Sur 1 Jean, 3, 14-16 et Matthieu 25
Et voilà ! Nous sommes réunis aujourd'hui dans cette église pour célébrer le " passage " d'une croyante, notre amie. Une place de plus, sa place, qui restera vide désormais ! Et lorsque nous nous retrouverons chaque dimanche, nous ne pourrons pas ne pas nous souvenir : une personne, un visage, un sourire, quelqu'un qui nous a aimés et que nous aimions. Aujourd'hui, nous sommes tristes, mais notre tristesse est tempérée par le souvenir. Le souvenir de toute une vie. Car la mort est partie inhérente de la vie, elle est comme la continuation de la vie, ce qui lui donne sens et valeur, car elle est accomplissement.
Nous relisons aujourd'hui cette phrase paradoxale de saint Jean : " Nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons. " Passer de la mort à la vie, c'est l'inverse du processus naturel, puisque tous, nous sommes destinés à passer de la vie à la mort. Pourquoi Jean nous fait-il cette annonce paradoxale ? C'est qu'il fait référence à son ami Jésus, qui est mort et ressuscité. Il a vécu pendant quelques années dans son intimité, si bien que, pour lui, Jésus est devenu l'Amour personnifié, l'amour vécu. Il l'a fréquenté, il l'a admiré. Jamais il n'a rencontré homme aussi extraordinaire. Il dit que " Dieu est Amour " ; mais le mot amour est trop vague. Lui, Jean, a vu des gestes simples, concrets, de son ami Jésus. Il a vu des regards, qui étaient des regards d'amour (On le note dans l'évangile). Il a été témoin de son extraordinaire proximité avec les petits, les enfants, les jeunes, les femmes, les malades, tous ceux que la société de l'époque marginalisait et traitait de pécheurs infréquentables, aussi bien les malades que les publicains. Il a vu son ami Jésus enseignant, car il n'est pire misère que l'ignorance, guérissant, consolant, et même donnant à manger aux foules qui couraient après lui. Et puis, un jour, Jésus est passé de la mort à la vie. Jean était là, auprès de la croix, quand son ami agonisait, et il fut le premier à croire en sa résurrection au matin de Pâques, quand il vit le tombeau vide. Il fut parmi les premiers à le revoir vivant. Des années plus tard, faisant l'expérience intime d'une mystérieuse présence permanente de l'homme de Nazareth avec lui, compagnon de sa route terrestre, il écrit aux Églises qu'il a fondées, comme un testament, une simple formule, cent fois rabâchée : " Aimez-vous. " De plus en plus, il précisera ce commandement reçu du Maître : aimer, ce n'est pas n'importe quoi. Ce ne sont pas des paroles, des simples " je t'aime ". Ce sont des actes. Et ça prend toute la vie.
Une fois de plus, nous entendons cette parole aujourd'hui. Et nous nous sentons bien petits. Apprendre à aimer, effectivement, ça prend toute une vie. Mais je crois que l'essentiel est de prendre, dès le début, la bonne direction. Car il n'y a que deux directions : l'amour de soi ou l'amour des autres. Il s'agit donc de privilégier, dans toute son existence, l'amour des autres. Sinon, c'est la mort. Ce n'est pas une question d'âge, c'est une question d'orientation. Il y a des jeunes - nous en connaissons certainement, hélas - qui sont radicalement morts. Et il y a des vieillards qui, jusque dans leur grand âge, sont extraordinairement vivants. Notre amie était de ceux-là.
C'est ce que l'évangile appelle " la vie éternelle ". Une vie qui ne finira pas, puisqu'on est " passé de la mort à la vie " quand on aime. Cette vie éternelle, nous dit Jésus, est déjà commencée. Et tout au long de notre route terrestre, on s'y entraîne. Imparfaitement, certes, avec des hauts et des bas. Mais tous les recommencements sont autant de signes de notre espérance. On apprend, à longueur de vie, à ouvrir nos yeux, nos oreilles, nos mains et notre cœur pour ceux qui ont faim, pour ceux qui sont " malades, nus ou en prison " (relire Matthieu 25) Un jour, l'entraînement terminé, nous serons capables de rejoindre notre amie et de vivre avec elle dans l'éternité de l'Amour. Ce jour-là, Jésus nous dira, à nous comme à elle : " Venez, les bénis de mon Père, chanter éternellement dans la chorale du Bon Dieu. "