemin du sens chrétien de Dieu et de l'athéisme. Le déiste ne croit plus au Dieu de la révélation historique ; il croit encore en un Être suprême dont l'existence et la nature peuvent être déterminées par les facultés naturelles de l'homme. Dans ce sens, le déisme renvoie à ce qu'on appelle le Dieu des philosophes par opposition au Dieu des Écritures ; ou encore, il renvoie à ce que le XVIIIe siècle appelait « religion naturelle » par opposition à la « religion positive » ou religion littérale et statutaire. Kant lui-même donne une définition du déiste, qu'il distingue du théiste. Pour lui, le déiste admet l'existence d'un « être primitif » qui est « toute réalité », mais il renonce à le définir davantage ; au contraire, le théiste tient qu'on peut déterminer davantage « cet objet de pensée » et affirmer qu'il est « le principe premier de toutes choses ». À quelque degré, l'usage philosophique a retenu cette distinction : le déisme équivaut à une croyance en Dieu qui reste volontairement imprécise, par refus soit de l'enseignement des Églises, soit des prétentions de la métaphysique. Avec le recul du temps, on aperçoit que le déisme fut en réalité une étape vers l'athéisme, ce qui n'en supprime ni la modération ni la sincérité.
"Le Dieu du déisme, devenu le Dieu "bourgeois" du XIXe siècle, déjà défini par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, trouve sa proclamation dans la fameuse circulaire de Bonaparte qui, héraut de la Révolution triomphante, venait de conclure un Concordat avec le Pape : "Je n'ai, dit-il, aucun intérêt à l'incarnation ; mais je vous invite, évêques, prêtres, fonctionnaires, à enseigner Dieu, maître et souverain conducteur du monde, auquel vous devez obéissance, sous peine d'enfer éternel." De ce Dieu, je me déclare athée, et je donne mon consentement à la critique de Marx qui, lisant les traités théologiques du temps, n'y trouvait que ce faux Dieu, idole d'une vieille conscience" (Marie-Dominique CHENU, dans Le Défi intégriste)
Voilà le terrain à peu près déblayé. C'est sur ce terrain, et en tenant compte de la réflexion des penseurs que je vous ai présentés, que nous allons maintenant construire, au cours des mois qui viennent. J'espère pouvoir vous dire clairement pourquoi je crois en l'existence de Dieu, et surtout qui est ce Dieu en qui je crois et qui est ma vie.A suivre, début août 2007