THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.

 

6 – Les Pères apostoliques.
( Juin 2006 )

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Au Ier et IIe siècle, les adeptes de la foi chrétienne commencent à se répandre dans tout l’Empire romain. Ils sont présents à Rome, à Alexandrie, à Antioche. Quelques  « intellectuels » commencent à développer la doctrine nouvelle, celle des Évangiles et des  autres écrits du Nouveau Testament.  Certains ont laissé leurs noms, d’autres nous sont inconnus. On les appelle les Pères apostoliques. Ils écrivent entre 90 et 150.  

 

On place sous cette appellation de Pères apostoliques un groupe de 9 ouvrages, tous rédigés en grec. Dans l’ordre :

·        La Didachè ou Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze apôtres : c’est une œuvre attribuée de manière fictive aux apôtres.

·        L’Epitre de Clément de Rome aux Corinthiens.

·        L’Epitre de Barnabé

·        Une homélie du IIe siècle appelée Deuxième épître de Clément de Rome aux Corinthiens.

·        Les Lettres d’Ignace d’Antioche.

·        La Lettre aux Philippiens de Polycarpe de Smyrne.

·        Une lettre de l’Église de Smyrne relatant le martyre de Polycarpe.

·        Des fragments des Explications des paroles du Seigneur de Papias

·        Enfin, le Pasteur d’Hermas.

C’est au XVIIe siècle qu’on a fait ce classement. Mais en réalité, à côté des textes que je viens d’énumérer, il y a eu bien d’autres écrits, Livres apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament dus à des chrétiens, des textes liturgiques et d’autres écrits qui annoncent la gnose dont je vous ai parlé en avril et en mai.

Les Ier et IIe siècles témoignent d’une grande vitalité. Les chrétiens commencent à se répandre dans l’Empire. Non seulement dans les grandes villes, mais dans diverses régions, de l’Irak actuel à la Gaule, de la Syrie à l’Afrique du Nord . Tous les apôtres ont disparu. Après le temps des fondations, il s’agit de construire, et d’abord de sélectionner parmi les Écrits les textes qui constitueront le « Canon des Écritures » sur lesquels reposera la foi chrétienne. Les communautés sont diverses, pratiquement indépendantes les unes des autres. Elles ont leurs traditions propres, leur organisation hiérarchique particulière, leurs liturgies diverses. Elles font confiance à l’Esprit pour les guider. Mais voilà que des questions nouvelles se posent, alors qu’il n’y a ni doctrine, ni morale, ni mode de vie communs. Tout cela ne sera élaboré que beaucoup plus tard, lors des grands conciles. Pour l’instant, il y a entre les communautés des dissensions importantes, y compris d’ordre doctrinal – concernant l’humanité et la divinité du Christ, ou la résurrection de la chair – et d’ordre disciplinaire – par exemple en ce qui concerne la pratique des commandements juifs, ou la façon de faire pénitence.. C’est dans ce contexte que nous allons regarder d’un peu plus près certains de ces textes. Vous verrez qu’à côté de questions bien dépassées, d’autres sont aujourd’hui encore d’actualité.

LA DIDACHE

Le mot signifie « enseignement ». C’est un texte assez bref, écrit vers 95 à Antioche en Syrie ou dans les environs, la Syrie jouant alors un rôle très important dans la diffusion du christianisme. Comme déjà au temps de Paul, les communautés d’Antioche sont composées de chrétiens d’origine juive et d’autres d’origine païenne. Vers 95, il n’y a pas encore de structure hiérarchique – cela viendra avec Ignace d’Antioche – mais une organisation où figurent des prophètes itinérants.

La première partie de la Didachè reprend l’image des « deux voies » : c’est un procédé littéraire qu’on trouve déjà dans la Bible. L’auteur est donc sans doute d’origine juive. En voici un extrait :

 

« Il y a deux voies, l’une de la vie, l’autre de la mort ; mais la différence est grande entre ces deux voies.

Or la voie de la vie est la suivante : « d’abord tu aimeras Dieu qui t’a fait ; en second lieu ton prochain comme toi-même, et tout ce que tu ne voudras pas qu’il t’advienne, toi non plus, ne le fais pas à autrui. »

Mais la voie de la mort est celle-ci : avant tout elle est mauvaise et pleine de malédiction : Meurtres, adultères, convoitises, débauches, vols, idolâtrie… propos obscènes, insolence, fanfaronnade, ennemis de la vérité, amis du mensonge.. 

 

Nous trouvons ensuite deux très beaux textes concernant des prescriptions liturgiques. Le premier parle du baptême (à l’époque, baptêmes d’adultes, par immersion) : il faut baptiser « dans de l’eau vive, et s’il n’y a pas d’eau vive qu’on baptise dans une autre eau ; et à défaut d’eau froide, dans de l’eau chaude ; et si tu n’as ni de l’une ni de l’autre, verse de l’eau sur la tête trois fois au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Et qu’avant le baptême, jeûnent celui qui baptise, le baptisé et d’autres personnes qui le pourraient. »

Et voici le texte très ancien concernant l’Eucharistie :

 

Pour ce qui est de l’Eucharistie, rendez grâces ainsi :
D’abord sur le calice :
Nous te rendons grâces, notre Père,
Pour la sainte vigne de David ton serviteur,
que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur.
- A toi la gloire pour les siècles.
Puis, sur le pain rompu :
Nous te rendons grâces, notre Père
pour la vie et la connaissance
que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur.
Comme ce pain rompu, d’abord dispersé sur les montagnes
a été recueilli pour devenir un,
Qu’ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre
dans ton royaume
Car a toi appartiennent la gloire et la puissance par Jésus Christ
pour les siècles.
Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur ; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit :
« Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. »

 

L’EPITRE DE BARNABÉ

Cette lettre date du IIe siècle. On l’a attribuée à Barnabé, le compagnon de saint Paul, par une pure fiction littéraire. En fait, on en ignore l’auteur. Par contre le problème principal qu’elle est amenée à traiter est bien réel : que faire des textes de l’Ancien Testament ? Ils contiennent quantité de prescriptions religieuses ou culturelles qui n’ont plus lieu d’être dans la jeune Église. Alors, faut-il laisser tomber l’Ancien Testament ?

A Rome, au IIe siècle, un nommé Marcion a tranché la question : on laisse tomber non seulement l’Ancien Testament avec toutes ses prescriptions, mais également ce qui, dans le Nouveau Testament, rappelle le Dieu de la loi de Moïse. Marcion sera excommunié en 144, mais il organisera sa propre Église.

Autre réponse : on acceptera ces Écritures saintes, mais on leur appliquera le principe de lecture chrétien, en leur donnant une interprétation allégorique. Donc, pas de lecture littérale, fondamentaliste. Le texte doit être lu  à la lumière du Christ qui en donne une intelligence spirituelle. Voilà l’orientation qu’indique la Lettre de Barnabé et qui sera suivie par les Pères de l’Église.

Ainsi, notre épître montre que la véritable alliance n’est pas celle que Dieu a faite avec le peuple hébreu.

 

« Ne ressemblez pas à certaines personnes, n’accumulez pas les fautes en disant que l’Alliance est aux Juifs comme à nous. Elle est à nous assurément. Mais eux l’ont perdue définitivement, lors même que Moïse venait de la recevoir. L’Écriture dit en effet que Moïse demeura sur la montagne quarante jours et quarante nuits sans manger et sans boire et il reçut du Seigneur l’Alliance : les Tables de pierre écrites du doigt de la main du Seigneur. Mais pour s’être tournés vers les idoles, ils ont réduit à néant cette alliance. Voici en effet ce que dit le Seigneur : « Moïse, Moïse, descends vite, car ton peuple a péché, ce peuple que tu as fait sortir d’Égypte. » Moïse comprit et jeta les deux Tables de ses mains et leur alliance se brisa afin que celle du bien-aimé Jésus fût scellée dans notre cœur par l’espérance de notre foi en lui. »

 

Ce type d’interprétation spirituelle des textes de l’Ancien Testament donne lieu parfois à des interprétations passablement farfelues. Un simple exemple, au milieu de l’interprétation des interdits alimentaires qu’on trouve dans la Torah :

 

Moïse dit : « tu ne mangeras pas non plus de lièvre. Pourquoi ? Cela veut dire : tu ne seras pas corrupteur d’enfants et tu n’imiteras pas les gens de cette sort ; car le lièvre acquiert chaque année un anus de plus : autant il a d’années, autant il a d’ouvertures.  ( ! ! )

 

IGNACE D’ANTIOCHE

C’est sans doute vers la fin du règne de Trajan (98-117) qu’Ignace est arrêté lors d’une persécution contre les chrétiens à Antioche. Au sein d’un convoi de prisonniers  sous escorte, il entreprend un long voyage qui, par terre et par mer, le conduira à Rome où il sera livré aux bêtes. Il passe de Syrie en Cilicie, traverse toute la Turquie actuelle, la mer Égée, parvient à Philippes, parcourt peut-être la Macédoine avant d’atteindre Durazzo où il embarque pour l’Italie. Tout au long de ce périple, Ignace peut s’arrêter dans les villes, rencontrer les communautés chrétiennes, en particulier celle de Smyrne où réside l’évêque Polycarpe.

Dans le nombreux courrier qui lui est attribué, seules sept lettres sont aujourd’hui considérées comme authentiques. Elles révèlent un homme conscient de ses responsabilités d’évêque. Il insiste notamment sur l’humanité du Christ : il a réellement souffert dans sa chair. Nombreux sont alors ceux qui ne voient dans le Christ qu’une apparence d’homme, dispensé de souffrance et de mort. Aussi Ignace met les points sur les i : Jésus n’a pas fait semblant. Il a souffert, il est réellement mort, et il est réellement ressuscité, corps et âme. Les disciples qui en furent témoins, qui l’avaient touché, ont préféré mourir plutôt que de dire le contraire.

Nous sommes au début du IIe siècle. Le temps des apôtres itinérants qui allaient de communauté en communauté est fini. Une structure hiérarchique se dessine : un évêque responsable entouré d’un collège d’anciens, appelé presbyterium, et des diacres. Ignace prêche l’harmonie qui doit régner dans la communauté :

 

«  Votre presbyterium est accordé à l’évêque comme les cordes à la cithare ; ainsi, dans l’accord de vos sentiments et l’harmonie de votre charité, vous chantez Jésus Christ. Que chacun de vous aussi, vous deveniez un chœur, afin que, dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix par Jésus Christ un hymne au Père. »

 

Ignace insiste sur cet accord entre membres de l’Église. Il félicite la communauté de Magnésie car elle possède un évêque jeune et elle le respecte, malgré sa jeunesse, et lui obéit.

Enfin Ignace arrive à Rome. Et là il écrit aux chrétiens de cette ville : c’est un très beau texte et l’un des plus anciens témoignages d’une mystique du martyre.

 

C’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous ne m’en empêchez pas. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne.
Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes, sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire  à un détachement de soldats. Quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires… Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu’elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu’elles me dévorent promptement. Et si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai… Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu, seulement , que je trouve Jésus  Christ.

 

Ignace d’Antioche a été livré aux bêtes, dans l’arène, à Rome, en 117.

LE PASTEUR D’HERMAS

Écrit vers 150 par le frère du pape Pie Ier à Rome, le Pasteur d’Hermas allie plusieurs genres littéraires. Il est constitué de 5 visions, de 12 préceptes et de 10 paraboles. Les 4 premières visions, de style apocalyptique, sont placées sous le signe d’une femme qui interprète ces visions ; la 5e est placée sous le signe d’un pasteur – d’où le titre du livre.

Il s’agit essentiellement d’un livre de morale à l’usage des chrétiens dans le monde. C’est un texte étrange, qui mêle des sources juives de sagesse et des apocalypses avec des sources bucoliques païennes qui mettent en scène des bergers, des jeunes filles et des troupeaux.

Le début du texte est une sorte d’autobiographie : celle d’un esclave nommé Hermas, qui fut vendu à Rome. Cette histoire de l’esclave devenu visionnaire est destinée à susciter l’intérêt du lecteur :

 

« Mon maître m’avait vendu à, une certaine Rhodè à Rome. Bien des années après, je la revis et me mis à l’aimer comme une sœur. Quelque temps après, je la vis se baignant dans le Tibre. Je lui tendis la main et la sortis du fleuve. Voyant sa beauté, je réfléchissais, me disant en mon cœur : je serais bien heureux si j’avais une femme de cette beauté et de ce caractère…

 Hermas s’endort ; il a une vision. Lui apparaît Rhodè qui est sa dénonciatrice au ciel : elle l’accuse de l’avoir désirée, car désirer est aussi grave que posséder. Hermas a beau se défendre : il s’avère qu’il est coupable et doit se repentir. Dans sa deuxième vision, il aperçoit une autre femme qui n’est autre que… l’Église, qui confirme le jugement de la précédente. Troisième vision : une tour en construction. La femme lui explique le rôle des différentes pierres. Cela donne lieu à une réflexion sur l‘Église, le baptême et la pénitence.

Autre réflexion – un long développement – sur la situation des justes et des pécheurs dans le monde. Extérieurement, la différence ne se remarque pas, pas plus qu’entre les arbres au cœur de l’hiver. Et pourtant, la différence est grande, mais elle ne se remarquera que « dans ce monde qui arrive ». Conclusion : « Toi donc, porte des fruits en toi-même, afin qu’en cet été-là ton fruit soit connu. »

(A suivre, début juillet)

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