THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2007 : DIEU.

 

"Dieu est beau. Il aime la beauté."

9 - Dieu Un et Unique
(septembre 2007)

 

Depuis le début de l'année, nous avons passé des mois et des mois à relire la pensée des philosophes et des intellectuels qui ont marqué et marquent encore notre époque, pour répondre à la première question que nous nous sommes posés : Dieu existe-t-il ?

Nous avons vu le doute s'introduire dans l'esprit de nos civilisations, particulièrement depuis plus de quatre siècles, jusque à ce que ce doute se transforme en négation : pour beaucoup de nos contemporains, ou bien Dieu n'existe pas, ou bien on ne sait rien de lui, s'il existe. On en est arrivé ainsi aux proclamations de Nietzsche, balayant même les affirmations de la science toute-puissante du XIXe siècle. Proclamations reprises et relayées de nos jours par un certain nombre de penseurs. Si bien que règne aujourd'hui un certain pessimisme, même chez les responsables des Eglises, qui déplorent et dénoncent le "relativisme" et l'indifférence religieuse qui règnent de nos jours. Avec un certain sentiment d'impuissance.

Par contre le théologien Hans Küng nous propose, plutôt que de se lamenter, de renverser la vapeur. Partant de la proclamation de Nietzsche annonçant l'avènement d'une humanité sans Dieu, il nous invite à l'espérance: le message judéo-chrétien du Dieu Un et Unique est seul capable d'assurer la promotion de l'homme en pleine liberté. Et donc la réussite de l'humanité.

Nous allons entreprendre à partir de ce mois de septembre  comme une reconstruction. Elle va nous préciser qui est le Dieu en qui je crois.

 

 

De Nietzsche à Küng

Nietzsche avait déjà sombré dans la folie lorsque fut publié son Crépuscule des idoles. L'une de ses pages les plus virulentes est intitulée : "Comment, pour finir, le monde vrai devient fable". Et, en sous-titre : "L'histoire d'une erreur". Nietzsche y esquisse l'histoire de la dissolution du "monde vrai" inventé par Platon. Ce monde vrai, écrit-il, avait été rejeté dans un avenir lointain par le christianisme. Il est ensuite liquidé par Kant, puis par le positivisme, parce qu'il ne sert plus à rien. Le nihilisme l'abolit définitivement, car ce n'est qu'un monde d'illusions. Alors surgit Zarathoustra et le Oui de l'humanité nouvelle triomphante.

Le théologien Hans Küng, dans "Dieu existe-t-il" (page 709) propose de dérouler en sens inverse l'histoire d'une erreur de Nietzsche, en commençant par la fin pour aller de l'avant, vers un avenir autre. Il inverse donc le titre et propose : "L"histoire (à venir) d'une vérité (retrouvée). Je le résume :

1 - L'idée de Dieu n'a pas été abolie. L'apogée de l'humanité annoncée par Nietzsche n'a pas eu lieu. C'est Zarathoustra qui est une fable. Il n'y a pas eu de relève de la religion par la science. Le positivisme est mort.

2 - L'idée de Dieu, qui ne servait plus à rien (disent les scientistes), qui n'engageait plus à rien, est en train de reprendre vie.

3 - L'idée de Dieu, certainement inaccessible pour la raison pure et inconnue dans sa réalité, recommence à être une consolation, un salut, un engagement.

4 - L'idée de Dieu n'est pas seulement un impératif selon Kant, ni une consolation pour les faibles.

5 - L'idée de Dieu devient accessible, non seulement à l'homme vertueux, pieux, sage, mais aussi à l'homme fautif, impie et "pécheur"

6 - L'idée de Dieu connaissable, relativement simple et convaincante, c'est  le Dieu d'Israël. Forme la plus ancienne de l'idée.  Lui, Jésus, vit en elle. Il est cette idée. Paraphrase de la formule : "Je suis la vie, la vérité et la vie."

En d'autres termes, Küng renverse la vapeur. On ne peut pas, dit-il, en rester au Dieu des philosophes et des savants tel qu'il est pensé par Descartes. On en vient au Dieu vivant  qui est le "Non-Autre" de Nicolas de Cues, ou le "Tout-Autre" de Karl Barth , le Dieu véritablement "plus divin", comme disait Heidegger. Non seulement "cause de soi" selon l'expression de Spinoza, mais "le Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob" de Pascal.  Renversement de l'antithèse athée, en direction d'une nouvelle synthèse théiste, judéo-chrétienne.

Le Dieu un et unique

On ne peut pas comprendre le Dieu chrétien sans le Dieu juif, puisque le Dieu juif est aussi le Dieu chrétien. Et même on en vient à souhaiter que le Dieu chrétien puisse devenir le Dieu juif, tant le Dieu chrétien, du moins dans la prédication, est devenu aujourd'hui un Dieu fade et sans vigueur ; on est devenu incapables d'aller voir la force et la puissance du Dieu de l'Ancien Testament. Ce Dieu que Nietzsche lui-même respectait. Voici ce qu'il écrivait :

 

"Dans l'Ancien Testament juif, ce livre de la justice de Dieu, on rencontre des hommes, des événements et des paroles d'un si grand style que la littérature grecque et la littérature hindoue n'offrent rien de comparable. On reste saisi d'effroi et de respect devant ces prodigieux vestiges de ce que l'homme fut jadis et on se livrera à de tristes réflexions au sujet de l'antique Asie et de sa petite péninsule  avancée, l'Europe, qui prétend incarner en face d'elle le 'progrès de l'homme'. Certes, si l'on n'est soi-même qu'un pâle animal domestique, avec des besoins d'animal domestique (comme nos gens cultivés d'aujourd'hui, y compris les chrétiens du christianisme 'éclairé'), on n'a sujet ni de s'émerveiller ni encore moins de se troubler au milieu de ces ruines. En matière de goût, l'Ancien Testament fournit la pierre de touche de la grandeur et de la médiocrité spirituelle"  (Par-delà le Bien et le Mal, page 69)

Pierre de touche de la grandeur et de la médiocrité ! Certes, mais aussi pierre de touche en ce qui concerne l'idée de Dieu lui-même. Un Dieu que l'Ancien Testament raconte "en grand style" (Nietzsche) au point que la littérature grecque ou indienne n'a rien de comparable. Un Dieu devant qui on se tient avec crainte et tremblement, "un Dieu indigeste aux maigres animaux domestiques, aux besoins des animaux domestiques, chrétiens ou non" (Küng).

Ce Dieu est le Dieu un et unique : voilà le message que les 45 livres de l'Ancien Testament ont livré, non seulement au judaïsme, mais aussi au christianisme et indirectement aux grandes religions et même à l'hindouisme réformé.

Mais ce n'est pas parce que l'Ancien Testament présente Dieu comme l'Unique qu'il est forcément le critère de vérité universel de la religion. Le Dieu d'Israël n'est pas le fruit d'une réflexion rationnelle, sinon il ne serait qu'une pâle abstraction, comme le premier moteur en Grèce ou le Dieu-soleil Aton en Egypte. Le Dieu de la Bible, par contre, est le Dieu vivant qui a créé une histoire. Quelle histoire ? Je ne vais pas entreprendre de vous raconter l'histoire extraordinairement riche de Dieu avec les hommes, l'histoire complexe et dense que nous présente l'Ancien Testament. Mais il nous faut  en reprendre ici les traits principaux. Je pourrai ainsi vous dire un peu - et de manière progressive - dès ce mois-ci et jusqu'à la fin de l'année, qui est le Dieu en qui je crois. Mais rien ne vaudra votre démarche personnelle pour découvrir la manière dont l'Ecriture nous présente le Dieu Un et Unique.

Une lente évolution

Néfertiti, vous connaissez ? Vous avez certainement vu un jour son incomparable portrait. Eh bien, elle vivait un siècle avant Moïse et était l'épouse d'Akhénaton. Plus célèbre que lui, et pourtant... ! Ce pharaon voulut imposer une réforme religieuse, renverser le dieu Amon et son cortège de dieux et de déesses et le remplacer par un Dieu unique, Aton, dont le symbole visible était le soleil. Sa réforme échoua. Les prêtres et le peuple firent de la résistance et le monothéisme égyptien disparut. Ce n'est donc pas à la grande et puissante Egypte, mais à Israël, le tout faible et tout petit pays enclavé entre les grandes puissances, que le monde doit la foi explicite, voulue comme telle et exclusive, en un seul Dieu.

Comment ont-ils découvert cela ? Ne croyez surtout pas que ce fut comme un dogme ou comme une vérité théorique découverte subitement. Non. Le monothéisme s'est développé lentement. Si on lit attentivement l'Ancien Testament, on trouve un certain nombre de passages où on s'aperçoit que les Israélites, pendant un certain temps, ont adoré eux aussi des idoles. Le monothéisme n'est apparu qu'à partir d'un comportement pratique, et non d'une réflexion théorique. Longtemps ils ont pensé qu'à côté de leur Dieu à eux, il y avait d'autres dieux. Dans le premier commandement, on lit : "Tu n'auras pas d'autres dieux en face de moi" et pour eux, cela voulait dire qu'il était interdit d'adorer d'autres dieux à côté du leur. Le leur, c'était "le Dieu de nos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob"

Sans doute au XIIIe siècle, cette foi primitive va évoluer sous l'influence de la petite "troupe de Moïse", un petit groupe d'hommes immigrés en Egypte comme main d'oeuvre bon marché pour les gigantesques constructions des pharaons. Ils se savaient engagés envers un Dieu qu'ils vénéraient sous le nom de Yahwé.
- A côté de lui, déjà Moïse refusa de reconnaître d'autres dieux, et avec sa suite, il fit l'expérience que ce Dieu était un "Dieu jaloux", à la grande différence des dieux du monde alentour.
- Puis ils se confièrent à lui pour les guider à travers le désert, avant qu'ils finissent par se fixer  au pays de Canaan, après d'autres tribus qui firent partie plus tard  de la fédération des tribus d'Israël.
- Ils identifièrent Yahwé au dieu cananéen El (qui était le dieu suprême d'une quantité de dieux dans le ciel) et ils prirent sa défense contre le dieu Baal, de plus en plus redoutable, et les Baals, (divinités de la végétation) concurrents du Dieu unique, Yahwé.
- Plus tard enfin, les prophètes luttèrent contre Baal, contre les dieux de Canaan, puis contre les dieux des Phéniciens, des Assyriens et de Babylone, et contre ceux des religions populaires. Ils annoncèrent non seulement un seul Dieu en Israël, mais le Dieu unique d'Israël.
- Mais jusque là, les Hébreux croient qu'il existe une multitude de dieux. Simplement, ils ont, eux, un Dieu, Yahwé, le meilleur et le plus fort.
"Yahwé est Dieu !" C'est le cri du prophète Elie au IXe siècle. Il fut sans nul doute le grand et l'inflexible combattant de Yahwé, contre Baal et les cultes de la nature et de la fécondité.


- Le chemin fut long qui passe par les grands prophètes de l'Ecriture, Isaïe au VIIIe et Jérémie à la fin du VIIe siècle : pour eux les dieux des grandes puissances, notamment des Assyriens, sont des néants. Ils ne sont pas des dieux, mais des vanités.
- Le chemin fut long pour arriver à la confession de foi du second Isaïe, qui exerça son activité au VIe siècle parmi les exilés de la captivité à Babylone : il annonçait le Dieu un et unique, Yahwé, qui est le salut de tous les peuples : "Il n'est point d'autre Dieu en dehors de moi, de Dieu juste et sauveur, il n'en est point en dehors de moi."

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C'est ainsi qu'est né le monothéisme, non seulement en pratique, mais aussi dans ses fondements. On peut dater cette profession de foi : c'est au VIe siècle avant J.C., pendant l'exil à Babylone, qu'elle est née. Dès lors, et jusqu'à nos jours, tout juif croyant la professe, tous les jours, matin et soir : en se levant, en se couchant (sur son lit, mais aussi son lit de mort), sur le chemin, dans son foyer, et il l'enseigne à ses enfants. Il enjoint à aimer Dieu, le Dieu Un, de tout son cœur, de tout son esprit et de tout son surcroît (c'est-à-dire de se surpasser à chaque instant dans cet amour). C'est le shéma Israël : "Ecoute (shema) Israël ! Yahwé notre Dieu est le seul Yahwé !"


Dieu est l'Unique, ce qui veut dire trois choses :
1 - Il n'existe pas de divinité en dehors de lui, contrairement à toutes les religions alentour : pas même dans le culte domestique, où d'autres religions sont beaucoup plus indulgentes que dans le culte officiel, on ne doit honorer d'autres dieux avec des images, des amulettes ou de la magie.
2 - Il n'a pas de divinité féminine comme partenaire, alors que c'est le cas pour la plupart des dieux principaux dans les religions. En hébreu, il n'y a pas même de mot pour dire "déesse".
3 - Il n'existe pas de dieu mauvais qui se présente comme un concurrent alors que c'est le cas notamment chez  les Perses. Même à l'époque de leur domination, les Perses ne purent imposer, à côté du principe du Bien, et pour en faire un deuxième principe équivalent, l'Opposant, ou l'Accusateur, en hébreu Satan, en grec Diabolos, le diable en français.

    C'est ainsi que le Dieu des Pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Yahwé, le Dieu du peuple d'Israël, est le Dieu un et unique, en dehors duquel non seulement il n'y a pas de dieux supérieurs, égaux ou inférieurs, mais pas d'autres dieux du tout. Non seulement il est le Très-Haut, mais il est l'Incomparable. Il ne s'occupe pas seulement des affaires de la vie terrestre, comme les dieux des païens, dieu de la fertilité des champs, ou dieu pour être chanceux dans la guerre, dieu pour les caprices du sort ou déesse pour les dangers de l'amour. Non, ce Dieu est le Seigneur qui domine tout . Il donne tout, toute vie et tout bien, il est donc en droit d'attendre que l'homme s'en remette totalement à lui et lui accorde tout son amour.

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Ce monothéisme sans compromis, passionné, vivant, rigoureux, fut et reste le trait distinctif d'Israël  parmi les nations, et en même temps, le don d'Israël aux nations. Ce monothéisme a des conséquences importantes pour l'individu et pour la société :

- La foi au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob est commune aux Juifs, aux chrétiens et aux musulmans.

- Au lieu de la lutte scandaleuse l'un contre l'autre, comme le montre leur histoire commune jusqu'à aujourd'hui, c'est leur foi commune qui leur impose impérieusement de travailler ensemble aujourd'hui.

Dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament, comme dans le Coran, on trouve déjà le témoignage de la foi d'Abraham au Dieu unique, qui agit dans l'histoire. Aucune des trois religions monothéismes ne peut  comprendre son essence propre  sans porter son regard sur les deux autres. C'est pourquoi elles devraient éviter de se considérer mutuellement comme des "impies" (juifs et musulmans aux yeux des chrétiens), des "apostats" (chrétiens et musulmans aux yeux des juifs) ou des "dépassés" (juifs et chrétiens aux yeux des musulmans).  Ils devraient plutôt se considérer comme "fils" et "filles", comme "frères" et "soeurs" obéissant au même et unique Dieu.  Si cette foi commune faisait sentir ses effets aujourd'hui, une nouvelle ère de paix pourrait s'ouvrir, d'abord au Proche Orient, mais aussi dans le monde entier.

- La foi au Dieu unique d'Abraham, d'Isaac et de Jacob signifie le renversement des dieux anciens comme des dieux modernes. Elle s'oppose à la divinisation de puissances naturelles tout autant qu'à la divinisation de puissances et de dominateurs politiques.

Le monothéisme n'est certainement pas un programme politique, mais il n'en a pas moins des conséquences collectives décisives : il détrône les puissances divines du monde au profit du Dieu un et vrai. Dans les sociétés primitives, c'étaient des puissances naturelles divinisées dans le cycle éternellement recommencé de la vie et de la mort. Mais aussi, dans notre époque apparemment athée, il implique un refus radical des multiples dieux qui, sans porter ce titre, sont adorés par les gens : toutes les grandeurs terrestres qui ont des fonctions divines et dont tout semble dépendre, sur qui les gens comptent ou qu'ils craignent plus que tout au monde, il importe peu à cet égard que l'homme moderne, tantôt monothéiste, tantôt même polythéiste, entonne son "Grand Dieu nous te louons" au grand Dieu Mammon, au grand dieu Sexe, au grand dieu Pouvoir ou au grand dieu Science, au grand dieu Nation ou au grand dieu Parti. Le monothéisme s'oppose à toute quasi religion. Il renverse tous les faux-dieux.

(à suivre, début octobre 2007)

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