THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.
11- Quelques personnalités.
(novembre 2006)
Je voudrais vous présenter ce mois-ci, pour illustrer en quelques exemples, quelle fut la richesse des premiers siècles de l'histoire de l'Église, quelques personnalités marquantes qui vécurent aux IIe et IIIe siècles de notre ère. Ils ne furent pas tous des saints. Vous verrez même que certains ont quitté l'Église. Mais tous ont marqué l'histoire de l'Église primitive. Ils figurent parmi ceux qu'on appelle les Pères de l'Église. Ils ont tous en commun d'avoir vécu à l'époque où l'Église n'était pas encore installée dans la paix. Et vous verrez que, même en période de persécutions, ces hommes avaient le souci d'éclairer par leur recherche intellectuelle et spirituelle la foi des premières générations. Même, au besoin, en alimentant des controverses qui nous paraissent bien dépassées. Par contre, ce que j'ai remarqué en travaillant pour vous cette présentation, c'est un point commun : pour eux quel est le rapport entre la foi et la raison ? Comment s'est faite, pour eux, la rencontre entre la foi juive et la sagesse grecque ? Question qui était celle du pape Benoît XVI, cet été, dans sa conférence de Ratisbonne.
Irénée de Lyon - environ 130 à environ 208
Environ cent ans après la mort et la résurrection de Jésus naît à Smyrne (actuellement Izmir en Turquie) l'un des premiers Pères de l'Église, Irénée. Il a été en relations avec Polycarpe, l'évêque de Smyrne, qui lui même était disciple de Jean "qui avait vu le Seigneur"
Irénée devient, vers 175, évêque de Lyon. Ce fut un excellent pasteur et un bon théologien. Il fut mêlé à un certain nombre de controverses entre les Églises d'Orient et les Églises d'Occident, particulièrement pendant le dernier quart de ce IIe siècle. Mais la plus grande partie de son oeuvre écrite est dirigée contre le gnosticisme, dont nous avons parlé en avril et en mai. Il y développe une pensée originale : on a vu en lui le premier "théologien de l'histoire", une sorte de précurseur de Teilhard de Chardin. Mais sous cet aspect novateur et original, en fait, il y a une pensée nourrie de la tradition : son enseignement, dit-il, ne fait que reproduire l'enseignement de l'Église tel qu'il lui a été transmis. Mais sa formulation "évolutionniste" a de quoi nous séduire aujourd'hui. On ne sait pas bien s'il a trouvé cela tout seul ou s'il l'a puisée à la source d'une philosophie de son époque.
C'est vers 180-185 qu'Irénée a écrit un gros volume en cinq tomes, dont on a des traductions en latin et en arménien (il avait été écrit en grec, naturellement) On l'appelle traditionnellement Adversus Haereses. Il y présente les doctrines gnostiques avec une honnêteté et une fidélité incroyables. Jusqu'à ce qu'on découvre les textes eux-mêmes à Nag Hammadi en 1945, on pouvait en douter. Aujourd'hui, il n'y a plus de doute. Irénée présente les doctrines gnostiques avec exactitude et ensuite, il n'y a pas beaucoup de travail à faire pour les réfuter, tant elles paraissent contraires au bon sens et à la raison. Par contre, c'est pour Irénée l'occasion de présenter la vraie tradition chrétienne. Alors que les théories gnostiques prétendaient s'appuyer sur des traditions secrètes remontant aux Apôtres et révélées uniquement aux parfaits, Irénée explique que la tradition vient bien des apôtres, mais ce n'est pas une tradition secrète. Il est facile, pour Irénée, d'établir les listes des successions épiscopales, à partir des Apôtres, dans chaque Église, et spécialement dans l'Église de Rome. Essentiellement, "la règle de vérité", c'est qu'il y a un seul Dieu qui, par son Verbe a fait toutes choses et qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus Christ et qui, en lui, accorde le salut aux hommes. Ceci est particulièrement important en ce qu'il s'oppose aux doctrines gnostiques qui distinguent un Dieu créateur et un Dieu rédempteur et qui multiplient les émanations divines.
Plus originale encore est sa présentation de l'évolution de l'humanité. Pour faire simple, disons que, pour Irénée, tout ce qui est créé est nécessairement en devenir et donc imparfait. L'homme n'a pu être créé que dans un état d'imperfection et d'enfance. C'est par un progrès continu dirigé par Dieu qu'il est orienté vers la perfection, de la même manière qu'un bébé doit traverser la petite enfance, l'enfance, l'adolescence et la jeunesse avant de devenir un adulte. L'œuvre de Dieu n'est pas, pour Irénée, de restaurer un état originel de perfection, mais d'éduquer le genre humain. Le Verbe de Dieu s'est incarné pour s'adapter à l'état de faiblesse de l'humanité encore en progrès.
Justin - né vers 100 - décapité en 165
Un peu plus âgé qu'Irénée, Justin était un "Palestinien". Né à Naplouse (la Sichem de la Bible) de parents païens. Il a fait de fortes études de philosophie. Stoïciens, péripatéticiens, pythagoriciens et enfin platoniciens furent ses maîtres. Il raconte dans ses "dialogues avec Tryphon" que le maître stoîcien ne lui parlait pas de Dieu, le disciple d'Aristote ne s'intéressait qu'à ses honoraires ; seuls, les platoniciens lui offraient une doctrine solide et exaltante. Il pensait avoir trouvé ce qu'il cherchait, jusqu'au moment où il rencontre le christianisme. Sans doute à Éphèse (en Turquie). Il avait eu l'occasion d'assister à des scènes de martyre ; il fut très ému par ce spectacle et très frappé de l'héroïsme des chrétiens. Un jour, il rencontra un vieillard, qui lui vanta et lui expliqua la religion du Christ. Le jeune philosophe se mit à lire et à étudier les livres sacrés du christianisme, qui produisirent sur lui une grande impression. Enfin, vers 130, il se convertit. Il avait alors environ trente ans. A partir de ce jour, il consacrera sa vie à la défense de la foi chrétienne. Il revêt le pallium, le manteau que portaient les philosophes grecs et se met à voyager. Arrivé à Rome, il ouvre une école de philosophie. Pour lui, la philosophie est préparation de la révélation chrétienne. Il a eu de brillants élèves, eux aussi convertis au christianisme et brillants apologistes. Ce qui suscite la haine et la vindicte du philosophe cynique Crescens, qui devient l'adversaire passionné de Justin. Au cours d'une discussion avec celui-ci, il est convaincu d'ignorance. Ce qui n'est pas pour plaire à un professeur de philosophie. C'est pourquoi Crescens s'empresse d'aller dénoncer Justin comme chrétien. Justin sera décapité avec 6 compagnons. On a conservé le procès-verbal authentique - c'est le seul qui ait été conservé à Rome - du procès et de son martyre. Vous pouvez le lire en cherchant dans wikipedia.
On possède de saint Justin deux apologies adressées à Antonin le Pieux (138-161) et le Dialogue avec Tryphon, la plus ancienne apologie dirigée contre les juifs. Plus encore que par leurs développements apologétiques et théologiques, les œuvres de Justin intéressent par les descriptions qu'il donne de la liturgie du baptême et de l'eucharistie : c'est le plus ancien auteur qui décrit la célébration de la messe. Ce faisant, il s'écartait d'une consigne de silence habituellement suivie. Ne pouvant se soumettre à certaines pratiques païennes intimement mêlées à la vie sociale et obligés d'être discrets pour leur propre sécurité, les chrétiens vivaient dans un effacement volontaire, qui alimentait les pires calomnies, car il laissait supposer que leurs réunions étaient secrètes parce qu'elles comportaient des rites inavouables, tels qu'obscénités ou meurtres d'enfants. Justin fut le seul à penser que la meilleure défense était de raconter simplement ce qu'étaient ces réunions sans craindre d'exposer à tous les mystères du christianisme.
Disciple de Justin, Tatien composa un Discours aux Grecs d'une extrême violence où il rejetait avec mépris la culture grecque tout entière. Cet exalté finit par quitter l'Église, trop faible à son gré, et fonda la secte des encratites, qui condamnait absolument l'usage de la viande, du vin et du mariage. La célébrité de Tatien vient surtout de son Diatessaron, « tiré des quatre », qui est une histoire de Jésus, groupant en un récit continu des passages des quatre évangiles, "Les quatre évangiles en un seul" ; c'est le plus ancien essai du genre, le seul qui ait été utilisé dans la liturgie.
Tertullien - Pèlerin égaré de l'absolu.
Il fut l'un des chrétiens les plus intelligents de son temps. Il influença considérablement Cyprien, "pape" de Carthage. Ce prêtre éclaira l'Église avant de s'en éloigner.
On ne sait presque rien de sa vie, sinon par quelques notes qu'il a laissées ici et là dans ses écrits. Il était né à Carthage vers 150-160. Peut-être fils de militaire. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il reçut une excellente instruction : il parle aussi bien le grec que le latin ; il a reçu une formation de juriste, mais la philosophie lui est familière. Et il s'entraîne à l'art d'écrire. Bref, il possède la belle culture des meilleurs de son époque. C'est un païen qui se moque des croyances chrétiennes. Quand s'est-il converti, et comment, on ne le sait pas. Il est marié. A-t-il été élu prêtre une fois converti ? Les avis sont partagés. En tout cas, il conquiert rapidement une place de toute première importance comme défenseur de la foi chrétienne et polémiste de première grandeur. Mais comment a-t-il fait pour passer indemne à travers les nombreuses persécutions qui sévissent à l'époque, nul ne le sait.
En tout cas il entre en littérature avec fracas. En 197, nombreux sont les chrétiens de Carthage qui sont en prison. Tertullien s'adresse aux païens dans deux ouvrages : "Ad nationes" (aux païens) et son chef d'oeuvre ; l'Apologétique. Il s'agit de défendre les chrétiens contre les critiques et les calomnies. Sa méthode est révolutionnaire : plutôt que de simplement défendre, il attaque et dénonce les païens. Chrétien, Tertullien ne trahit pas sa culture païenne : il s'en sert. Souvent avec des jugements outranciers et avec intransigeance : "Qu'y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem, entre l'Académie et l'Église, entre les hérétiques et les chrétiens ?" Et il ajoute : "Tant pis pour ceux qui ont inventé un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien." Il ne rate pas une occasion d'attaquer les philosophes, ces "patriarches des hérétiques". On dirait aujourd'hui de Tertullien que c'est un intégriste et certainement il condamnerait Benoît XVI qui veut concilier la raison et la foi.
Tertullien veut conserver l'intégrité du christianisme. Ce qui le conduit a formuler brillamment les dogmes de la foi, en des termes qui en font l'un des premiers Pères de l'Église. Sa doctrine sur la Trinité, ses recherches sur la nature divine du Christ seront parmi les documents de base du concile de Nicée.
Tertullien est aussi un moraliste. Mais d'une morale puritaine et pointilleuse qui se mêle de tout, des choses de la vie quotidienne. Il ira même jusqu'à adresser un manuel de savoir-vivre à sa femme. Il veut entraîner avec lui jusqu'à la perfection tout le peuple chrétien. Ce désir de perfection l'amènera à quitter l'Église qui, à ses yeux, est trop sensible aux nourritures terrestres. En 207, il rejoint les montanistes. Bientôt il les quittera. De plus en plus attaché à débusquer le mal, il s'abandonne à des visions apocalyptiques sur l'univers. Il se veut spécialiste du péché, inquisiteur des débâcles de l'âme. Pèlerin égaré de l'absolu, il finira par fonder sa propre secte.
"Tertullien, prêtre de Carthage, éclaira l'Église par ses écrits, et la quitta enfin par une orgueilleuse sévérité.", écrit Bossuet.
Cyprien, pape d'Afrique.
Trois titres pour décrire Cyprien : c'est un latin, un aristocrate et un intellectuel. C'est d'abord un latin. Au début du IIIe siècle, le christianisme qui jusque là était particulièrement bien implanté en Orient, progresse irrésistiblement en Occident, et notamment en Afrique du Nord. C'est également un aristocrate : la nouvelle religion qui d'abord s'était implantée chez les esclaves et le bas peuple gagne maintenant les hautes couches de la société. Enfin, c'est un intellectuel : l'Église peut maintenant recruter ses responsables parmi l'élite pensante de l'Empire.
On ne sait presque rien de lui jusqu'en fin 248, date à laquelle il est élu évêque de Carthage. Son biographe, le diacre Pontius, dit qu'il s'est converti au christianisme dans la force de l'âge. Il est né à la fin du IIe siècle, à Carthage, de parents riches et païens. Il a fait de bonnes études et est devenu "rhéteur" - on dirait aujourd'hui professeur d'éloquence et de philosophie. Dans une lettre qu'il adresse à un ami, il avoue que les amours sans lendemain ne lui étaient pas inconnues. Mais sur le plan professionnel, c'est la réussite : quand il se convertit, il est déjà un rhéteur célèbre. Un vieux prêtre, rencontré à Carthage, lui a mis entre les mains une Bible et lui a découvert Jésus-Christ. Cyprien est séduit. Mais ce n'est pas sans lutte. Il a du mal à quitter la vie mondaine et élégante qu'il a menée jusque là.
Mais une fois baptisé, Cyprien change du tout au tout. Il décide de vivre dans la continence. Il renonce aux belles-lettres. il donne aux pauvres la plus grande partie de ses biens. Ses deux guides seront l'Écriture et Tertullien (qu'il ne nomme pas, mais qu'il appelle "le maître)". A Carthage, cette conversion ne passe pas inaperçue. Les chrétiens sont fiers d'une telle recrue, si bien que lorsque la ville a besoin d'un évêques, le peuple chrétien le choisit. Cyprien commence par refuser. On assiège la maison où il s'est caché. Cyprien cède enfin, et sans transition, il va devenir prêtre et évêque. C'est de la folie, pensent certains. Et tout au long de sa vie, Cyprien se heurtera à un groupe d'opposants irréductibles.
L'évêque Cyprien fait preuve à la fois de modération et de fermeté dans le gouvernement de l'Église. Plus question de trouver des diacres qui insultent leur évêque ou des vierges qui se donnent des allures provocantes. Il réforme les moeurs sans concession. Il y a seulement un an qu'il est évêque quand éclate la persécution de Dèce (janvier 250). Tous les citoyens de l'Empire doivent sacrifier aux dieux et recevoir en échange un certificat de sacrifice. C'est la catastrophe. Un vent de panique souffle sur l'Église. Certains courent se mettre en règle en offrant le sacrifice prescrit ; des familles entières courent à la défection. Il y a même des prêtres qui sacrifient. Les plus malins achètent le certificat requis. Quant à Cyprien, que tout le monde Église comme le "pape" des Églises d'Afrique (le mot pape n'était pas réservé, à l'époque, à l'évêque de Rome) : il a 150 évêques qui relèvent de sa juridiction, il décide de se cacher afin d'éviter "d'aboutir au naufrage du bâtiment par la suppression du pilote", écrira-t-il plus tard. Cette décision est sévèrement jugée par certains. A Carthage, l'opposition s'agite, et à Rome, le clergé proteste : son pape, Fabien, est mort martyr et le clergé, dans une lettre bien sentie, fait comprendre à Cyprien que le martyre est plus évangélique que la fuite. Pendant quinze mois, Cyprien pilotera son Église à distance.
Lorsque survient l'accalmie, les prisons se vident. Ceux qui sont "tombés" dans l'apostasie (les lapsi) peuvent-ils être réintégrés dans l'Église ? Et à quelles conditions ? Cyprien, à qui son clergé conseille de ne pas revenir tout de suite, de peur de relancer la persécution, décide d'attendre son retour pour régler la question. Mais des prêtres, appuyés par des "confesseurs" (ceux qui ont connu la prison et la torture) décident de réintégrer les lapsi. Cyprien s'indigne. Et sous la pression des uns et des autres - ceux qui sont pour l'indulgence et ceux qui sont pour la sévérité - Cyprien adopte une voie médiane. Ce qui, naturellement, n'est du goût ni des uns ni des autres. Le schisme menace. Un groupe se sépare de Cyprien qui les excommunie. Il envoie à Rome copie de ce courrier consacré au problème des lapsi. Rome donne son approbation pleine et entière, que Cyprien se hâte de communiquer à toutes les Églises d'Afrique.
Lui-même ne reviendra à Carthage qu'après Pâques 25. Il réunira aussitôt un concile régional pour déterminer une fois pour toutes une conduite à tenir vis-à-vis des lapsi.
S'ensuit une période de querelles interminables, tant à Carthage qu'à Rome. A Carthage, c'est Novat qui fait schisme ; à Rome, c'est un nommé Novatien qui conteste l'élection du pape Corneille, successeur de Fabien. Les deux fauteurs de schisme se croisent, Novat vient à Rome et Novatien arrive à Carthage, dans l'intention de propager leurs schismes réciproques. Je passe sur les détails. Toujours est-il que lorsque le pape Corneille meurt en déportation, l'amitié et la confiance sont entières entre le "pape" de Rome et le "pape" de Carthage. Au moins en ce qui concerne l'attitude des deux Églises face au problème des lapsi. Ce qui ne veut pas dire que l'autorité de Rome soit reconnue en tous les domaines. Pour Carthage, si la primauté d'honneur de Rome est depuis longtemps reconnue, la primauté de juridiction est contestée à l'occasion. L'affaire du baptême des hérétiques va cristalliser cette tension entre Rome et Carthage.
La question : lorsqu'une personne baptisée dans une secte hérétique demande à entrer dans l'Église catholique, faut-il la re-baptiser, ou reconnaître le baptême donné par un hérétique ? Cyprien répond : le baptême hérétique est nul. Donc il faut re-baptiser. Oui, mais à Rome, comme d'ailleurs à Alexandrie, on réconcilie hérétiques et schismatiques sans les rebaptiser (tandis qu'à Ephèse on rebaptise). On en réfère à Rome. Le pape Etienne revendique sans ménagements la primauté romaine : Rome ne rebaptise pas les hérétiques, et il convient de faire comme Rome, sous peine d'excommunication. Cyprien réagit mal et écrit une lettre contre les aberrations de son "frère" Etienne : au jour du jugement, il en aura lourd sur la conscience s'il persiste dans son erreur.
Nous avons affaire à deux conceptions de l'unité de l'Église : tous veulent l'unité du corps épiscopal en communion avec l'Église de Rome. mais pour Cyprien, les Églises locales sont autonomes, chaque évêque est responsable de l'unité de son Église, en pleine collégialité avec l'ensemble des Églises : une divergence avec Rome est possible sans que cela implique la rupture de communion. Pour Etienne au contraire, les différentes Églises doivent observer la pratique romaine sous peine d'excommunication quand Rome s'est prononcée sur un point important.
Par bonheur (!!) survint alors la persécution de Valérien (juillet 257) : Le pape Etienne est mis à mort. Le péril met fin à la brouille. Les deux Églises retrouvèrent l'union des coeurs, tout en gardant la diversité des pratiques, jusqu'à ce que, au concile d'Arles en 314, sous Constantin, tout le monde revienne à la même discipline.
En août 257, ayant pris connaissance de l'édit de persécution de Valérien, le proconsul d'Afrique convoqua Cyprien. Interrogatoire rondement mené. Cyprien fait une profession de foi sans équivoque, puis il refuse de donner le nom de ses prêtres, en s'appuyant sur la loi romaine qui interdit qu'il y ait des délateurs. Cyprien est alors exilé dans une petite ville au sud du cap Bon. Au bout d'un an, il est rappelé à Carthage par un nouveau proconsul. La persécution s'aggrave et de Rome les nouvelles parviennent, inquiétantes, à Cyprien. Il est nommément désigné. Le 13 septembre 258, il est arrêté à son domicile. Interrogatoire. Refus de Cyprien de sacrifier aux dieux de Rome. Condamnation à mort et exécution le 14 septembre 258.
Origène - un chercheur épris de vérité.
Origène est né en 185 à Alexandrie, dans une famille aisée et chrétienne. Il a reçu une solide éducation, à la fois profane et religieuse. C'est un adolescent quand éclate la persécution de Sévère. Son père en sera victime en 208. A 17 ans, il se trouve responsable de sa mère et de ses jeunes frères. Une femme charitable lui permet de continuer ses études. D'abord professeur de lettres, il est encore très jeune quand l'évêque d'Alexandrie lui demande de prendre la direction de l'école de catéchèse fondée par Clément d'Alexandrie. Il vend tous ses livres profanes et se consacre à l'étude de l'Écriture. Mais il rencontre un nouveau problème : ses auditeurs sont souvent des hommes formés aux études grecques, des philosophes. Pour pouvoir discuter avec eux, il doit approfondir leurs doctrines. C'est pourquoi Origène va confier le catéchisme proprement dit à un de ses disciples pour fonder, lui, un nouveau cycle d'études. S'inspirant des écoles grecques classiques, il jette ainsi les bases de la première Université chrétienne, véritable école de philosophie, la Didascalée, où toutes les sciences humaines seront mises au service d'une plus grande intelligence de la parole de Dieu. Il y enseigne de 212 à 231. La Didascalée est aussi un centre d'éditions. Origène a 7 tachygraphes (les sténo de l'époque) qui se relaient pour écrire sous sa dictée, plus un certain nombre de copistes et des jeunes filles exercées à la calligraphie pour reproduire les exemplaires.
Le renom d'Origène dépasse de beaucoup le cercle des chrétiens d'Alexandrie. Son enseignement rayonne sur l'Orient. Lui-même se déplace fréquemment. C'est au cours d'un voyage en Palestine qu'à 46 ans il est ordonné prêtre à Césarée. Son ordination ne plaît pas à tout le monde : devenu interdit de séjour à Alexandrie, Origène s'établit à Césarée où il trouve toute liberté pour continuer son oeuvre et fonder une nouvelle école à l'image de celle qu'il dirigeait à Alexandrie. Il meurt en 253 ou 254, laissant des milliers de pages : traduction de l'Ancien Testament, commentaires des Écritures, traité sur l'explication du monde, apologies, homélies. Dieu fut sans cesse la "matière" de ses ouvrages. Nous avons conservé, entre autres, des parties des Hexaples,où Origène avait reproduit en six colonnes les traductions grecques de la Bible, le texte hébreu et la translittération de celui-ci en lettres grecques. Prédicateur, il manifeste une connaissance de l'homme, une liberté d'expression, un sens spirituel qui font de ses Homélies des chefs-d'oeuvre. Il est bien dommage qu'il ait interdit à ses "sténos" de reproduire ses homélies jusqu'à l'âge de 60 ans !
Origène, Grec par sa culture : comme tous les Grecs, il a le goût de la connaissance. Il veut tout savoir, tout connaître. Il se met à l'école des philosophes de son temps, platoniciens et- stoïciens. Il veut comprendre. Pour lui, c'est par son intelligence que l'homme tient sa parenté de Dieu. Par l'Écriture qu'il étudie lettre par lettre, il pense pouvoir apercevoir le visage de Dieu en toutes choses et le sens de la destinée humaine. Il s'agit d'aider les chrétiens à répondre à deux grandes séries de questions qu'ils se posent, que tous les hommes se posent. 1 - Comment se fait-il qu'un Dieu "incorporel" ait créé l'homme "corporel" dans un monde matériel ? Et comment pouvons-nous connaître ce Dieu incorporel ? - 2 - Pourquoi un Dieu-Bon a-t-il créé un homme exposé au malheur ?
La réponse à cette deuxième question est bizarre : Origène pense que les âmes ont été créées avant les êtres humains actuels. Au début, tous les êtres sont créés égaux et doués de raison. Mais "rassasiés" de Dieu, ils se sont "refroidis" de leur ferveur primitive et se sont éloignés de Dieu. Sans nous arrêter à cette explication bizarre, retenons surtout que pour Origène, l'important, c'est la liberté humaine. L'homme a été créé selon l'image et à la ressemblance de Dieu. La vie humaine est donc une vie d'apprentissage à la liberté. Et à la fin des temps, tous les êtres pourront être restaurés dans l'état de béatitude dans lequel ils ont été créés. Tout, dans la conception d'Origène, repose sur la bonté de Dieu et sur la valeur de l'intelligence et de la liberté humaine.
Essentielle, cette notion de progression. Aussi bien pour les individus que pour les sociétés. On dirait aujourd'hui "progrès", dans un sens plus large que le simple progrès tel que l'entendent nos contemporains. Origène invite donc les croyants à progresser dans leurs raisons de croire, à passer d'une connaissance imparfaite à une connaissance totale et parfaite, grâce à l'illumination divine. Il ne suffit pas de "croire" : il faut "comprendre", précise-t-il. Cette démarche ne se termine jamais. On n'a jamais fini de s'approcher de Dieu. Même, dit-il, après la mort, nous n sommes pas "fixés" dans un état où serait banni tout progrès. L'aventure spirituelle se poursuit au-delà de la mort.
Pour cela, il y a la démarche humaine. Il y a d'abord, pense Origène, une démarche de Dieu qui s'adapte à l'homme. Dieu "réduit" son éclat pour que nos yeux ne soient pas éblouis. Dieu s'adapte à nos possibilités d'accueillir le Verbe parmi nous. C'est d'ailleurs pourquoi le Christ s'est tu beaucoup plus qu'il n'a parlé et il a peu laissé transparaître son éclat. Le Verbe s'est fait chair pour que nous puissions l'accueillir. Mais à notre tour nous devons le chercher.
Dans sa Création, Dieu est au rendez-vous de l'homme. Mais c'est surtout dans l'Écriture que Dieu est présent. La Parole divine y a pris corps comme elle a pris corps dans l'homme Jésus. Comme le Christ, l'Écriture est un des modes de la présence de Dieu dans le monde. Origène rencontre le Christ dans l'Écriture comme les apôtres le rencontrèrent, vivant au milieu d'eux. Lorsqu'il lit l'Ecriture, son coeur devient tout brûlant, écrit-il, comme le fut celui des disciples d'Emmaüs.
Pas étonnant que les écrits et les homélies d'Origène aient traversé les siècles et soient, aujourd'hui encore, l'objet de recherches et d'études nombreuses.
(A suivre, début décembre)