THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.

12- La paix, enfin !
( décembre 2006)

 

En douze séquences, j'ai essayé, tout au long de cette année, de vous présenter ce que furent l'enfance et la jeunesse du christianisme. Depuis sa naissance en l'an 30 à son accession à la liberté vers 330, il s'est donc passé trois siècles de germination, puis de croissance, au milieu des contradictions, des persécutions, des difficultés de toutes sortes. Parti de Jérusalem, il y eut le difficile combat pour se sortir d'un horizon juif trop particulariste, puis la longue itinérance de milliers d'hommes et de femmes pour porter la bonne nouvelle jusqu'aux limites du monde connu d'alors : tout l'Empire romain, mais aussi une partie du monde oriental. Il y eut les multiples recherches, les querelles entre tendances gnostiques et foi orthodoxe, le rayonnement de plusieurs centre intellectuels, l'ouverture progressive à toutes les classes de la société... et tous ceux qui, délibérément, ont risqué leur vie et connu le martyre plutôt que de renier leur foi en Jésus Christ. "Sanguis martyrum semen christianorum" : le sang des martyrs fut semence de nouveaux chrétiens. C'est ce que pensèrent et vécurent nos pères dans la foi. Avant d'en arriver à ce jour béni où ils purent enfin vivre et exprimer leur foi toute neuve en toute liberté.

L'organisation ecclésiastique.

En cette fin du IIIe siècle, l'Église connaît une période d'expansion. Dans les grandes ville, on est amené à multiplier les circonscriptions territoriales, surtout dans les banlieues. Un prêtre leur est préposé. Le problème des campagne est plus difficile. Des petits groupes de chrétiens peuvent se trouver à grande distance des villes. On trouve alors plusieurs solutions. En Afrique et en Italie, on multiplie les évêchés. Mais la solution la plus générale est d'étendre aux campagnes la solution prise dans les villes et de multiplier les paroisses auxquelles un prêtre est préposé, dans la dépendance de l'évêque de la ville la plus proche. C'est particulièrement ce qui se développera en Gaule. Une certaine hiérarchie des évêchés se développe. D'abord en Égypte. L'évêque d'Alexandrie, par exemple, devient le patriarche du diocèse d'Égypte, qui comprend plusieurs provinces. De même pour l'évêque d'Antioche, puis pour l'évêque de Carthage.

En même temps qu'elle s'étend numériquement, l'Église pénètre des milieux nouveaux.  Et notamment dans les classes dirigeantes. Et cela dès le milieu du IIIe siècle, avant Constantin et donc l'avènement de l'Empire chrétien. Certains chrétiens sont alors déjà gouverneurs de province. Il y a même des chrétiens dans la maison impériale, et jusque dans la famille de l'empereur. Cette participation des chrétiens à des fonctions municipales et autres n'est pas sans poser des problèmes, car les magistrats sont astreints à des actes cultuels. D'où des situations paradoxales ; les forces vives de l'empire sont en grande partie chrétiennes, alors que le culte officiel demeure le culte des divinités païennes. Les fonctionnaires chrétiens s'en tirent comme ils peuvent. Il faudra attendre Constantin pour reconnaître en droit une situation de fait et pour cela dégager l'Empire de ses liens avec le paganisme.

La petite paix de l'Église.

Début du IVe siècle : deux péripéties dramatiques. D'abord la persécution de Dioclétien (303-304). Puis enfin la paix en 313. Surprise, en 303, lorsque l'édit de  persécution est affiché. En effet, il y a plus de 40 ans que l'Église n'a pas été inquiétée par le pouvoir civil. Certes le christianisme reste une religion interdite, mais il existe une reconnaissance de fait. Les communautés chrétiennes s'affichent au grand jour, jouissent paisiblement de leurs propriétés. Elles possèdent des cimetières et des églises, ou du moins des maisons de culte et de prière : à Nicomédie, par exemple, juste en face du palais impérial. On peut donc parler à bon droit de petite paix de l'Église,d'où expansion géographique et sociologique.

Géographiquement, l'expansion s'est faite d'abord vers l'Orient, et notamment vers l'Irak actuel. Cette expansion est bloquée en Iran où la religion officielle le mazdéisme (Zarathoustra) fait condamner tout déviant, à commencer par ceux qui sont devenus chrétiens. Mais c'est surtout vers l'Occident que se fera l'expansion du christianisme. Vers 300, il a pratiquement recouvert  tout l'Empire. Au concile d'Arles en 314, assistent trois évêques de Grande Bretagne. Mais la "couverture" n'est pas la même partout. En Espagne, en 300, au concile d'Elvire, 33 Églises sont représentées, presque toutes en Andalousie. Et en Gaule, seule la  Provence d'aujourd'hui a un début d'évangélisation. De même l'Italie du Nord. Par contre c'est dans le Maghreb qu'il y a la plus forte implantation : vers 257, une assemblée à Carthage regroupe 87 évêques d'Afrique. Passons à l'Égypte, qui connaît le plus fort développement ; plus que la Palestine,c'est la Syrie qui compte, avec Antioche, troisième ville de l'Empire. Enfin, nous avons l'Asie Mineure, (la Turquie actuelle) qui demeure le bastion du christianisme, le pays chrétien par excellence, la région où le nombre de chrétiens parait avoir été le plus fort . La majorité de la population y est chrétienne à la fin du IIIe siècle.

Sociologiquement, les progrès ne sont pas moins remarquables.   Si au début le christianisme est la religion des classes méprisées ou défavorisées (Celse se moque de cette religion de cardeurs de laine, de savetiers, de blanchisseurs), les choses ont maintenant bien changé. Vers 270, Porphyre parle de ces femmes nobles et riches qui, obéissant à l'appel de la perfection évangélique, ont donné tous leurs biens à l'Église ou aux pauvres. En 303, la persécution trouvera le christianisme installé dans le milieu  dirigeant, les magistrats, les gouverneurs de province, et même dans le Palais. On chuchote que la femme et la fille de Dioclétien ont été attirées par le christianisme.

Naturellement, du point de vue spirituel, tout n'est pas bénéfice dans ces progrès. La tranquillité dont jouit l'Église amoindrit la qualité des recrues, à ne considérer que la masse. On constate déjà des infiltrations du paganisme, des compromis, des contaminations. L'Église est obligée de lutter contre la bigamie, l'avortement, l'adultère ; elle met en garde contre des superstition d'origine païenne, les jeux de hasard, l'usure. Elle continue à interdire les mariages mixtes. Le cas des magistrats est plus délicat. De par leurs fonctions, ils doivent participer aux cultes païens. C'est un rude réveil, quand survient la persécution de Dioclétien.

Un État totalitaire.

L'Empire romain a connu au IIIe siècle une crise terrible où il a failli sombrer (235-285). Une crise externe, avec la pesée des invasions sur la frontière Rhin-Danube et l'arrêt de l'expansion à l'Est du Moyen Orient. Une crise interne, avec la guerre civile, l'instabilité du pouvoir et une vaste crise économique, sans parler de l'anarchie qui grandit. Ce sont les empereurs, et en particulier Dioclétien, qui ont sauvé l'Empire. La solution : instaurer un Empire totalitaire au sens le plus moderne du terme. Autorité absolue du souverain, appareil administratif savamment hiérarchisé, bureaucratie envahissante, fiscalité exigeante, économie strictement réglementée. Et en plus, c'est un État policier, où la répression s'exerce contre chacun, dès lors qu'il devient suspect. Prison, torture, la mort dans d'affreux supplices. Et enfin, caractère quasi-divin du prince.

Or, au même moment naît une "nouvelle religiosité" : après des décennies d'incroyance, les gens retrouvent un certain sens du Sacré, un Sacré qui devient l'élément central et dominateur de la conception du monde et de la vie. Dieu n'est plus le Divin, un terme neutre, mais un Dieu personnel, principe de toutes choses. Ce nouvel idéal religieux s'exprime sous des formes nombreuses et rivales, celles des diverses religions orientales importées en Occident, le culte de Mithra en particulier, qui vient d'Iran. Il va se faire une assimilation par équivalence. C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'idéologie impériale : On élève l'empereur-Dieu au-dessus de tout . Sa personne et son pouvoir sont quelque chose de sacré. Il n'est pas tout à fait Jupiter, mais plutôt son fils, de qui il tient son pouvoir sacré. Survient le coup de théâtre du 23 février 303 : les édits de persécution. (voir la séquence 9, de septembre dernier, intitulée "les chrétiens aux lions"). Ce sera un des derniers soubresauts du pouvoir romain persécuteur. Avec Constantin c'est enfin la paix définitive pour les chrétiens.

Constantin.

C'est avec Constantin qu'a lieu la mutation peut-être la plus importante qu'ait connue l'histoire de l'Église, avant celles qui marqueront les temps modernes. Pourquoi Constantin s'est-il converti et a-t-il apporté la liberté à l'Église ? Les hypothèses sont nombreuses, plus nombreuses que les faits historiques précis et assurés.

Pas de doute : Constantin, d'abord païen, d'un paganisme éclairé et tolérant comme son père, s'est converti au christianisme. Sans doute a-t-il attendu la veille de sa mort pour se faire baptiser. Mais c'était un usage relativement courant ; et comme dans le métier d'empereur, on ne reste pas pur comme l'agneau qui vient de naître... !  On sait, par exemple, qu'il fit exécuter son beau-père, trois beaux-frères, son fils aîné et sa femme ! Quand s'est-il converti ? On ne sait pas bien. Il y a l'histoire de la bataille du pont Milvius (28 octobre 312). Le Christ serait apparu à Constantin la veille de la bataille, tenant le labarum, un oriflamme orné de la croix : il promet à Constantin que si ses troupes arborent cet emblème, il gagnera ; "In hoc signo vinces". L'armée arbore le lendemain ce signe sur les boucliers de tous les soldats et remporte la victoire, ce qui est l'origine de la conversion de l'empereur. L'histoire se racontait à la cour impériale six ou huit ans après l'événement.

Quoiqu'il en soit, lorsque Licinius, son collègue, formule le 15 juin 313 un arrêté formulant  en des termes particulièrement bienveillants pour les chrétiens une pleine et entière liberté de culte, la restitution immédiate de tous les biens confisqués, il le fait en se référant expressément à une décision prise en commun avec Constantin au début de l'année, lors de l'entrevue qui les réunissait à Milan à l'occasion du mariage de Licinius avec la demi-soeur de Constantin, Constantia.

Ce qu'on sait, c'est que dès lors Constantin manifeste une sympathie agissante pour le christianisme, notamment en faveur du clergé (distribution d'argent, exemptions fiscales). Cette politique ira en s'accentuant jusqu'à la fin de son règne. En principe, tolérance et liberté des cultes sont la doctrine officielle, mais la balance penche nettement en faveur du christianisme. Les premiers symboles chrétiens apparaissent sur les monnaies dès 315 ; les sentences du tribunal épiscopal sont reconnues valides par l'État. Les lieux de culte se multiplient.  Grâce à la générosité de l'empereur et de sa famille (sa mère sainte Hélène, et ses soeurs sont chrétiennes) se construisent les basiliques du Latran, de Saint Pierre au Vatican, de saint Sébastien, de sainte Agnès, et à Jérusalem, la basilique du Saint Sépulcre. De même, dans sa nouvelle capitale Constantinople (330) il fait édifier plusieurs églises chrétiennes.

Des personnalités chrétiennes accèdent alors aux plus hautes fonctions : le Consulat en 323, la Préfecture de Rome en 325. En même temps apparaissent les premières mesures restrictives contre les pratiques païennes : interdiction des sacrifices privés dès 318, interdiction de la magie et des haruspices au domicile des particuliers. Enfin, Constantin fait élever ses enfants dans le christianisme. Nous voici arrivés dans une phase nouvelle de l'histoire du christianisme : c'est vraiment la Paix de l'Église. Tous les obstacles qui entravaient l'évangélisation sont levés : celle-ci progresse avec une efficacité accrue. Les conversions se multiplient, atteignent les masses, les milieux jusque-là réfractaires. De nouveaux sièges épiscopaux sont fondés. L'activité théologique est intense. Le mouvement ne sera stoppé et renversé que pendant quelques mois, durant le règne de Julien l'Apostat (361-363). Mais ce n'est qu'un épisode sans lendemain. De plus en plus l'Empire tend à devenir un Empire chrétien. Le christianisme devient pratiquement religion d'État. Les hérétiques sont pourchassés (381), le paganisme enfin interdit, les temples fermés ou détruits (391). L'ère de l'Église constantinienne commence. Mais ceci est une autre histoire.

FIN

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