THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.

 

5 -L'invasion gnostique (suite).
(mai 2006)

 :
ACTUALITÉ

11 Avril 2006 : Publication de "L'Évangile de Judas"

17 Mai 2006 : Sortie du film "Da Vinci Code"

 

Lorsque j'ai entrepris de vous expliquer comment la gnose avait envahi et menacé le christianisme naissant, je n'imaginais pas que mon exposé de vulgarisation serait tellement d'actualité. Or voilà que, coup sur coup, deux événements très médiatisés viennent donner un coup de jeune à ce phénomène du gnosticisme chrétien vieux de vingt siècles. D'abord la redécouverte d'un texte qu'on croyait perdu : l'Évangile de Judas. Et ensuite, l'annonce, à grand renfort de publicité, de la sortie d'un film tiré du plus grand succès de librairie des deux dernières années : Da Vinci Code. Le premier est un texte authentiquement gnostique ; le second n'est qu'un roman, certes, mais il est basé sur quantité d'histoires qu'on trouve dans les écrits gnostiques. Ces deux événements d'actualité m'ont donc incité à poursuivre et à approfondir la présentation du gnosticisme que je vous faisais dès la séquence précédente (voir aux archives)

L'Évangile de Judas.

1 - L'histoire.

On connaissait l'existence de ce texte par la critique qu'en a fait saint Irénée, l'évêque de Lyon, au IIe siècle. Mais le texte lui-même avait disparu. Or, dans les années 1970, des paysans égyptiens retrouvent un manuscrit sur un site archéologique. Ils se partagent les feuillets et le vendent clandestinement. Et voilà que ces feuillets réapparaissent en 1983, entre les mains d'un antiquaire suisse. Divers intermédiaires tentent de les vendre à des universités américaines, mais ils en demandent un prix trop élevé. Toutes ces manipulations,faites sans précautions - il s'agit de papyrus assez fragiles - endommagent le Codex relié, qui présente alors une déchirure brutale aux deux tiers de la hauteur des 62 feuillets qui nous sont parvenus, ce qui empêche la lecture sur une bande d'environ 1 à 5 cm. Ce n'est qu'en 2001 que la fondation suisse Maecenas acquiert ce manuscrit dans le but de le faire publier, puis de le rendre à l'Égypte. Elle contacte un spécialiste du copte ancien (la langue dans laquelle est rédigé le manuscrit), le professeur Kasser, de l'Université de Genève. Celui-ci demande une restauration immédiate du codex et sa protection sous plaque de verre avant d'entreprendre son étude et sa traduction. D'après des datations au carbone 14, ce manuscrit a été copié entre 220 et 340 après J.C. Il est écrit en copte. C'est une traduction du texte original écrit en grec vers 170-180, (celui qu'a connu Irénée au IIe siècle). Le professeur Kasser a donc traduit le texte, qui vient de sortir en anglais, avant de paraître bientôt en français. Et dans quelques mois,la publication scientifique du manuscrit avec des photos de chaque page, permettra aux chercheurs du monde entier de se pencher à leur tour sur ce texte, pour le confronter, notamment, avec d'autres textes gnostiques.

En réalité, il semble bien qu'on ait affaire à un extraordinaire coup de commerce. "Si vous avez aimé les Aventuriers de l'Arche perdue, vous apprécierez les Tribulations de l'Évangile de Judas : même scénario, avec juste un peu moins de sang.", écrit Libération (24 avril), qui rapporte un extravagante course-poursuite entre marchands d'art et scientifiques. On y retrouve même Bill Gates, le patron de Microsoft, un instant intéressé. Mais la vedette du jour, c'est Frieda Tchacos-Nussberger, marchande d'art basée à Zurich et dernière propriétaire du codex.  C'est elle qui, renonçant à revendre l'objet, l'a confié à une fondation pour que son contenu soit révélé à l'humanité, avec l'aide de National Geographic : «J'avais une mission. Judas m'avait demandé de faire quelque chose pour lui. Je crois que j'ai été choisie par Judas pour le réhabiliter», a déclaré cette femme formidable. La réalité est hélas plus terre à terre (Libération).

2 - Le texte.

Cet évangile s'intitule «Récit secret de la révélation que Jésus a faite à Judas Iscariote». Jésus rejoint ses disciples en train de préparer la Pâque. Jésus se moque d'eux et explique que célébrer l'Eucharistie est inutile. "Il essaie de les instruire des idées gnostiques, explique le professeur Kasser, mais il voit très bien qu'ils sont trop stupides pour le comprendre. Sauf Judas, que les autres détestent, mais que Jésus affectionne particulièrement." Jésus, à l'issue d'un long dialogue où il initie Judas et interprète ses rêves, lui demande lui-même de le livrer aux autorités, pour être délivré de son corps matériel et retourner vers la lumière. On y lit notamment que le Christ aurait dit à Judas «Tu les dépasseras tous [les autres disciples], car tu sacrifieras  l'homme qui me sert de vêtement. mon enveloppe humaine». Et encore : «Jésus dit à Judas : écarte-toi des autres. Je t'enseignerai les mystères du royaume. Tu pourras l'atteindre, mais pour cela, tu souffriras beaucoup.» Et le récit se termine sobrement sur la rencontre de Judas avec les Juifs qui recherchent Jésus. La lecture du texte présente donc Judas comme le premier des apôtres, l'Initié. «Non seulement un type bien, mais le seul apôtre qui comprend les secrets révélés par Jésus», glose Bart Ehrman, professeur à l'université de Caroline-du-Nord.

Le Pr. Kasser explique que cet Évangile de Judas est typique de toute une littérature gnostique. "L'auteur s'adresse à un public qui connaît les Évangiles, dit-il. Et en même temps, son but est de leur révéler leur "vrai" sens. Les gnostiques ont toujours aimé "retourner" des personnages qui symbolisent le mal ou l'ambiguïté dans la Bible, comme Caïn, le premier criminel, le roi Hérode qui massacra les enfants innocents ou encore Thomas, le disciple incrédule, et ici Judas, le traître perfide. Oui, en quelque sorte, la figure de Judas est réhabilitée dans ce texte, car son rôle négatif trouve une explication positive. Mais il faut dire et redire qu'il s'agit d'une interprétation postérieure, imaginée au IIe siècle de notre ère. Vous ne trouverez ici aucune information historique nouvelle sur le véritable Judas Iscariote."

3 - Evaluation.

Les journalistes qui ont déclaré que la publication de l'Évangile de Judas allait porter un coup sévère à l'Église risquent bien d'en être pour leurs frais. D'abord parce que "vous ne trouverez ici aucune information historique nouvelle sur le véritable Judas Iscariote", comme le déclare ci-dessus le Professeur Kasser. Mais aussi parce que la littérature gnostique est, depuis quelques décennies, de mieux en mieux connue et de plus en plus étudiée. Elle est particulièrement d'un intérêt considérable pour mieux comprendre les débuts du christianisme, qui s'est développé plus ou moins clandestinement dans l'empire romain. La gnose, en effet, est un des forts courants à partir de la deuxième moitié du IIe siècle, ,je vous l'expliquais le mois dernier. Faut-il vous en rappeler les fondements ? Essentiellement, l'importance de la connaissance (gnose). On est sauvé lorsqu'on accède à la connaissance du vrai Dieu, bien différent du Dieu de la Bible, Jahvé, le dieu inférieur, incapable et pervers, créateur de ce monde mauvais dans la matière duquel on est plongé, avant de pouvoir en être libéré et accéder au monde divin. Ma personne n'est qu'un simple vêtement recouvrant l'être divin que je suis. Ma chair matérielle est méprisable par rapport à mon esprit qui est ma véritable nature. Il ne faudrait donc pas s'imaginer que Jésus, qui s'exprimait évidemment en Juif palestinien rural du 1er siècle ait réellement employé avec Judas la langue sophistiquée des grecs égyptiens du 2e ou 3e siècle ! Le style particulier de cet Évangile, comme de celui des nombreux écrits gnostiques est particulièrement daté.

Pourquoi ces textes se sont-ils perdus, alors que ceux du Nouveau Testament nous sont facilement parvenus ? Ne croyez pas, comme on l'écrit trop souvent, que c'est l'Église officielle qui a décidé de les supprimer. Il n'y avait pas, à cette époque, d'autorité centrale ayant le pouvoir de le faire. Saint Irénée, d'ailleurs, semble le regretter. Non. Les différentes tendances chrétiennes transmettaient leurs écrits bien librement à leurs adeptes. Autant qu'on puisse le savoir, "le combat cessa faute de combattants", c'est-à-dire que ces petits groupes, trop élitistes peut-être, ont progressivement dépéri. Les textes qui en émanaient, parce qu'ils n'étaient pas utilisés dans un culte public, devenaient pratiquement inutiles. Plus personne ne prit la peine de les copier. Sauf quelques petits groupes confidentiels. Peut-être parce que leur culte du secret en a fait des petits groupes trop fermés ? Ce n'est qu'une hypothèse. Mais cherchons plutôt à comprendre la critique que saint Irénée en fait.

C'est vers 180-185 qu'Irénée rédige "La pseudo-gnose démasquée et réfutée"; un ouvrage en cinq livres, dont on n'a que des traductions latine et arménienne (l'original était en grec). On l'appelle traditionnellement "Adversus haereses" (contre les hérétiques). C'est par ce livre qu'on connaît une grande partie des textes gnostiques. Irénée les cite scrupuleusement (on a pu comparer avec les textes retrouvés en 1945 à Nag Hammadi). Donc, c'est grâce à Irénée  qu'on possède de précieuses informations sur les différents systèmes gnostiques. Pour Irénée, présenter les textes avec exactitude, c'est déjà les réfuter à demi, car ils montrent qu'ils sont contraires au bon sens et à la raison. Mais l'évêque de Lyon va plus loin. Il va donc opposer la tradition qui nous vient des apôtres aux écrits gnostiques : ceux-ci prétendent venir de traditions secrètes qui remonteraient aux apôtres ; ces traditions, interprétation des Écritures, auraient été transmises secrètement par les Apôtres aux parfaits, alors que la tradition chrétienne apostolique n'a rien de secret : elle est conservée au grand jour dans les différentes Églises, grâce à la succession légitime des évêques que les Apôtres ont choisis eux-mêmes pour enseigner à leur place. Ainsi Irénée est disciple de Polycarpe, qui lui-même est disciple de l'apôtre Jean "qui a vu le Seigneur". Rien de secret dans tout cela. Ainsi conservée, cette tradition est partout la même, dans toutes les Églises chrétiennes. « La règle de vérité, c'est qu'il y a un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses, et qui est le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ » et  « La règle de vérité, c'est qu'il y a un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses et qui, en lui, accorde aussi le salut aux hommes » Cette règle de vérité s'oppose point par point aux doctrines gnostiques qui distinguent deux Dieux, un Dieu créateur et un Dieu rédempteur, un Dieu supérieur et bon à un Dieu inférieur, incapable et pervers.

Ces textes gnostiques n'en conservent pas moins, pour l'historien, une certaine importance. En volume d'abord : les écrits du Nouveau Testament ne représentent qu'un dixième de la production chrétienne des premiers siècles. Il y a donc un foisonnement et une diversité remarquable dans les écrits de la communauté primitive. D'autre part, il y a les textes que nous possédons, et ceux qui ont disparu. On ne connaît que leurs titres : l'Évangile selon les Hébreux, celui des Nazaréens ou des Ébionites  Leur disparition raconte comment les chrétiens d'origine juive ont été balayés dans la tragédie qui a chassé les Juifs de la Palestine : faute de lecteurs, ces livres ont cessé de vivre. Et puis, il y a toute la littérature populaire, pleine de merveilleux. Photius, au IXe siècle, déclarait avec mépris que cette littérature était "enfantillages, histoires incroyables,inventions mauvaises, mensonges, sottises, contradictions, impiétés, atteinte à la divinité." Daniel Marguerat, lui, écrit qu'elle est "le lieu du meilleur et du pire. Les écrits apocryphes témoignent d'un temps où déjà être chrétien ne va pas de soi. Le besoin de redire le vieux message en des termes neufs a déclenché une intense créativité."

 Da Vinci Code.

Le roman n'est qu'un sous-produit. Et donc, de même, le film qui en est tiré et qui sera présenté en ouverture du Festival de Cannes, le 17 mai prochain. Mais sans risque de se tromper, on peut pronostiquer que le film, aussi bien que le roman, va être source de profits considérables.

Je parle de sous-produit, sans intention malveillante. Lorsque j'ai lu le roman,il y aura bientôt trois ans, j'ai été séduit. Il s'agit d'un beau travail de fiction à partir d'une hypothèse imaginaire. Et l'hypothèse a en partie sa source dans des textes gnostiques. C'est pourquoi j'en parle ici. Nous allons donc remonter du sous-produit au produit lui-même.

Da Vinci Code : Un sous-produit.

Le livre se présente comme un roman à lire pour se détendre. C'est un immense jeu de piste, comme tous les bons romans policiers. Les discussions des deux héros nous introduisent dans quelques points-clés de la tradition ésotérique. Si vous lisez le livre, vous avez l'impression d'entrer dans le monde du secret. Un secret bien gardé, notamment par l'Église catholique et ses sbires. Car l'auteur mêle avec habileté ce qui est historique et ce qui est fiction, ce qui est réel et ce qui est imaginaire. Résumons. Rennes-le Château (Aude) a eu au XIXe siècle, un curé, l'abbé Saunière, qui a accumulé une fortune provenant de dons. A sa mort la rumeur publique a fait courir le bruit que c'est grâce à un secret qu'il a découvert. Rennes-le-Château a été une citadelle wisigothique. C'est là qu'aurait abouti le trésor des Templiers (le trésor du Temple de Jérusalem, pillé par Titus en 70, emporté à Rome, récupéré par Alaric, et caché à Rennes-le-Château.) L'idée est venue qu'il y avait non seulement de l'or, mais des manuscrits (redécouverts par l'abbé Saunière) contenant LE secret le mieux gardé de toute l'histoire de la chrétienté : Jésus n'est pas mort sur la croix, mais il a épousé Marie-Madeleine ; de ce mariage serait née une fille, laquelle serait l'ancêtre des rois mérovingiens. La découverte de ce secret aurait fait la fortune de l'abbé Saunière. Telle est la base de l'intrigue. L'héroïne du roman, jeune, pure, belle, intelligente parviendra à résoudre l'ensemble de l'énigme et à déjouer tous les pièges mortels que les forces du mal, commanditées par l'Église ( à commencer par l'Opus Dei) sèmeront sous ses pas. Happy End. Au fait, n'êtes-vous pas vous aussi descendant de Jésus et de Marie Madeleine ?

Qu'en est-il des amours de Jésus et de Marie Madeleine ?

Marie de Magdala (en latin Magdalena = Madeleine) est l'une des trois Marie dont parlent les évangiles. Elle fait partie du groupe de femmes qui suivaient Jésus. Elle sera fidèle jusqu'au bout. Elle est au pied de la Croix ; et c'est à elle, la première, que Jésus ressuscité apparaît au matin de Pâques. Elle est donc la première annonciatrice de la Résurrection. Voilà ce que nous rapportent, sans beaucoup d'autres détails, les Évangiles. Il y a là de quoi exciter la curiosité. D'autant plus que le seul détail concernant ses relations avec Jésus est cette parole du Ressuscité : "Ne me touche pas", qu'il lui adresse quand elle le reconnaît à sa voix et à son appel (Jean 20, 17). Les évangiles apocryphes (du grec apokruphos = caché, secret) gnostiques, en quelques endroits, nous donnent quelques indications :

* Évangile de Thomas : « Simon Pierre leur dit : Que Marie sorte du milieu de nous car les femmes ne sont pas dignes de la Vie. Jésus dit : Voici que je la guiderai afin de la faire mâle, pour qu’elle devienne, elle aussi, un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le royaume des cieux. »

* Évangile de Philippe : "Et la compagne du fils est Marie Madeleine. Le Seigneur l'aimait plus que tous les disciples et il l'embrassait souvent sur la bouche. Les disciples le voyaient et ils lui dirent : Pourquoi l'aimes-tu plus que nous tous ? Le sauveur répondit et leur dit : Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu'elle ? Un aveugle et quelqu'un qui voit, quand ils sont tous deux dans l'obscurité ne se distinguent pas l'un de l'autre. Si la lumière vient, alors celui qui voit verra la lumière alors que celui qui est aveugle demeurera dans l'obscurité."

Il y a des textes plus bizarres, qui virent même à l'obscène. Jésus lui-même est présenté comme  saint, parce que son corps est spirituel et ne peut pécher ; unifié parce que maître de sa puissance séminale. Les Questions de Marie (autre texte gnostique) racontent que, parti avec Marie-Madeleine vers le lieu des révélations, Jésus entre en prière, et c'est alors que sous les yeux ahuris de celle-ci sort du corps même de Jésus une femme ; Jésus fait aussitôt l'amour avec cette femme sortie de lui, mais interrompt le coït pour recueillir le sperme et le présenter comme offrande. Puis Jésus réconforte Marie-Madeleine abasourdie et lui déclare pour la « réveiller » : « Il faut faire ainsi pour avoir la vie. »

Mises au point.

Alors que l'auteur de Da Vinci Code affirme en première page que "toutes les descriptions des documents de ce roman sont exactes.", on relève quantité d'affirmations fausses : elles vont nous permettre, par quelques rectificatifs, de faire les mises au point nécessaires concernant les écrits gnostiques.

1 - Les évangiles canoniques ne seraient pas les évangiles les plus anciens. Les évangiles gnostiques (Évangile de Philippe ou de Marie), supprimés par l'Église, seraient plus authentiques.

Or, de l'avis des spécialistes, il n'existe aucune preuve permettant d'affirmer que ces textes gnostiques ont été écrits avant la fin du IIe siècle. Par contre, pour nos évangiles canoniques, aucun savant ne les place après le début du IIe siècle. On possède un fragment du plus récent des quatre évangiles, celui de Jean (extrait du chapitre 18) et ce fragment date de l'an 125. Le Gnosticisme est venu plus tard  et il s'appuie justement sur les évangiles canoniques ! Plus frappant encore est le fait que les textes gnostiques tentent de "dé-judaïser" l'histoire du Nouveau Testament. Il révèle une croyance sur le monde matériel (présenté comme impur) qui contredit tout l'Ancien et le Nouveau Testament qui affirment la valeur de la création de Dieu, de l'univers matériel, de la masculinité et de la féminité, et des relations sexuelles entre un homme et sa femme. Le gnosticisme, par contre, ne qualifie de bon que le spirituel et considère la matière comme irrémédiablement mauvaise. La communauté de Nag Hammadi qui a inventé les évangiles gnostiques était en marge de la chrétienté et vivait dans un certain ascétisme, comme l'attestent leurs documents.

2 - L'empereur Constantin était un méchant qui aurait fait détruire les évangiles les plus anciens (les Gnostiques) et aurait imposé à l'Église les évangiles canoniques ainsi que la doctrine de la divinité de Christ.

En fait, bien avant les jours de Constantin et bien avant l'existence des évangiles gnostiques, les 4 évangiles canoniques étaient en circulation dans les églises comme sources d'autorité. Cela remonte au moins à 125 de notre ère puisque Irénée les mentionne; le fragment de Muratori (la plus ancienne liste des livres canoniques, datant du IIe ou IIIe siècle) contient les 4 évangiles. Au second siècle encore, l'hérétique Marcion regardait l'Évangile selon Luc comme le seul valable sur l'historicité de Jésus. Il est faux de dire que les évangiles gnostiques ont été supprimés au moment de la désignation du canon. Ils ne furent jamais reconnus comme authentiques, ni par l'Église d'Orient ni par celle d'Occident. La mise à l'écart n'est pas la même chose que la destruction.

3 - Les Manuscrits de la Mer Morte avec les textes gnostiques trouvés à Nag Hammadi forment les textes les plus anciens du Christianisme.

Cette affirmation est une grosse bourde qu'un étudiant en première année du Nouveau Testament repérerait tout de suite. Les manuscrits de la mer Morte sont des écrits exclusivement juifs. Il n'y a rien de chrétien chez eux. Il n'existe également aucune évidence que les écrits de Nag Hammadi soient plus récents que la fin du IIe siècle après Jésus-Christ.

4 -  L'Église a effacé le fait que Jésus ait été marié et ait eu des enfants à cause de ses tendances ascétiques et de la supposition qu'une personne divine ne pourrait pratiquer de telles choses.

Nous arrivons maintenant à la base des théories de Dan Brown. Lors d'un chapitre capital du livre, il affirme que l'Église a du supprimer l'idée que Jésus puisse être marié parce que "un enfant de Jésus saperait la divinité de Christ et toute l'église avec." Il semble suggérer que si Jésus avait eu une femme et des enfants, il se serait souillé, ou bien qu'en tant qu'être divin il ne pouvait accomplir des actes purement humains. Ce n'est pas ce que les credos suggèrent, puisqu'ils défendent l'idée que Jésus était pleinement Dieu et pleinement homme à la fois. Jésus n'a jamais enseigné que la relation sexuelle souillait. Au contraire, il a rappelé qu'elle unit deux êtres en une seule chair. On ne voit pas pourquoi les auteurs juifs des Évangiles auraient supprimé le fait que Jésus soit marié. Cela n'aurait pas, à leurs yeux, annulé sa divinité. Après tout, c'est Dieu qui a créé la sexualité au commencement. C'est bien plus tard (IIe et IIIe siècles) que la piété ascétique (chrétienne et gnostique) a eu des problèmes avec ces choses.


Récapitulons

Pour conclure ces deux séquences consacrées au gnosticisme, je voudrais faire quelques remarques, en vrac, consacrées à ce phénomène.

* On ne connaît pas toute l'histoire de la gnose chrétienne, même si la recherche a fait de grands progrès depuis une soixantaine d'années, grâce aux découvertes de manuscrits coptes. Il semble bien que le phénomène a connu une intense prospérité dans l'antiquité chrétienne des IIe-IIIe-IVe siècles de notre ère. Notamment en Égypte, grâce aux Coptes qui furent longtemps des Églises chrétiennes légèrement en marge. Le gnosticisme a donc influencé de nombreuses communautés chrétiennes. Mais dès le début il a été combattu par les premiers théologiens chrétiens. Je vous ai parlé d'Irénée de Lyon. On trouvera plus tard, dans notre recherche, d'autres Pères de l'Église qui furent de fervents contestataires de ces courants gnostiques. Mais à aucun moment ni le pouvoir officiel civil, ni l'autorité religieuse romaine ne sont intervenus pour faire cesser ces déviations.

* Le IIe siècle est l'époque où la culture juive se trouve affrontée à la culture grecque. Deux manières de penser totalement différentes. Il n'est donc pas étonnant de trouver, à cette époque, dans les communautés chrétiennes où se mélangent - sans toujours se comprendre - des chrétiens d'origine juive et des chrétiens d'origine grecque, des manières opposées de présenter la foi originelle. Il y a le message primitif, celui des Évangiles - et des essais de présentation adaptés à d'autres mentalités. Influencés, en particulier, par le dualisme grec, pour qui l'esprit (l'âme) est comme prisonnier de la matière (le corps), les écrits gnostiques vont facilement récuser tout l'héritage de la pensée juive. Pour un Juif du temps de Jésus, la personne humaine est une, corps et âme, et non un composé. Cette confrontation de deux cultures sera d'ailleurs un bienfait pour la pensée chrétienne orthodoxe, qui sera amenée à préciser qui est ce Jésus, Christ, fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, face à toutes les annonces plus ou moins fantaisistes des écrits gnostiques.

* Ainsi, lorsqu'on déclare Jésus "vrai Dieu et vrai homme", il faut aller jusqu'au bout des conséquences de cette affirmation. Les gnostiques parlent de Jésus qui se serait marié ? Alors, réfléchissons. Si Jésus est "vrai homme", il est un homme sexué. Il parle, il pense, il se situe comme un être humain de sexe masculin. Sa pensée, ses actes et ses relations sont sexuées? Oui, certes. Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont sexuelles. Évidemment, à notre époque, la distinction peut paraître légèrement spécieuse. Et pourtant, c'est la réalité. Jésus a eu, avec Marie de Magdala comme avec d'autres femmes, une relation sexuée. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ont eu des relation sexuelles. Lorsque l'évangile nous parle, à de nombreuses reprises, du "disciples que Jésus aimait", cela ne veut pas dire que Jésus était homosexuel ! Attention à ne jamais transposer en concepts contemporains des manières de penser d'une autre époque. Et, de même, en notre siècle de féminisme militant, ne faut-il pas faire de Marie de Magdala la première des chrétiens.

* Nous vivons à une époque de soupçon, où chacun a tendance à remettre en question toutes les croyances les mieux établies, et toutes les institutions les plus anciennes. L'étude superficielle du gnosticisme chrétien tombe à pic pour alimenter nos soupçons. Par contre, une étude un peu plus sérieuse va nous permettre, non seulement d'y découvrir "fables et billevesées", mais de fortifier rationnellement les fondements de notre foi chrétienne.  Si vous êtes curieux, faites comme moi : cherchez. Mes sources pour ces deux séquences : quelques bouquins retrouvés dans ma bibliothèque : Daniélou, Henri Marrou, des chapitres des histoires de l'Église que j'y ai retrouvés. Et aussi, dans Google, le fourre-tout universel et de plus en plus indispensable pour satisfaire ma curiosité. Si vous trouvez des précisions ou des informations contradictoires, faites-le moi savoir. Bon mois de mai.

 

(A suivre, début juin)

Retour au sommaire