THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.

 

8 – Coupables ? Non coupables ?
(août 2006).

Et voici deux procès qui n'en finissent pas. Celui des chrétiens par les païens, celui des païens par les chrétiens. Ils ont commencé au tout début du christianisme. Nous y avons déjà fait allusion. Dans la première phase du débat, les chrétiens sont accusés. C'est ce qui nous occupera ce mois-ci. Ils risquent leur vie. Ils sont coupables, donc condamnables. Mais il s'agit  d'abord d'un débat d'idées. L'idéologie chrétienne fait peur aux braves païens : ils ont peur de voir tout basculer. Nous allons donc assister à une contestation radicale. Grâce aux documents d'époque, nous pouvons donner la parole aux deux parties. Il s'agit de véritables discours polémiques, terriblement engagés. Avec toute la fougue méditerranéenne, des schématisations un peu rapides, des slogans, pour ou contre. C'est toujours la même chose que les païens reprochent aux chrétiens. C'est toujours la même chose que les chrétiens répliquent aux chrétiens.

 

Coupables

1 -Votre nom vous condamne

2 -Vous êtes des hors-la-loi

3 -Vos "mystères" cachent des horreurs

4 -Vous êtes de mauvais citoyens
 

5 -Vous êtes des ignorants superstitieux

 

Non coupables

1 -Notre nom ne suffit pas à nous condamner

2 -Seuls nos actes nous jugent

3 -Vos accusations sont un tissu de calomnies

4 -Nous sommes des citoyens plus conséquents que vous

5 -La vraie philosophie, c'est le christianisme.

 

1 A - Votre nom seul vous condamne déjà.

* Suétone (en 64) parle d'une "superstition nouvelle et maléfique" professée par des gens qu'on appelle "chrétiens". Il ajoute que Néron a pris des mesures contre ce désordre. Entre la réglementation des denrées servies dans les cabarets et la réglementation des abus des conducteurs de chars, il y a la lutte contre cette superstition .

* Tacite : "Réprimée sur le moment, cette funeste superstition perçait de nouveau, non pas seulement en Judée, mais encore dans Rome où tout ce qu'il y a d'affreux ou de honteux dans le monde afflue et trouve une nombreuse clientèle."

(Ni Tacite ni Suétone ne précisent les crimes des chrétiens. Le nom seul de chrétien suffit à les faire soupçonner d'être capables de tout.)

* Pline le Jeune (en 115) écrit à Trajan : "Je me demande si l'on punit seulement le nom de chrétien, en l'absence de crime, ou si l'on punit les crimes qu'implique ce nom."  Trajan lui répond : pas de dénonciations anonymes. Mais il faut condamner toutes les personnes convaincues de donner dans cette superstition et qui n'acceptent pas de la renier en sacrifiant aux dieux. Donc il suffit de s'affirmer chrétien pour être condamné.

* Hadrien à Minucius Fundanus, proconsul d'Asie, en 125 : "Celui qui porte le nom de chrétien est un criminel. Par contre la calomnie ne peut être acceptée et doit être sévèrement condamnée."

1 B - Réponse : Notre nom ne suffit pas à nous condamner

Justin (150) - Tertullien (197) - Athénagore (177) - Théophile d'Antioche (180) : Ce sont les grands noms de l'apologétique chrétienne au IIe siècle. Ce qu'ils répètent sans cesse :  Non seulement notre nom ne suffit pas à nous condamner, mais bien au contraire, il devrait plutôt être favorablement considéré.

Tertullien (à propos de la réponse de Trajan) : "Oh l'étrange sentence illogique par nécessité. Elle dit qu'il ne faut pas rechercher les chrétiens, comme s'ils étaient innocents, et elle prescrit de les punir copmme s'ils étaient criminels. Elle ferme les yeux et elle punit."

Justin : Notre nom n'est ni bon ni mauvais. Il faut juger les actes qi s'y rattachent. A ne considérer que ce nom, nous sommes les meilleurs des hommes.

Athénagore : "Nous condamner sur notre nom fait l'affaire des délateurs.

Tertullien : "La haine que vous avez pour notre nom est ce qu'il y a de pire. Votre ignorance de ce que nous sommes paraît vous excuser. En réalité elle aggrave votre cas : vous haïssez quelque chose que vous ne connaissez pas.

Théophile d'Antioche. "La plupart ont voué à ce nom de chrétien une haine si aveugle qu'ils ne peuvent rendre à un chrétien un témoignage favorable sans y mêler le reproche de porter ce nom : 'C'est un honnête homme, dit l'un, que Gaïus Senus. Quel dommage qu'il soit chrétien.' Un autre : 'Je m'étonne que Lucius Titius, un homme si éclairé, soit tout à coup devenu chrétien.' On loue en eux ce qu'on connaît ; on blâme ce qu'on ignore. Quant à la façon dont tu te moques de moi en m'appelant chrétien, tu ne sais pas ce que tu dis. Ce qui est oint (en grec chrizô, d'où le mot christ) est agréable, utile et n'a rien de ridicule. Est-ce qu'un navire peut être utilisé avant d'être oint ? Est-ce qu'une maison possède belle apparence et offre bon usage avant d'être ointe ? L'homme qui va lutter ne reçoit-il pas l'onction d'huile ? Pour nous c'est là l'explication de notre nom de chrétiens (christiani = ceux qui ont reçu l'onction) : nous sommes oints par l'huile de Dieu."

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2 A - Vous êtes des hors-la loi.

Dans sa lettre à Trajan (voir la séquence précédente) Pline le Jeune se demande si l'on doit punir en tant que tel le nom de chrétien. Mais, même en attendant la réponse de l'empereur, il passe à l'action. Voici son rapport :

"En attendant, voici la règle que j'ai suivie envers ceux qui m'étaient déférés comme chrétiens. Je leur ai demandé à eux-mêmes s'ils étaient chrétiens. A ceux qui avouaient, j'ai demandé une seconde, puis une troisième fois en les menaçant de supplices. Ceux qui persévéraient, je les ai fait exécuter. Quoique signifiât leur aveu, j'étais sûr qu'il fallait punir du moins cette obstination et cet entêtement inflexibles. D'autres, possédés de la même folie, je les ai traités, en tant que citoyens romains, pour être envoyés à Rome. Ceux qui niaient être chrétiens ou l'avoir été, s'ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et sacrifiaient par l'encens et le vin devant ton image que j'avais fait apporter à cette intention, si en outre ils blasphémaient le Christ, j'ai pensé qu'il fallait les relâcher."

Pline se dit ; enrayons le mal pendant qu'il en est temps. Il faut empêcher qu'un vent de folie souffle sur l'Empire. Il est une obstination que l'État ne saurait tolérer. Et il poursuit :

"Si je te demande ton avis, c'est surtout à cause du nombre des accusés. Une foule de personnes de tout âge, de toute condition, des deux sexes. Ce n'est pas seulement à travers les villes, mais aussi à travers les villages et les campagnes que s'est répa,due la contagion de cette superstition. Je crois pourtant qu'il est possible de l'enrayer et de la guérir."

Tout chrétien est donc passible d'être poursuivi, non pas pour ses actes, mais simplement pour son titre de chrétien. Son titre le met hors-la-loi.

2 B - Seuls nos actes nous jugent.

Justin écrit : "Vous nous donnez à tous une appellation, "chrétiens". Cela suffit pour nous condamner. Mais si on nous accuse devant vous, nous demandons qu'on examine nos actes et que celui qui est concvaincu de crime soit condamné comme coupable, et non pas comme chrétien. Et si quelqu'un est reconnu innocent, qu'il soit absous comme chrétien, puisqu'il n'est en rien coupable."

Tertullien : La procédure d'exception appliquée contre nous est contraire à la juridiction romaine. C'est de la tyrannie. "Vous prétendez qu'il ne nous est pas permis d'être chrétiens parce que tel est votre bon plaisir, et non pas parce que cela n'est pas permis." Si vous faites une enquête sur un criminel, il a beau s'avouer homicide, cet aveu ne suffit pas pour prononcer aussitôt la sentence. Avec nous, rien de semblable. Il n'y a même pas besoin de l'aveu d'un crime. Nous sommes condamnés seulement pour notre titre de chrétien. Vous préjugez de nos crimes au lieu de les prouver.

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3 A - Vos "mystères" cachent des horreurs.

Dans l'Octavius, Minucius Felix (début du IIIe siècle), rapporte, pour mieux les réfuter, les propos des païens : "Pourquoi cacher l'objet de votre vénération quel qu'il soit, puisque les belles actions aiment toujours la publicité, tandis que les crimes restent secrets ? Pourquoi ni autels ni temples ni statues ni assemblées publiques si l'objet qu'ils honorent ne mérite pas le châtiment ou la honte. Au fait, d'où vient-il ? Qui est-il ? Où réside-t-il , ce dieu unique, solitaire, abandonné à lui-même ? Seule la misérable communauté juive vénère elle aussi un dieu unique, mais au grand jour, avec des temples et des autels. D'ailleurs ce dieu est à ce point dépourvu de force et de pouvoir qu'il est prisonnier des Romains avec son propre peuple."

La rumeur publique vous accuse de pratiquer des rites abominables : "Ils se reconnaissent entre eux par des marques et des signes secrets. Ils s'aiment entre eux pour ainsi dire avant de se connaître. Mêlés les uns aux autres, ils pratiquent un véritable culte de la luxure. Ils vont jusqu'à s'appeler frères et soeurs pour donner même à l'acte de chair banal le caractère de l'inceste. On ne sait quelle absurde conviction les a amenés à consacrer et à vénérer la tête du plus ignoble des animaux : l'âne. D'autres rapportent qu'ils honorent les parties génitales de leur prêtre en personne. L'objet de leur vénération, c'est un homme puni pour un forfait du dernier des supplices et le bois funeste d'une croix.

Quant à l'initiation de nouvelles recrues, c'est abominable. On place un petit enfant recouvert de farine devant le nouvel initié. Le néophyte frappe l'enfant à coups de couteau. Puis il lèche le sang de cet enfant avec avidité. Ils se disputent les parties de son corps : telle est la victime qui consacre leur alliance. Sur leur festin aussi on est renseignés. Tout le monde en parle un peu partout. A jour fixe, ils se réunissent pour banqueter avec tous leurs enfants, soeurs et mère, gens de tout sexe et de tout âge. Après un copieux banquet, on excite un chien qu'on a attaché à une cordelette à faire des bonds et des sauts, en lui jetant une boulette au-delà du cercle de la laisse qui le retient. Une fois renversée et éteinte la lampe témoin, ils enveloppent dans l'impudeur des ténèbres les étreintes de leur passion répugnante, au hasard du sort, tous également incestueux.

3 B - Vos accusations sont un  tissu de calomnies.

Minucius Felix : Notre Dieu n'habite pas dans un temple. Nous ne cachons pas l'objet de notre culte. Mais on ne peut pas faire une image de notre Dieu. C'est l'homme qui est la seule image de Dieu.

Origène : Notre doctrine n'a rien de secret. Tout le monde sait que Jésus est né d'une vierge, qu'il a été crucifié. Nous enseignons sa résurrection et la menace du jugement. Bien plus, le mystère de la résurrection, parce qu'il n'est pas compris, est la risée des incroyants. Dire que notre doctrine est secrète, c'est le comble de l'absurdité.

Minucius Felix : Calomnie que notre prétendue adoration d'un âne. C'est absurde. Calomnie que notre prétendu culte du sexe des prêtres. Si vous êtes capables de proférer de telles horreurs sur notre compte, c'est que vous êtes capables de les commettre vous-mêmes. Calomnie que notre prétendue religion d'un criminel ! Qu'il est digne de pitié, celui dont l'espérance repose sur un homme mortel. Calomnie que nos prétendus infanticides : "Tous les jours nos sommes assiégés, bien souvent jusque dans nos réunions et nos assemblées mêmes nous sommes surpris. Qui donc, en survenant ainsi, a jamais entendu les vagissements d'un enfant ?"

Minucius Felix : Seul est capable de croire cela celui qui est capable de l'oser. En fait, c'est vous que je vois exposer les nouveaux-nés aux bêtes sauvages et aux oiseaux ou encore les supprimer en les étranglant. Il est des femmes pour étouffer dans leurs entrailles même la naissance de l'être à venir en absorbant des drogues et pour commettre ainsi un infanticide avant d'enfanter. "Calomnies que nos banquets incestueux. En fait, ces pratiques viennent plutôt des peuples de votre espèce. Il est permis chez les Perses de s'unir à sa mère. Chez les Égyptiens et à Athènes le mariage avec une soeur est légal, les incestes font la gloire de votre théâtre ; de même, vous honorez des dieux incestueux qui se sont accouplés à leur mère, à leur fille, à leur soeur. Il est donc normal que parmi vous l'inceste soit souvent constaté, souvent commis.

Tertullien. "Nous au contraire nous montrons de la pudeur. Nous aimons rester fidèles au lien d'un seul mariage. Le désir de procréer ne nous fait connaître qu'une femme. Dans nos banquets, nous observons non seulement la pudeur, mais la sobriété. Nous tempérons de gravité notre gaîté. Chastes dans nos propos, encore plus chastes dans nos corps."

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4 A - Vous êtes de mauvais citoyens.

N'oublions pas que, dans le monde antique, tout est religieux. Le politique et le religieux sont étroitement liés. Or, disent les auteurs païens, "vous, les chrétiens, vous refusez d'offrir des sacrifices pour l'empereur. L'empereur est un dieu terrestre. De son vivant même. Donc, vous êtes de mauvais citoyens."

De même, "vous vous abstenez de participer aux manifestations publiques", caractéristiques de la société romaine. Ni les spectacles, ni les processions, ni les banquets publics ne trouvent grâce à vos yeux. Vous n'assistez pas aux concours sacrés. Pas de fleurs sur vos têtes, pas de parfums..."

Résultat : vous êtes cause de tous les malheurs publics. Si le Tibre déborde, s'il ne pleut pas, si la terre tremble, s'il survient une famine ou la peste, c'est la faute aux chrétiens.

4 B - Nous sommes des citoyens plus logiques que vous.

Tertullien : "Bien sûr nous respectons l'empereur, mais nous n'adorons que Dieu seul. Et nous prions notre Dieu pour l'empereur. D'ailleurs l'empereur lui-même, au fond de lui-même sait très bien que tout ce qu'il a, y compris sa vie, vient de Dieu. Y compris son pouvoir, avec toutes ses limites.

"Nous ne refusons pas la vie, mais les passe-temps dégradants, et nous ne nous mêlons pas de politique. Pour le reste, nous avons même nourriture, mêmes vêtements, même genre de vie que vous. Nous fréquentons le forum, le marché, les bains, les magasins. Nous naviguons, nous sommes soldats, paysans, commerçants comme vous. Nulle chose ne nous est plus étrangère que la politique. Nous ne connaissons qu'une seule république commune à tout le monde.

Quant à vos spectacles, nous y renonçons parce que nous renonçons aux superstitions dont ils tirent leur origine. Quant aux mpalheurs publics, hélas, ils existaient bien avant Tibère (avant le Christ) !

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5 A - Vous êtes des ignorants superstitieux.

Celse : "Vous abusez de l'ignorance du peuple et votre christianisme n'est qu'une piètre doctrine. Vous méprisez la raison. Or il faut faire usage de sa raison pour connaître la vérité. Vous, vous dites "ne cherche pas à comprendre ; crois seulement ; la foi te sauvera... la sagesse est un mal et la folie est un bien !"

"Rien de bon ne peut venir des barbares que vous êtes. C'est une bien pauvre philosophie que la vôtre, d'autant plus qu'elle prétend s'adressert aux masses, aux plus démunis parmi les hommes."

Vos adeptes, ramassis d'ignorants, lie du peuple, femmes crédules, amis des cachettes, ennemis de la lumière, muets devant le monde et bavards dans les coins. Méprisant les temples, crachant sur les dieux, se moquant des cérémonies sacrées, se rient de nos prêtres !"

5 B - La vraie philosophie, c'est le christianisme.

En effet, il ne réserve pas l'usage de la raison à une élite, mais le rend accessible à la foule. Quelle autre méthode plus efficace pour aider la foule à un examen approfondi trouverait-on, que celle qui fut transmise aux nations par Jésus ?

Peut-être sommes-nous des barbares, mais la démonstration de l'Évangile est supérieure à la dialectique grecque.

Le philosophe Justin écrit : "On nous appelle athées. Oui, certes, nous l'avouons, nous sommes les athées de ces prétendus dieux, mais nous croyons au Dieu très vrai, père de la justice et de la sagesse."

(à suivre, début septembre)

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