THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2007 : DIEU.
"Dieu est beau. Il aime la beauté."
10 -
Le Dieu qui libère a un nom.
(octobre 2007)
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1 - Le Dieu qui libère
Pour le peuple d'Israël, ces questions ont reçu très tôt une réponse. Probablement au XIIIe siècle avant Jésus-Christ. Dans un méli-mélo de traditions, les spécialistes parviennent à formuler des hypothèses qui actuellement sont reconnues plausibles et valables par la plupart des historiens.
Il s'agit d'une expérience faite par un petit groupe de nomades . Ils conduisaient leurs troupeaux de moutons et de chèvres, ils avaient subi dans les steppes les menaces de la sécheresse et de la famine, si bien qu'ils avaient quitté le Negueb pour gagner la vallée du Nil. Par la suite, on les avait astreints à une dure corvée pour des constructions et des fortifications sur les frontières de l'Égypte. Leur nostalgie de l'ancienne liberté nomade se réveille un jour. Leurs conditions de vie sont épouvantables, ils sont menacés de disparition. Dans leur détresse, ils crient vers leur Dieu, et voilà qu'il le reconnaissent avec confiance et foi : leur Dieu est à leurs côtés. Il est pour eux. Il est pour l'homme pauvre et opprimé. Leur Dieu n'est pas un marchand d'esclaves, mais un Dieu de la liberté : le Dieu de la libération !
Et c'est l'héritage qu'ont recueilli plus tard les tribus d'Israël, dont la foi s'est transmise par-delà les siècles - les parents aux enfants, les prêtres aux pèlerins, les baladins et les conteurs qui allaient de ville en ville à leurs auditeurs - d'abord oralement, puis plus tard, beaucoup plus tard, par écrit. Je vous en rappelle simplement quelques détails.
Moïse sauvé des eaux. Sans doute une légende comme on en trouve à propos d'hommes célèbres de l'antiquité. En tout cas, c'est lui que Dieu choisit et appelle pour en faire l'artisan de cette libération. C'est probablement sous le pharaon Ramsès II (1292-1225) que ce Dieu de l'Exode va intervenir pour soustraire du joug égyptien, dans des conditions extraordinaires, le petit peuple des "hébreux" opprimés (hébreu est un mot péjoratif pour désigner un groupe inférieur avec des droits réduits). Les "dix plaies d'Égypte" sont des récits stylisés pour raconter des catastrophes naturelles, qui surviennent encore parfois en Égypte ou en Palestine.
Ce Dieu qui sauve leur a demandé de célébrer la vieille fête nomade du printemps, où les bergers itinérants offraient des agneaux ou des chevreaux qui venaient de naître en sacrifice à leur dieu. Avec le sang, on aspergeait les membres de la tribu, pour chasser les esprits mauvais. C'est à partir de ces rites que fut instituée la fête des Azymes, destinée à commémorer désormais la vie de liberté que Dieu leur a offerte.
Ce Dieu de la libération a sauvé les fuyards devant l'armée égyptienne lancée à leur poursuite : dans la lagune, les Égyptiens furent surpris par les eaux qui refluaient. Les Hébreux y virent un "haut fait" de Dieu, qu'ils racontèrent de génération. Jusqu'à aujourd'hui. Plus de 33 siècles pendant lesquels on n'a jamais cessé de raconter, de commémorer et de fêter l'événement de cette libération ! C'est prodigieux.
Voilà donc le commencement historique et le noyau objectif de l'Ancien Testament. De là nous vient la plus ancienne profession de foi d'Israël : nous mettons notre foi, disent-ils, en un Dieu unique qui a fait sortir Israël du pays d'Égypte. Ils n'étaient sans doute pas nombreux, les gens qui entouraient Moïse : probablement quelques clans et quelques familles patriarcales, mais ce sont eux qui ont transmis cette charte aux tribus déjà fixées au pays de Canaan. Ce n'est donc pas la politique commune ou l'organisation en un État centralisé, mais le culte où l'on adorait ce Dieu unique, qui a libéré Israël de l'Égypte, qui fut centralisateur et moteur d'unification. La religion d'Israël est donc tout à fait essentiellement une religion de l'Exode, de la grâce, du salut et de la libération.
2 - Dieu a un nom.
Le Dieu libérateur des Hébreux a un nom. Il a dit qui il était, son nom propre, son nom personnel. Le livre de l'Exode nous rapporte la scène : c'est l'épisode du buisson qui brûle sans se consumer. C'est alors qu'à Moïse qui lui demande qui il est, Dieu répond : je suis Yahvé. Et comme l'hébreu est une langue qui, originellement, n'a pas de voyelles, on écrit simplement JHWH. C'est beaucoup plus tard (au IIIe siècle avant J.C.) que la crainte empêcha de prononcer le nom de Yahwé et qu'on ajouta aux quatre consonnes les voyelles du nom de Dieu Adonaï. C'est pour cette raison que les théologiens du Moyen Age - et de nos jours encore les Témoins de Jéhovah - lisent Jéhovah au nom de Yahwé.
Mais que signifie le mot Yahwé ? On le trouve 6800 fois dans l'Ancien Testament , mais une seule fois (la première, lors de l'épisode du buisson ardent) on a une réponse : ehyeh asher ehyeh. Depuis, des centaines de spécialistes ont donné de cette expression leur traduction. Depuis la traduction grecque de la Septante : "Je suis qui je suis." On peut toujours traduire ainsi. Mais le verbe hayah signifie plus précisément être là, ou même devenir. Si bien qu'on pourrait également traduire : "Je suis là comme je suis là" ou encore : "Je serai là comme je serai là". Que signifie ce mot énigmatique ? Les Pères de l'Église y ont vu une définition de l'essence même de Dieu. Dieu est, un point c'est tout. Il est par lui-même, incréé. Actuellement, les spécialistes penchent plutôt pour une définition de la volonté de Dieu : c'est Dieu présent dans son existence, dans son projet. On pourrait donc traduire par : "Je serai là", c'est-à-dire : je serai présent pour guider, réconforter, libérer.
C'est dans ce sens qu'il indique lui-même concrètement le sens de son intervention : "Je suie Yahwé ! Je vous ferai sortir des corvées d'Egypte, je vous délivrerai de leur servitude, je vous revendiquerai avec puissance et autorité, je vous prendrai comme mon peuple à moi, et pour vous, je serai Dieu. Vous connaîtrez que c'est moi, le Seigneur, qui suis votre Dieu : celui qui vous fait sortir des corvées d'Egypte." (Exode, 6, 6)
Le philosophe juif Ernest Bloch exprime cela très bien dans son livre "Le Principe Espérance" paru en 1976. Je le cite largement : "Le Dieu de l'Exode est différent, son hostilité à l'égard de la domination et de l'opium est déjà confirmée chez les prophètes. Mais surtout il n'a pas une forme statique comme tous les autres dieux païens jusqu'alors. Car dès le début, le Yahvé de Moïse se donne une définition, une définition qui ne cesse de couper le souffle et qui rend absurde tout statisme : 'Dieu dit à Moïse : je serai qui je serai'. Pour mesurer l'originalité de ce passage, il faut le comparer à une autre interprétation du nom d'un autre Dieu, Apollon. Plutarque raconte qu'au dessus du temple d'Apollon à Delphes était gravé le signe EI, qui signifie en grec : "Tu es". C'est-à-dire : tu es d'une existence divine, éternelle, immuable. Au contraire, ehyeh asher ehyeh pose déjà, au seuil de l'apparition de Yahvé un Dieu du futur, et le futur est un attribut de son être. A Delphes, ce Dieu de la fin et de l'Oméga aurait été une folie comme dans toute religion où Dieu n'est pas un Dieu de l'Exode (de la sortie, de l'avenir)"
Le Dieu de la Bible est un Dieu dynamique, dans une histoire, incontestablement. Mais il n'est pas seulement le Dieu de la fin et l'Omega. comme le pense Ernest Bloch. Il est aussi le Dieu du commencement et de l'Alpha. C'est un seul et même Dieu qui vit dans une seule et même histoire d'Israël.
3 - La réponse de l'homme
Ainsi donc s'est développée en Israël une pensée unique en son genre, une pensée historique. Le passé restait présent et portait aide pour subsister dans le présent et envisager l'avenir. Le credo d'Israël n'a rien de philosophique : c'est un credo historique. Il est centré sur le Dieu qui libère, "qui a fait sortir Israël du pays d'Egypte". Voilà l'unique réponse de l'homme au Dieu qui se révèle dans l'histoire. Tout l'Ancien Testament est rempli des chants de louange à Dieu pour ses hauts faits : il est celui "qui a jeté à l'eau cheval et cavalier" et qui a donné la victoire à l'héroïne Déborah. Et aussi des hymnes qui annoncent la libération de la captivité de Babylone, et également des psaumes de louange qui chantent la création et les oeuvres admirables de Yahvé.
Mais ce n'est là qu'un aspect des choses. Tout n'est pas toujours si idyllique. A côté de la louange, il y a toujours la plainte : les soucis de l'homme moderne avec Dieu, devant son absence, son caractère insondable, son inefficacité, ne sont pas étrangers à l'Ancien Testament. La souffrance du peuple comme celle de l'individu (ce grand argument contre Dieu et contre sa bonté) est constamment présente, et elle suscite fréquemment la révolte. En Égypte déjà, mais plus tard lorsque le peuple est devenu sédentaire, puis plus tard durant l'exil à Babylone et enfin sous la domination romaine : dans toutes sortes de situations de détresse et de faute.
Qu'on puisse en toute situation crier vers lui, voilà qui caractérise essentiellement ce Dieu. Je pense essentiellement au livre de Job, qui date du Ve siècle avant J.C. L'homme qui souffre, qui doute, qui désespère, si proche de l'homme d'aujourd'hui , ne cherche pas une réponse dans des arguments rationnels. L'énigme du mal et de la souffrance demeure entière. Pas d'arguments psychologiques, philosophiques, moraux, qui soient valables. Il n'y a pas de justification de Dieu possible (comme certains philosophes ont essayé de le faire). Non. Un ultime soutien, l'homme qui souffre, qui doute et qui désespère le trouvera uniquement en reconnaissant modestement son incapacité à donner une solution à l'énigme de la souffrance et du mal. Il refusera résolument une défiance qui ferait croire que le Dieu bon n'est pas véritablement bon pour l'homme. Positivement, il se risquera très simplement dans une confiance inconditionnelle et sans limites envers le Dieu incompréhensible. Risque plein d'incertitude et cependant libérateur, au milieu du doute, de la souffrance et de la faute, dans la détresse la plus intime, au sein des peurs, des soucis, des faiblesses, des tentations, du vide immense, et même dans la révolte. Oui, même dans une situation totalement désespérée, quand toute prière s'est éteinte et que l'homme se trouve acculé au silence, nous présenter à lui avec notre vide : une confiance originaire au sens le plus radical, qui n'atténue pas la révolte, mais qui l'étreint et qui l'assume.
C'est seulement lorsque nous disons "Amen" que la souffrance, sans s'expliquer, peut être portée. "Dire Amen", c'est la traduction pour le mot "foi" (hé'emin) dans l'Ancien Testament. A cause de Dieu, on peut dire oui au monde énigmatique marqué par le mal et la souffrance. Sinon, c'est impossible. Une telle confiance, une telle foi inconditionnelle et inébranlable est tout sauf facile. Le Nouveau Testament l'éclairera d'une nouvelle lumière. Et pourtant il reste vrai que c'est là le Dieu unique et que la foi en lui telle qu'elle est attestée dans les formes et les langages les plus divers : poésie, prose, épopée, légendes, mythes, récits historiques, nouvelles ou proverbes, tous ces genres divers, d'où qu'ils proviennent, attestent de plus en plus clairement Dieu pour ce qu'il est : le Seigneur qui libère et le Maître de l'histoire, le Créateur du monde, celui qui a donné au peuple la Loi, et enfin celui qui juge et qui accomplit.
4 - Le Dieu un et les multiples dieux.
Brièvement, examinons les différences qu'il y a entre le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, et le Dieu des philosophes et des religions.. Histoire d'éviter à la fois l'intolérance et l'idée que "toutes les religions se valent."
1 - Le Dieu des philosophes n'a pas de nom.
En effet, sous le nom de Dieu, les philosophes ont mis des choses totalement différentes les unes des autres. Au mieux, des choses apparentées. "Le divin des premiers penseurs grecs n'est pas identique au Dieu-créateur de la théologie philosophique d'origine chrétienne. Le Dieu d'Aristote, origine de tout mouvement, se distingue du Dieu de Kant, garant de la loi morale et de la béatitude. Le Dieu de Thomas d'Aquin et de Hegel, que la raison peut connaître, diffère du Dieu de Denys l'Aréopagite ou de Nicolas de Cues, qui se retire dans l'ineffable. Et le Dieu purement moral combattu par Nietzsche n'a rien à voir avec l'Étant Suprême qui soutient la réalité, selon Heidegger. Et pourtant, partout et toujours, on a pensé sous le mot Dieu quelque chose d'apparenté : ce qui détermine toute réalité. Mais dans tous les cas, on ne peut pas ignorer la différence avec le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob."
Le Dieu des philosophes est généralement abstrait et indéterminé. C'est une simple notion. Il n'a pas de nom. Il ne se révèle pas. Par contre, le Dieu biblique est concret et déterminé. Il porte un nom et il exige qu'on prenne une décision. Il se révèle dans l'histoire tel qu'il est : tel qu'il sera, à la fois guide, aide et réconfort.
2 - Le Dieu des religions a lui aussi, souvent, un nom.
Il n'est pas le fruit d'une réflexion purement intellectuelle, mais plutôt une réponse à une expérience, de quelque nature qu'elle soit, avec Dieu. La plupart des religions se réclament d'une illumination ou d'une apparition de Dieu ou de l'Absolu.
Il y a donc une certaine convergence entre les diverses religions, mais il y a aussi des différences capitales et donc des contradictions. Le Dieu des religions porte quantité de noms. Dieux innombrables, puissances divinisées de la nature, dieux végétaux, animaux ou humains, divinités de même rang ou classées dans des hiérarchies ordonnées, la question s'impose : quel Dieu est le vrai Dieu ? Est-il dans les religions primitives des origines ou dans les religions hautement évoluées. Polythéisme ? Monothéisme ? Panthéisme ? Ou encore Dieu serait-il "tout dans tout" ?
Malgré tout le respect dû aux autres religions, nous pouvons maintenir notre choix et avancer les raisons qui nous décident à choisir le Dieu d'Israël, le Dieu de la Bible. Pourquoi ?
* les religions ont certainement une idée déterminée de Dieu, mais elles ne concordent pas entre elles. Les dieux des religions exhibent quantité de noms et d'essences contradictoires. Ils s'opposent et se réfutent mutuellement. On ne peut pas croire en eux tous en même temps. Un choix raisonnable s'impose.
* La foi biblique est en accord avec elle-même. De plus il est possible d'en répondre devant la raison, et elle a trouvé confirmation à travers une histoire plusieurs fois millénaire. Pour ceux qui croient en lui, le Dieu d'Israël est le Dieu un et unique, et il n'y a pas d'autre dieu en face de lui. Il porte, sans confusion possible, le seul nom de Yahvé. C'est en lui seul que l'homme doit croire.3 - Et pourtant...
... les religion partent des mêmes questions éternelles de l'homme, des questions qui s'ouvrent sur la réalité visible : d'où vient le monde, pourquoi naître et pourquoi mourir, qui détermine le destin de l'individu et de l'humanité ? Des questions, mais aussi des propositions: offrir une voie pratique pour sortir de la détresse et de la souffrance de l'existence et acheminer vers le salut. Toutes les religions considèrent mensonge, vol, adultère ou meurtre comme des fautes. Et toutes adoptent la "règle d'or" : "Ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ne le fais pas non plus aux autres."
Toutes les religions savent aussi que la divinité, si proche soit-elle, demeure lointaine et cachée. Elles savent que l'homme, pour s'approcher de la divinité, a besoin d'être purifié et réconcilié, que pour effacer la faute, le sacrifice est nécessaire, que le passage à travers la mort apporte seul la vie, et même que l'homme ne peut pas se libérer par lui-même, mais qu'il a besoin de l'amour de Dieu qui l'étreint. Par conséquent :
* Les musulmans avec Allah, les hindous avec Brahma, les bouddhistes avec l'Absolu, les Chinois avec leur Ciel ou leur Tao, cherchent la vérité absolument ultime et première, la seule et la même vérité qui est pour juifs et chrétiens le Dieu unique et vrai.
* Les religions du monde peuvent non seulement connaître l'aliénation et le besoin de délivrance qui sont dans l'homme, mais encore la bonté, la miséricorde et la grâce du Dieu unique.
* A cause de cette vérité, les fidèles des grandes religions peuvent atteindre le salut éternel, malgré les multiples erreurs, le polythéisme, la magie, les contraintes de la nature et la superstition. En ces sens, les autres grandes religions peuvent aussi constituer des voies vers le salut.Mais il faut distinguer entre la question du salut et celle de la vérité. Et la question du salut étant résolue, demeure la question de la vérité. Et même si les grandes religions contiennent une part de vérité dans leur doctrine, elles ne proposent pas la vérité. La vérité, pour juifs et chrétiens, est exclusivement le Dieu un et vrai d'Israël, connu dans la foi.
(à suivre, début novembre 2007)