THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2007 : DIEU.
"Dieu est beau. Il aime la beauté."
11 -
Le Dieu en qui je crois.
(novembre 2007)
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Ces mots sont d'Albert Einstein (1879-1955), un des plus éminents parmi les physiciens du XXe siècle. Einstein avait affirmé faire partie des "hommes profondément religieux" et il disait la même chose d'autres grands physiciens de sa génération. Mais en quel sens Einstein était-il religieux ?
Dieu joue-t-il aux dés ?
Pour Einstein, la religiosité consiste à "savoir qu'il existe quelque chose qui nous est impénétrable, à connaître les manifestations de la raison la plus profonde et de la beauté la plus éclatante, qui ne sont accessibles à notre entendement que dans leurs formes les plus primitives."
Einstein se déclare opposé à toute religion-crainte primitive, mais aussi à "toute religion 'morale' comme on la trouve dans les saintes écritures du peuple juif, puis dans le Nouveau Testament." Au contraire il plaide pour une religion "cosmique", à laquelle ne correspond aucune idée d'un Dieu analogue à l'homme. Une religiosité authentique se découvre dans certains psaumes, chez certains passages des prophètes, mais beaucoup plus dans le bouddhisme. Einstein se réclame d'"hérétiques" comme François d'Assise ou Spinoza. Ces génies religieux se caractérisent par cette religiosité cosmique sans dogmes, sans Église, sans caste de prêtres, une religiosité qui ignore aussi un "Dieu qui serait conçu à l'image de l'homme." Dieu se manifeste dans l'harmonie des lois de la réalité, mais il ne s'occupe pas du destin et des actes de l'homme. Religion cosmique qui est aussi le ressort le plus fort de la recherche scientifique. D'où la réflexion d'un de ses contemporains : "Les savants sérieux sont les seuls hommes qui soient profondément religieux."
Dieu ne s'occupe pas du destin et des actes de l'homme. L'homme, en effet, a toute sa liberté. Et Einstein écrira : "La théorie (des quanta) nous apporte beaucoup de choses, mais elle nous rapproche à peine du secret du Vieux. De toute façon, je suis convaincu que lui, au moins, ne joue pas aux dés." Et à un de ses amis physiciens qui croit "au hasard et à la nécessité", il écrit en 1944 : "Nos espérances scientifiques nous ont conduit chacun aux antipodes de l'autre. Tu crois au dieu qui joue aux dés, et moi, à la seule valeur des lois dans un univers où quelque chose existe objectivement, que je cherche à saisir d'une manière sauvagement spéculative."
Dieu est-il une personne ?
Ce n'est pas seulement pour Einstein, mais pour la plupart de nos contemporains qu'une des principales difficultés qui empêche de croire au Dieu d'Israël, au Dieu qui crée et accomplit toute chose, c'est la représentation personnelle de Dieu telle qu'on la trouve dans l'Ancien Testament. Certes, avec le temps, tout le monde a reconnu que le "vieillard à barbe blanche" n'est qu'en malheureux cliché pour représenter Dieu. Mais combien de malheureux clichés subsistent encore de nos jours dans l'esprit des gens ! Les théologiens eux-mêmes ont véhiculé ces images de l'art chrétien sans opérer la moindre critique. Pourtant s'il existe un domaine qui échappe par définition à la représentation, c'est celui-là. Et pourtant, au point de départ, il y avait l'interdiction fait par Dieu de s'en faire des images ! Alors, faut-il se représenter Dieu comme une personne, dans l'optique de la conscience moderne, sans tomber dans des représentations plus ou moins mythologiques ? Peut-on dire que Dieu est une personne ? Il ne faut pas oublier l'origine du mot "persona" qui signifie le masque que l'acteur portait dans le théâtre antique, le rôle qu'il joue, et ensuite seulement le visage.
Il fallut que les théologiens se servent du terme personne pour décrire le rapport de Dieu Père à Jésus comme Fils, puis au Saint-Esprit. Mais ce fut la source de querelles interminables, en grec et en latin, pour savoir si on pouvait appliquer à Dieu la notion de personne comme individualité. Résultat : il faut être très doué pour s'y retrouver. Car pour le théologiens du Ve siècle, Dieu n'est pas une simple personne, mais une nature divine en trois personnes (Père, Fils et Esprit). Inversement Jésus n'est pas une personne humaine, mais bien une personne (divine ?) en deux natures (divine et humaine). Jésus n'est donc pas une personne humaine ? Et au contraire il y a trois personnes divines ? Aujourd'hui, on ignore le sens primitif des mots, si bien qu'on ne comprend plus ce que les théologiens ont voulu dire. Car pour nous aujourd'hui, personne veut dire conscience de soi. Si bien que pour beaucoup, la doctrine traditionnelle de la Trinité veut dire qu'il y a trois dieux. Et c'est un scandale ,pour les Juifs et les Musulmans. Donc nous n'allons pas nous disputer sur des mots. Et lorsque Einstein parle de religion cosmique, il faudra y voir simplement une expression du respect devant le mystère de l'Absolu, par opposition à des représentations trop humaines de la divinité. Dieu n'est pas une personne comme l'homme en est une. Il est bien plus qu'une personne. Et cependant l'Absolu est autre chose qu'un pur néant Un Dieu sans esprit ni entendement, sans liberté et sans amour, comment pourrait-il être un Dieu ? Un Dieu qui fonde la personnalité ne peut être lui-même non personnel. Il n'est pas une "chose". La Bible nous renvoie à un vis-à-vis authentique, ami des hommes, auquel on peut s'abandonner sans condition. Ce n'est ni un objet ni un univers vide et sans écho, ni un abîme vide et sans détermination. Dieu est un vis-à-vis auquel on peut s'adresser. Là où d'autres n'entendaient qu'un silence infini, Israël entendait une voix. On peut entendre Dieu et s'adresser à lui. Sur ce point central, la Bible n'a jamais varié.
Qu'est-ce qui était au commencement ?
"Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre", dit le premier verset de la Bible. Dieu était donc au commencement ? Cette proposition, peut-on la vérifier grâce aux sciences de la nature ? Les sciences de la nature sont capables de reconstruire les étapes décisives de l'histoire du monde, à travers son déroulement sur des milliards d'années. Mais le commencement ? Est-ce que l'instant de "l'explosion initiale" où notre monde a commencé se confond avec la création du monde à partir du néant, par une Toute-puissance divine ? Premièrement, actuellement, la plupart des scientifiques sont d'accord pour dire qu'il y a eu un commencement, et que la matière n'est pas éternelle. On peut même dater ce commencement. La théorie du big bang, émise par l'abbé Lemaire en 1927, a été vérifiée et s'est imposée de nos jours. On peut la considérer comme "modèle standard." Je ne vais pas vous expliquer dans le détail cette théorie : j'en serais bien incapable. Sachez seulement qu'alors qu'Einstein concevait encore au début l'univers de manière statique, l'abbé Lemaire propose une vision dynamique de l'univers : il y a eu une explosion initiale. D'où l'idée que l'expansion de l'univers se continue.
De là à penser que se vérifie ainsi la phrase de la Bible : "Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. Premier jour..." c'est une autre affaire ! Pourtant cet acte soudain de création n'a-t-il pas quelque chose d'une explosion initiale ? Certes, le monde a commencé, vraisemblablement il y a treize millions d'années. Mais il n'est pas sûr que l'expansion de l'univers durera toujours. Il pourrait un jour commencer à se rétracter. Attention : il y a un danger de concordisme. De même que les tenants du matérialisme dialectique rejetaient l'hypothèse du big bang au nom de leur idéologie selon laquelle la nature est infinie et éternelle, il y aurait danger de faire concorder la foi chrétienne de la création avec la théorie du big bang. Ne pas considérer Dieu comme un bouche-trou cosmologique. La théologie ne doit pas se cantonner dans le résidu inexpliqué du monde.
Quelques précisions. Premièrement la question de l'origine ultime de l'homme et du monde ("Qu'y avait-il avant l'explosion initiale et l'hydrogène" ?), la question de savoir pourquoi il y a quelque chose et non pas rien, est une question essentielle de l'homme, et le scientifique, qui n'est compétent que dans l'horizon de l'expérience, ne peut y donner réponse. Pour autant il ne lui est pas permis de la rejeter comme inutile, voire absurde. Deuxièmement, les deux récits bibliques de la Genèse, le premier écrit vers 900 et le second vers 500 avant J.C., ne fournissent pas une information scientifique sur l'apparition du monde, mais un témoignage de foi sur l'origine ultime de l'univers, témoignage que la science ne peut ni confirmer ni infirmer : au commencement du monde il y a Dieu ! Troisièmement, que Dieu ait créé le monde "à partir de rien" n'implique pas une autonomie donnée au néant, de sorte qu'il existerait devant ou à côté de Dieu. Non : le témoignage de foi des récits bibliques de création souligne que l'origine de toutes choses, c'est Dieu, qu'il n'est pas en concurrence avec un principe opposé, mauvais ou démoniaque ; que le monde, que la matière, le corps humain et la sexualité sont fondamentalement bons ; que l'homme est la fin par excellence du processus de création et le centre du cosmos; et enfin que la création par Dieu signifie déjà sa prévenance gracieuse pour le monde et pour l'homme.
Ainsi donc, au travers d'images et de paraboles de son temps, la Bible répond à des questions qui gardent même pour l'homme d'aujourd'hui une importance infinie. Le langage de la Bible ne parle pas le langage scientifique des faits, mais le langage métaphorique des images. La Bible interprète. Son langage se rapproche plus du langage poétique que du langage scientifique. Qu'il y ait eu à l'origine uns sphère de feu ou des atomes d'hydrogène ou simplement quelques neutrons, la question demeure : d'où viennent-ils ? La science, si l'on veut, commence au deuxième jour de la création. Et pourtant, une rationalité exige qu'on réponde à la question : "Pourquoi y a-t-il quelque chose, et non pas rien." On en revient toujours à cette question : qui est à l'origine ? Y a-t-il une cause à tout ce qui existe ?
Personnellement, je dis Dieu créateur. Ce qui m'invite à conclure que le monde et l'homme sont créatures de Dieu, et donc à respecter les hommes comme des semblables, et non comme des êtres inférieurs, à respecter la nature, et en particulier les animaux, parce que c'est mon environnement , et non pas un matériau exploitable à merci. Respect du vivant, respect de la nature. Croire au Dieu qui crée le monde renvoie à une responsabilité envers mes semblables et envers mon environnement .
Dieu intervient-il ?
On a toujours tendance à faire jouer à Dieu un rôle de bouche-trou. Ainsi, même si on admet toutes les conclusions des théories de l'évolution, se pose une autre question concernant l'origine de la vie. Est-ce qu'il est possible de penser que, sans aucune intervention, la vie a surgi de la matière inanimée ? Pendant longtemps, la réponse a consisté à faire intervenir Dieu pour faire surgir la vie, la première cellule vivante. Or, actuellement, à en croire d'éminents biologistes, une intervention surnaturelle directe de Dieu pour expliquer l'apparition de la vie, et pareillement de l'esprit humain, semble moins que jamais nécessaire. Pour les sciences de la nature, le processus d'évolution n'exclut ni n'implique par lui-même un créateur et un maître (un Alpha), ni une fin ou un sens ultime (un Oméga).
Mais pour les scientifiques comme pour tout le monde se pose la question existentielle de l'origine et de la fin (du sens) de tout le processus de l'évolution. A cette question ils n'ont pas le droit de se soustraire, même si, comme scientifiques, ils ne peuvent lui donner de réponse. C'est donc une décision de foi. Ou bien le scientifique admet une ultime absence de fondement, de support et de sens : tout est absurde ; ou bien au contraire il reconnaît un fondement, un support, un sens originel de l'univers, un Créateur qui dispose dans le processus d'évolution et qui l'accomplit.
Seul le oui plein de foi à un fondement, un support et un sens originels peut répondre à la question de l'origine, du support et de la finalité du processus d'évolution et apporter à l'homme une certitude et une sécurité ultimes. De ce point de vue, le "non" ne fait que mener à l'absurde, alors que le "oui" se caractérise par une rationalité radicale.
Reste cependant la question : si on veut éviter une intervention surnaturelle de Dieu dans les lois de la nature, comment penser l'action de Dieu qui dispose de toutes choses ?
* Dieu n'agit pas dans le monde sur un mode fini et relatif, mais comme l'Infini dans le fini.
* Dieu n'agit pas d'en haut ou du dehors, comme Moteur immobile au coeur du monde, mais il est la réalité dynamique la plus réelle qui agit de l'intérieur, au coeur du processus d'évolution qu'il rend possible, qu'il traverse et qu'il accomplit . Il ne surplombe pas le devenir du monde, mais il est, au coeur de ce processus, dans, avec et parmi les hommes et les choses. Il est lui-même l'origine, le milieu et la fin du processus du monde.
* Dieu n'agit pas seulement en certains lieux particulièrement importants ou dans les lacunes de ce processus, mais il agit en tant que support originel qui crée et qui accomplit . Il est omniprésent et tout-puissant, tout en respectant pleinement les lois de la nature dont il est lui-même l'auteur. Il est lui-même le fondement et le sens du devenir, qui englobe tout et qui traverse tout. Mais il est évident qu'on ne peut l'admettre que dans la foi.Le monde ou Dieu : ce n'est pas une alternative : ni le monde sans Dieu (athéisme), ni Dieu dans le monde (panthéisme). Au contraire, Dieu et le monde, Dieu et l'homme ne sont pas deux causalités finies qui se font concurrence l'une à côté de l'autre : l'une gagnerait ce que perd l'autre. Si Dieu est réellement le fondement, le support et le sens originels et infinis du monde et de l'homme, alors il est patent que Dieu ne perd rien quand l'homme gagne, mais que Dieu gagne là où l'homme gagne. Dieu, pour la Bible, se présente comme l'absolue liberté, mais il n'est pas pour autant menacé par la liberté de l'homme. Car c'est Dieu qui rend possible et qui sauve cette liberté. Et si l'homme est liberté relative, il n'est pas pour autant écrasé par la liberté de Dieu, car l'homme vit intrinsèquement de cette liberté. Non seulement il n'y a pas concurrence, mais bien plus l'honneur rendu à l'homme est proportionnel à l'honneur rendu à Dieu, et l'honneur rendu à Dieu est proportionnel à celui qui est rendu à l'homme. "La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant."
Des miracles ?
Mais alors, que penser de l'intervention directe de Dieu dans l'histoire des hommes ? Que penser des récits de miracles comme on en trouve dans la Bible ? Depuis le buisson ardent jusqu'au passage de la mer Rouge, du Sinaï à l'écroulement des murailles de Jéricho, et Josué qui arrête le soleil, et Elie enlevé sur un char de feu, etc. ? S'il n'est pas intervenu dans le processus de l'évolution, Dieu est-il intervenu dans l'histoire d'Israël ?
Tout d'abord, il faut nous rendre compte de la différence fondamentale qui existe entre conception biblique et conception moderne de la réalité. Les hommes de la Bible ne manifestaient aucun intérêt pour ce qui intéresse l'homme d'aujourd'hui : les lois de la nature. Ils ne concevaient jamais les miracles comme des infractions aux lois de la nature. Pour eux, tout événement où Dieu se manifeste est considéré comme un miracle, un signe, un haut fait et un acte de la puissance de Yahvé. Partout, Dieu est à l'oeuvre, il a créé et il conserve le monde jusqu'à son accomplissement. En d'autres termes :
* Un "miracle" n'implique nullement, dans le langage biblique courant, une infraction aux lois de la nature par une intervention directe de Dieu, mais tout ce dont l'homme s"émerveille". C'est à dire aussi la création et le maintien du monde, ainsi que l'homme lui-même. La Bible ne connaît pas de lois naturelles au sens moderne du terme, mais elle ramène "naïvement" les événements naturels à la puissance de Dieu (ou à une puissance méchante).
* La critique historique a montré que beaucoup d'événements miraculeux n'ont pas fait problème pour la foi des hommes d'alors, par exemple le contexte de l'Exode. Ils peuvent être ramenés à des événements naturels, coutumiers en Palestine ou dans les pays voisins, où la causalité n'était d'aucune manière annulée.
* La critique littéraire montre que souvent différentes traditions du même événement historique sont mêlées, la plus récente de ces traditions accentuant chaque fois le côté miraculeux de l'événement. La différence entre les genres littéraires est capitale, et beaucoup de récits ont un caractère légendaire.
Les récits de miracles sont des récits populaires qui visent à provoquer un étonnement de la foi : signes de la puissance de Dieu, des grandes choses qu'il a accomplies pour nous. L'important, par exemple, n'est pas la traversée miraculeuse de la mer, mais le message d'un Dieu dont le peuple fait l'expérience qu'il est le Dieu de la libération.Et la question de la Providence ? Puis-je constater une Providence ? Pour comprendre cette réalité, pas de meilleur exemple que l'histoire de Moïse. Après la révélation au Sinaï, après quantité de vicissitudes, de luttes et de doutes, Moïse eût aimé avoir une certitude, enfin et une fois, voir Dieu en face. Dieu lui répond : "Tu ne peux voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre." Mais Dieu permet à Moïse de se tenir dans le creux du rocher et, lors de son passage, Dieu l'abrite de sa main, de sorte que Moïse ne peut le voir. Dieu n'écarte sa main qu'après son passage, et Moïse ne peut le voir que de dos. Nous aussi, nous aimerions bien savoir à qui nous avons à faire, en qui nous mettons notre espérance. Malheureusement nous ne sommes pas mieux partagés que Moïse, et c'est toujours après coup que je peux reconnaître et comprendre, dans la foi, qu'en dépit de mille difficultés, tout allait bien. Dans la foi, et seulement dans la foi, je suis capable de reconnaître dans ma vie une Providence. Mais après coup ! Je ne reconnais pas Dieu par avance. Comme dit saint Paul : "Aujourd'hui nous voyons dans un miroir, d'une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd'hui je connais d'une manière imparfaite, mais lors je connaîtrai comme je suis connu."
Et à la fin ?
Il n'existe ni extrapolation scientifique évidente ni prévision prophétique précise sur l'avenir définitif de l'humanité et du cosmos. Comme pour le début, les "choses dernières" et les "derniers temps" sont inaccessibles à l'expérience directe. Des témoins humains n'existent pas pour cela. Des images et des récits poétiques remplacent ce que la raison pure ne peut explorer, ce qui est objet d'espérance et de crainte.
Si les affirmations bibliques sur la fin font autorité, ce n'est pas comme des affirmations scientifiques sur cette fin, que les sciences de la nature sont bien en peine de confirmer ou d'infirmer. Pour cette raison, on ne peut renoncer à harmoniser les affirmations bibliques avec les différentes théories sur la fin proposées par les sciences de la nature.
Dans la Bible, le témoignage de la foi conçoit résolument la fin comme l'accomplissement de l'action divine dans sa création. Comme au commencement du monde, la fin n'ouvre pas sur un néant, mais sur Dieu. On n'a pas à mettre simplement la fin sur le même plan qu'une catastrophe cosmique et qu'une rupture de l'histoire humain. Même si tout le vieux, l'éphémère et l'inachevé prennent fin, il n'en faut pas moins comprendre cette fin comme un accomplissement.
Dans l'histoire du cosmos, longue et sublime, mais aussi infiniment cruelle ; histoire de sang, de sueur et de larmes, étal de boucherie où gisent des peuples, histoire de saints et de bandits, d'exploiteurs et d'exploités, chacun peur légitimement se demander ; à quoi bon tout cela ? Où va tout cela ? Vers le néant ? Mais le néant explique-t-il quoi que ce soit ? La raison peut-elle s'en contenter ? Tout cela pour rien ? Toute autre alternative me parait meilleure.
Il n'existe qu'une seule alternative crédible : la totalité va vers cette ultime fin de toutes les fins que nous appelons Dieu, justement le Dieu qui accomplit. Je suis bien sûr incapable de la démontrer, mais je peux, pour de bonnes raisons, lui dire Oui, avec confiance, une confiance rationnelle et éclairée. Croire au Dieu qui accomplit ne signifie pas que je me représente l'accomplissement comme Michel-Ange l'a exprimé avec son Jugement dernier de la chapelle Sixtine. Cela ne signifie pas non plus que je dois faire le choix entre l'une des nombreuses théories cosmologiques sur la fin du monde. Croire en Dieu qui accomplit, c'est affirmer que le monde et l'homme ne sont pas jetés absurdement du néant dans le néant, mais qu'ils ont sens et valeur, qu'ils ne sont pas un chaos, mais un cosmos. Rien ne m'oblige à cette foi. Je puis me décider pour elle en toute liberté, mais lorsque j'ai fait ce choix, ma foi change toute mon attitude : elle renforce ma confiance originaire et concrétise ma foi en Dieu.
Parce que je crois en Dieu qui accomplit, je crois que mon existence opaque et ambivalente, tout comme l'histoire pleine de contradictions de l'humanité en général seront définitivement transparents un jour. Ce qui implique qu'on travaille avec le maximum de détachement et de réalisme, sans succomber au terrorisme de ceux qui veulent faire le bonheur des gens par la violence. C'est savoir que ce monde n'est pas la fin dernière, que les conditions ne seront pas éternellement ce qu'elles sont, que tout ce qui existe - y compris traditions, autorités religieuses et ecclésiastiques - a un caractère provisoire, que la division en races et en classes, en pauvres et en riches, en dominants et en dominés, est passagère, et que ce monde est essentiellement changeant et changeable. Cela veut dire que j'ai sans cesse à créer un sens dans ma vie et dans celle des autres, à cause de l'espérance qui est en moi, que le sens de ma vie ne sera pleinement accompli que lorsque Dieu me révélera et me fera rencontrer son ultime réalité.
Il n'y aura de véritable accomplissement et de véritable bonheur de l'humanité que si tous les hommes, à commencer par ceux du passé qui ont souffert et ont versé leur sang, y ont part. Aucun royaume d'hommes, mais uniquement le royaume de Dieu est celui de l'accomplissement, le royaume de la justice accomplie, de l'amour ininterrompu, de la liberté libérée, de la paix universelle et de la vie éternelle.
(à suivre, début décembre)