THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

Cette année 2006 : Jeunesse de l'Église.

 

9 – Les chrétiens aux lions

(septembre 2006).


Pendant deux siècles et demi, l'Église a souffert le martyre. Des femmes et des hommes ont préféré souffrir et mourir plutôt que de renoncer à leur foi.

Or Jésus avait préconisé la séparation du spirituel et du temporel. "Rendez à César ce qui est à César, mais à Dieu ce qui est à Dieu." Donc il acceptait la domination romaine. Et lorsque la foule avait voulu le faire roi, il s'était sauvé sur la montagne. A Ponce-Pilate, il déclarait : "Mon Royaume n'est pas de ce monde." Et c'est bien ainsi que Pilate l'entendait.

Paul (Romains 13, 1-2) "Que tout le monde soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n'y a d'autorité que par Dieu, et celles qui existent sont établies par lui. Celui qui s'oppose à l'autorité se rebelle contre l'ordre voulu par Dieu."

Pierre (2e Lettre) : "Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit au roi, soit aux gouverneurs envoyés par lui."

Alors, pourquoi les persécutions ?

 

I - LES RAISONS DU CONFLIT

Ce ne sont pas les chrétiens qui sont entrés en conflit avec les pouvoirs établis. Ils acceptaient le régime politique du moment. Et ils acceptaient la société telle qu'elle était. Pensez, par exemple, à l'institution de l'esclavage. Ils n'y vont rien changer. D'ailleurs, le pourraient-ils ? Paul écrit aux maîtres : "N'usez pas de menaces envers vos esclaves, car le Maître est dans les cieux et ne fait pas de différence entre les personnes." Et aux esclaves : "Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas avec crainte et respect comme au Christ. Non d'une obéissance toute extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ, qui font avec coeur la volonté de Dieu." (Éphésiens 6, 5-9) Relisez la Lettre qu'il adresse à son ami Philémon, dont l'esclave Onésime s'est enfui, et que Paul renvoie à son maître : la vieille relation maitre-esclave est comme vidée de son contenu par l'appartenance à la religion chrétienne. Et cependant, Paul ne touche pas à l'institution elle-même ni à son cadre juridique. A plus forte raison ne remet-il pas en cause les autres institutions sociales de l'Empire.

Alors, pourquoi les empereurs ont-ils persécuté les chrétiens ?

C'est que la notion d'Empire revêt un caractère sacré. L'ardeur patriotique des Romains débouche sur l'adoration religieuse. Rome est vénérée comme une déesse. A la fin du IIe siècle encore, Rutilius Namatianus, poète gaulois, célèbre la déesse Rome. Lisez l'Énéide : l'auteur n'a pas d'accents assez vibrants pour célébrer la grandeur et l'éternité de l'Empire. Tite-Live écrit que la patrie mérite tous les sacrifices, y compris le sacrifice suprême. Toute l'ambition d'un vrai Romain est de servir l'État. Sa meilleure chance de survie, c'est une gloire dont les générations futures garderont la mémoire.

1 - Des citoyens en marge.

Face à cet État sacralisé, le chrétien affirme son appartenance à une autre cité, mettant son espoir en un autre Royaume.

* L'Empire romain n'est pas un absolu, mais une réalité ambiguë, transitoire, relative. Ce qui passe en premier pour les chrétiens, c'est leur Royaume spirituel, dont ils se mettent totalement au service. Ils sont mobilisés en permanence par lui. La vie militaire est le modèle du combat chrétien contre le mal : il doit avoir la disponibilité du soldat, avec totale soumission au chef, dans une totale cohésion.

* Quand on les traduit en justice, ils ont des réparties énigmatiques qui indisposent les juges. On leur demande leur identité, ils répondent : "Chrétien". Leur origine ? Ils sont tous "de Jérusalem" (la Jérusalem céleste, l'Église future.) L'évêque ? Il a une multitude d'enfants (les fidèles... et tous ceux qu'il a baptisés.)

* Persuadés du retour imminent du Christ, ils envisagent les réalités terrestres comme caduques. Pour eux, l'Empire romain va bientôt disparaître. A quoi bon l'étendre ? A quoi bon le défendre ? L'attitude du chrétien ? Pas hostile à l'Empire, mais détachée, réservée, attentiste.

* Plus le nombre des chrétiens grandit, plus leurs attitudes se remarquent. D'où l'évolution des autorités : d'abord attentives, elles en viendront à les surveiller, puis à leur marquer une réprobation de plus en plus grande.

2 - Le refus des sacrifices.

Le conflit va rapidement se cristalliser autour d'une question précise : le refus des sacrifices aux dieux nationaux. Il ne s'agit pas d'une simple preuve de loyalisme envers l'Empire. Il y a une dimension religieuse. Les dieux nationaux sont des alliés fidèles des Romains, des agents efficaces de l'extension et de la sauvegarde de l'Empire. Tous restent plus ou moins vaguement attachés à cette croyance, même les intellectuels. Surtout lorsqu'une catastrophe menace ou frappe l'Empire. En tout cas, l'appareil de l'État attache une grande importance à ces dieux nationaux. Comme les chrétiens, monothéistes, refusent opiniâtrement de rendre un culte à ces dieux traditionnels, ils sont considérés comme des impies. Voir les actes d'accusation qu'on a conservés. On parle de "crimes de lèse-majesté" qui portent atteinte à la "grandeur" du peuple romain en indisposant les dieux qui en sont les auteurs et les garants.

Et à  ces griefs va s'ajouter quelque chose de plus grave encore : le refus du culte impérial. Les chrétiens respectent l'empereur ; ils lui obéissent, mais ils refusent de le reconnaître comme un dieu. Or l'empereur incarne en sa personne l'Empire romain divinisé. Dès sn vivant il est dans la sphère divine. Il finira par se dire fils des dieux. Donc rendre un culte à l'empereur, c'est à la fois reconnaître le caractère divin de l'Empire et indirectement rendre hommage aux dieux qui en sont les auteurs. Inversement, refuser ce culte apparaît comme un acte de révolte contre l'Empire. Or les chrétiens ne reconnaissent comme "Maître" au sens absolu, comme Imperator, que le Christ. Même s'ils affirment leur loyalisme politique, il est hors de question pour eux de brûler de l'encens devant une statue de l'empereur. Tout cela fait que pour les autorités, les chrétiens paraissent étrangers, donc ennemis de l'Empire.

A cela viennent s'ajouter les racontars qui circulent sur leurs réunions nocturnes autour du repas eucharistique. C'est mystérieux, parce que ces réunions sont protégées par la discipline de l'arcane. C'est secret. On parle de rites incestueux, de meurtres rituels d'enfants, immolés et mangés. Donc les chrétiens sont des impies, de mauvais citoyens, et des gens vicieux. Si bien que l'hostilité à leur égard n'est pas seulement le fait des autorités, mais aussi du peuple.

II - LE TEMPS DE LA PERSÉCUTION

Les persécutions contre les chrétiens ont duré deux siècles et demi, de 66 à 311. Mais pas sans relâche. Aux moments de tensions succèdent des accalmies, parfois longues. Une alerte en Afrique ou en Asie Mineure peut n'avoir aucune répercussion en Gaule ou en Italie. Il ne faudrait pas voir l'Église des premiers siècles comme une société secrète de conspirateurs dont la vie se ramènerait à des réunions nocturnes dans des galeries souterraines. La vie de l'Église s'étale au grand jour. Elle a un patrimoine, des cimetières. A Alexandrie, les chrétiens animent une importante école philosophique. L'élection d'un évêque donne lieu à des manifestations populaires. Il y a de fréquents conciles, et de nombreux évêques y participent. A Carthage, au temps de Cyprien, c'est chaque année qu'il y a un concile. Et au dernier concile de Carthage, il y a 87 évêques présents. Or la police ne fait rien pour arrêter les évêques rassemblés. Pourtant, c'eût été un beau coup de filet !

1 - Une religion illégale.

Il n'en reste pas moins que la religion chrétienne est illicite. Selon quel texte législatif ? La réponse n'est pas évidente. Tertullien parle de "l'Institutum neronianum" . Mais ce mot "institutum" désigne la pratique de Néron, le premier des persécuteurs, et non pas une loi particulière promulguée par Néron contre les chrétiens. Eusèbe parle d'une "loi antique". Peut-être vise-t-il l'interdiction d'honorer les dieux étrangers qu'on trouve dans "Les Lois" de Cicéron. Quoi qu'il en soit, il suffit d'être chrétien pour être passible de châtiment. La plupart du temps, la mort.

Les apologistes tenteront en vain de faire rapporter cette législation injuste. Pendant de longues périodes, elle restera lettre morte. Mais il suffit d'une vcrise, de difficultés graves, pour qu'on cherche des coupables. Et c'est ytout naturellement les chrétiens qui deviennent les boucs émissaires. Qu'une catastrophe se produise - défaite, sécheresse, épidémie, mauvaise récolte - les Romains l'interprêtent comme signe de la colère des dieux. Ils cherchent la faute commise, et naturellement, c'est "l'impiété" des chrétiens.

Souvent, c'est la foule qui prend l'initiative, en traînant les chrétiens devant le juge. Au début, les Juifs semblent jouer un rôle prépondérant dans les pogroms anti-chrétiens. C'est le cas dans la "Passion de Polycarpe".Ils ne paraissent pas non plus étrangers à la première persécution déclanchée en 64 par Néron. Mais les païens s'associent très vite à cette chasse aux chrétiens. Pline le Jeune (112), en Bithynie, parle des nombreux cas de dénonciation qui lui sont soumis. Trajan répond qu'il ne faut pas rechercher les chrétiens, mais tenir compte des dénonciations et châtier les mouchards s'ils ont menti.

Hostilité populaire. Dans le récit qui nous est parvenu des martyrs de Lyon, on lit : "Les gens étaient féroces contre nous comme des fauves". A Toulouse en 250, Saturnin est lynché par la foule païenne sans aucun jugement : "Il longe un temple païen... on se saisit de lui, on l'attache par les pieds au taureau destiné au sacrifice, on pique le taureau qui s'élance du haut du temple. Dès les premières marches, la tête se brise, laissant échapper la cervelle."

Quelquefois aussi, c'est le pouvoir central qui prend l'initiative en envoyant des instructions aux fonctionnaires provinciaux pour forcer les chrétiens à abjurer. Cela arrive au moment des difficultés intérieures ou extérieures, lorsque, par exemple, l'empereur cherche à mobiliser toutes les énergise spirituelles de l'Empire. Cela arrivera particulièrement sous Septime Sévère, Maximin, Dèce, Valérien, Dioclétien.

2 - Les empereurs persécuteurs.

* Néron, le premier, en 64. Soupçonné d'être l'auteur des incendies de Rome, détourne la colère publique sur les chrétiens. Après cette première persécution, il y aura une longue accalmie, puis...

* Domitien (81-96). Il condamnera Flavius Clemens (son cousin) et sa femme Flavia Domitilla, en 95, pour "athéisme et moeurs juives". Le mari sera condamné à mort et son épouse sera exilée. A la même époque, en Asie Mineure, Jean est déporté à Pathmos. Le livre de l'Apocalypse, qui date de cette époque, est témoin du changement d'attitude des chrétiens à l'égard de l'empire. Le pouvoir romain devient le suppôt de Satan.

* Sous les Antonins : Calme avec Nerva (96-98). Puis Trajan (98-117). C'est à Trajan que Pline le Jeune s'adresse, et la réponse de Trajan fera jurisprudence pendant tout le IIe siècle : on ne doit as rechercher systématiquement les chrétiens - s'ils sont dénoncés et refusent d'abjurer, il faut les condamner - mais on ne doit pas admettre de dénonciations anonymes, "qui ne sont plus de notre temps". Un motif d'accusation : simplement le "nom" de chrétien. En général, le pouvoir de cette époque fut tolérant. Par contre les populations, juives ou païennes, sont très hostiles. On note des persécutions sporadiques en Bithynie, en Palestine. Et Ignace d'Antioche qui est mené à Rome pour y être exécuté.
Hadrien (117-138). Période de paix pour les chrétiens. L'empereur reprend les mêmes dispositions que Trajan, mais insiste pour qu'on ne condamne pas sur simple accusation : il faut instruire un procès.
Sous Antonin, les chrétiens cessent progressivement d'apparaître comme une secte juive. Mais on ne sait où les classer : ce sont des êtres singuliers, en marge de la société, particulièrement crédules.
Avec Marc-Aurèle, on assiste à raidissement des intellectuels païens. C'est alors qu'aura lieu le martyre de Justin (165), de Polycarpe à Smyrne, des chrétiens de Lyon en 177, des chrétiens de Scili (Tunisie) en 180. A Scili, cela provoque une excitation des chrétiens telle qu'ils se présentent en foule au tribunal pour s'accuser. L'Église les désapprouve.
Commode (180-193), est le dernier des empereurs philosophes. On trouve des chrétiens dans son entourage.

* Avec les Sévère, on assiste dans le christianisme primitif à une recrudescence des espérances apocalyptiques : on attend le retour imminent du Christ. Ce christianisme n'est pas celui des évêques. Tertullien, Hippolyte, s'opposent à ces conceptions.
Septime Sévère (193-235) a des chrétiens dans son entourage. Il sait que désormais il faut compter avec eux. Pourtant, en 202, il publie un Édit interdisant tout prosélytisme aux chrétiens. La persécution fait rage en Égypte et en Afrique. Elle frappe ceux qui se préparent au baptême ou ceux qui le reçoivent, mais pas ceux qui l'ont déjà reçu. Mais la charge de catéchiste devient particulièrement dangereuse. A Carthage, où le Christianisme est implanté depuis la fin du Ier siècle, les martyres les plus connues sont Félicité et Perpétue. Avec Alexandre, assassiné en 235, se termine la dynastie des Sévère.

* Le pouvoir tombe entre les mains des militaires. Plusieurs persécuteront les chrétiens. Maximin (235-238), berger thrace illettré, poursuit les chefs de l'Église. Il les accuse d'affaiblir la défense de l'Empire en empêchant les adeptes de la nouvelle religion de s'engager dans l'armée. En réalité, seuls les chrétiens de Cappadoce auront à souffrir de cette persécution, à cause d'un procurateur particulièrement mal disposé. Mais c'est dès son avènement en 250 que Dèce organise systématiquement la persécution, et pour la première fois dans tout l'empire. Tous les citoyens devront participer à un sacrifice. Si tu acceptes, tu reçois un libellum (un certificat) signé par un représentant du pouvoir. Les chrétiens n'arriveront que très rarement à passer à travers les mailles de l'appareil policier. Très nombreux sont ceux qui seront arrêtés, torturés, mis àmort. Surtout en Orient. Parmi les autres chrétiens, on distingue : les "sacrificati", ceux qui participent à un sacrifice ; les "thurificati", ceux qui font brûler deux ou trois grains d'encens devant une idole; et les "libellatici", ceux qui se sont débrouillés pour acheter un certificat de complaisance. Tous ceux-là, l'Église les considère comme des "lapsi" = ceux qui sont tombés. Comment les traiter ? Pour certains, on peut les réintégrer (après pénitence) dans la communauté. Pour d'autres, il faut les considérer comme exclus à jamais. Valérien (253-260) revient à la charge contre les chrétiens. Mais il se limite à la hiérarchie, évêques, prêtres et diacres. En 257, il condamne les récalcitrants à l'exil ; en 258, il les condamne à mort. Nous avons l'exemple de Cyprien, évêque de Carthage, d'abord exilé, puis mis à mort. En même temps, pour renflouer les caisses de l'État, il s'attaque aux chrétiens fortunés, sénateurs, chevaliers, femmes de la haute société. On confisque d'abord leurs biens, avant de les mettre à mort. Avec celle de Dèce, ce sera la persécution la plus sanglante du IIIe siècle. Avec Gallien , en 260, arrive un édit de tolérance. Le culte chrétien est autorisé, les propriétés des Églises et leurs cimetières leurs sont restitués. C'est une reconnaissance de fait de la religion et de la propriété ecclésiastique. Ses successeurs Claude (268-270), puis Aurélien (270-275) seront également tolérants. Peut-être simplement quelques martyrs dans les rangs de l'armée, mais probablement parce que considérés comme objecteurs de conscience.

* Cette période de calme prend fin avec l'Édit de Dioclétien en 303. Un Édit, placardé à Nicomédie, résidence impériale, un exalté l'arrache et le déchire. Il est mis à mort. Or, depuis 260, il n'y a pas eu de persécution. Et les communautés chrétiennes s'affichent au grand jour. Elles ont leurs cimetières (souterrains ou à ciel ouvert), et des églises, ou du moins (car il est difficile d'en préciser le style) des maisons de culte et de prière. C'était la "petite paix de l'Église". Et voilà que, du 23 février 303 au 30 janvier 304, l'empereur publie quatre édits successifs :
- Interdiction du culte, confiscation des livres et vases sacrés, destruction des églises.
- Arrestation des chefs des Églises, c'est-à-dire tous les membres du clergé.
- Libération de ceux qui sont en prison s'ils consentent au sacrifice. C'est le test obligatoire.
- Tous les habitants de l'Empire sont tenus de sacrifier aux dieux sinon, c'est la mort ou la déportation.
L'application de ces édits fut diverse. Faible en Gaule; en Italie, intense, mais brève. En Afrique, assez peu. Mais en Orient, beaucoup plus sévère. Elle durera jusqu'au printemps de 313.
En 305, Dioclétien abdique. Galère le remplace et poursuit la persécution. On compte de nombreux martyrs en Illyrie, en Asie Mineure, en Syrie, en Égypte. Et cela jusqu'au mois d'avril 311 où Galère publie un édit de tolérance. Et en 312, par l'Édit de Milan, Constantin octroie enfin la paix à l'Église.

 

Pendant deux siècles et demi, le christianisme a été en butte aux attaques répétées du pouvoir. Les premiers chrétiens ne furent pas tous victimes de la persécution. Mais tous ont vécu dans l'insécurité. Chaque génération, un jour ou l'autre, a été confrontée à la possibilité du martyre.
Le danger a conféré à l'engagement chrétien un sérieux exemplaire et a entretenu la fraternité dans les communautés. Elles ont vécu dans un climat d'héroïsme dont témoigne le comportement des martyrs.

 

III - LES ACTES DES MARTYRS

On a des documents très précis et parfaitement authentiques sur le déroulement de ces procès. Les interrogatoires sont courts - environ 10 minutes - et aboutissent, en cas d'aveu, à la condamnation à mort. Le dialogue est courtois. Le fonctionnaire romain cherche, non pas à condamner, mais à faire abjurer sa foi. A travers adjurations perce l'estime et la pitié.

1 - Un formidable malentendu.

* "Aie pitié de ta jeunesse", dit le proconsul à un jeune, nommé Germanicus.
* "Aie le respect de ton âge", dit le procureur à Polycarpe, vieil évêque de Smyrne. Il ajoute : "Quel mal y a-t-il à dire Seigneur César, à sacrifier, et le reste, pour sauver sa vie ?"

Autant la foule est haineuse et ignoble, autant l'interrogatoire se déroule dans un climat respectueux.

* "Aie pitié de toi-même, dit le proconsul à Papylus. Il m'est pénible de te faire souffrir ainsi.
* A Scili (Tunisie) le proconsul donne un délai de 30 jours de réflexion aux accusés pour les aider à revenir à de meilleurs sentiments.
* Au procès de Cyprien, le proconsul prononce la sentence " à regret". "Il arrivait à peine à parler" dit le récit.
* Pour Philéas, le proconsul se contentera d'une déclaration de l'avocat comme quoi Philéas a déjà sacrifié. Celui-ci refuse énergiquement et "obtient " sa condamnation.
* Toujours au procès de Cyprien, le ,proconsul est prêt à des concessions. Il explique à l'accusé qu'il lui suffira de participer à une cérémonie païenne, et qu'ensuite il pourra retourner à son culte et à son Dieu. Cyprien lui répond qu'il ne peut pas faire cela, et lui annonce qu'il prie volontiers son Dieu à lui pour le salut de l'empereur et celui de l'Empire.

Il semble donc que les persécutions ont été le résultat d'un formidable malentendu, si l'on excepte quelques fanatiques. Malheureusement, ce malentendu a eu des conséquences tragiques : des milliers de chrétiens sont morts dans d'atroces tortures. Les évaluations des historiens varient beaucoup : de 3 500 - 4 000 à plusieurs dizaines de milliers. La vérité est sans doute entre les deux extrêmes, sans qu'on puisse donner de chiffres précis, faute d'une documentation complète.

2 - L'horreur des supplices.

* Par contre, il est possible d'être précis dans la description des supplices. On a des documents chrétiens et paîens qui donnent tous les détails. Il est difficile d'en exagérer l'horreur.

* Quelquefois les tortures commencent dès la détention en prison : bastonnade, flagellation, chevalet. Dans le dernier cas, le corps des martyrs est littéralement déchiqueté, soit par des lanières munies de billes de plomb, soit par des ongles de fer.

* Bon nombre de chrétiens sont condamnés aux mines, surtout lors de la persécution de Dioclétien. Pour empêcher leur fuite, on les marque au fer rouge sur le front.

* En 307, le gouverneur de Palestine leur fait, en outre, brûler les nerfs d'un jarret, pour les rendre boiteux. Précaution bien inutile, puisque les deux pieds sont reliés par une chapine très courte. Un an plus tard, il ajoute à cette mutilation celle d'oeil : on crève l'oeil droit aux chrétiens et on cautérise la plaie au fer rouge.

* La décapitation est la mort la plus digne et la moins douloureuse. Elle est réservée aux gens de qualité. Cyprien fait payer 25 pièces d'or au bourreau, se bande lui-même les yeux, met un genou en terre, fait sa prière avant d'être décapité.

* La mort par le feu, c'est un spectacle. Un bûcher est dressé au centre du cirque. On attache ou on cloue le condamné à un poteau. La flamme monte... Polycarpe sera condamné au bûcher.

* Sous Dèce et Dioclétien, les supplices deviennent plus raffinés. Chaises ou gril rougis au feu, chaudières d'huile bouillante, mort à metit feu. Pour prolonger les souffra,ces, on ranime les malheureux évanouis en leur jetant de l'eau fraîche à la figure.

* La mise à mort la plus dramatique, ce sont les bêtes sauvages dans l'arène. On trouve des spectacles variés : lions, tigres, ours, sangliers, taureaux sauvages, meutes de chiens. Souvent on déguise les martyrs. Néron les fait recouvrir de peaux de bêtes avant de lâcher les fauves sur eux. La plupart du temps, un garçon de cirque achève les blessés d'un coup d'épée. C'est ainsi que finiront Blandine, sur laquelle on a lâché un taureau, Saturnus, victime d'un léopard, Félicité et Perpétue, victimes d'une vache furieuse. Eusèbe cite encore des cas de noyades collectives, de pendaisons à des arbres, d'écartèlement, d'égorgement dans les prisons.

Tout cela dénote, non seulement la bassesse de la populace, mais le fanatisme de certains fonctionnaires, exaspérés d'une telle résistance. Mais pour les chrétiens, le martyre, c'est le combat contre Satan. L'enjeu de cette lutte les dépasse : c'est le Christ qui, en eux, à travers eux, affronte le Mal. Ainsi s'explique leur intrépidité et leur impassibilité dans les tourments. Ce n'est pas eux qui souffrent, mais le Christ qui souffre en eux. Dès l'instant où commence leur martyre, ils entrent en extase, cessent d'être eux-mêmes pour renouveler la passion du Christ. Pour les Chrétiens, c'est le Christ qui est la sourde de leur héroïsme. Jamais le culte qui sera rendu aux martyrs n'a dévié vers le polythéisme, parce que l'Eglise, en honorant ses martyrs, rend gloire à Dieu qui fait les martyrs.

(A suivre, début octobre)

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