THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE 2003 :

L'INCARNATION

"Jésus, l'homme-Dieu "

 

"Engendré,
non pas créé,
de même nature que le Père, et par lui tout a été fait."

Credo de Nicée (325)

 

 


Rembrandt : Jésus, l'homme-Dieu

 

5-Jésus, un homme, simplement ?

Nous allons donc continuer à regarder comment le visage de Jésus est souvent déformé dans le miroir de la conscience des hommes. Les vieilles hérésies dont nous parlerons ce mois-ci ont toujours une résonance d'actualité, à y regarder de près.

1 - Le Christ d'Arius, un Dieu "fait".

Arius était le curé de la paroisse du port d'Alexandrie, en Egypte, au début du IVe siècle. Il avait une manière à lui de rendre compte de la divinité du Christ dans sa prédication, une manière qui ne tarda pas à provoquer un certain tapage parmi ses fidèles. Son évêque, Alexandre, provoqua un débat public, afin de clarifier en même temps la situation et la doctrine. Mais il n'obtint aucun succès : grâce à un réseau d'amis entreprenants, les idées du bouillant curé se répandirent à grande vitesse de ville en ville et engendrèrent de tels conflits que, de religieux, le problème devint aussi politique. C'est pourquoi l'empereur Constantin, à peine converti, prit l'intiative de convoquer le concile de Nicée, afin de ramener la paix religieuse et civile. Ce concile porta la première définition "dogmatique" de l'histoire sous la forme de quelques expressions ajoutées au Symbole qui porte son nom, et qui est encore aujourd'hui notre Credo (à peine modifié au concile de Constantinople).

Mais ce concile ne ramena pas la paix : pendant 50 ans encore, les débats sur la divinité du Christ et sur la Trinité continuèrent à diviser les Eglises en diverses factions rivales. Ne croyons pas qu'il s'agissait de simples querelles d'écoles théologiques : le peuple y participait aussi, prenant parfois fait et cause avec passion. Il y eut des bagarres homériques et même des émeutes. Cela paraît surprenant aujourd'hui. Je ne sais pas si mes propos de vieux curé soulèveraient aujourd'hui des remarques ou des mises au point de mon évêque, ni des manifs' de chrétiens ! A l'époque d'Arius, c'était un signe de bonne santé dans l'Eglise. Et tant mieux si aujourd'hui, parfois, des remises en cause sont le signe d'un réveil de la conscience chrétienne et constituent pour la foi une chance de vie !

Que disait donc Arius ? Le Fils, incarné en Jésus de Nazareth, n'est pas vraiment éternel ni vraiment engendré, c'est-à-dire qu'il n'est pas Dieu au même titre que le Père. Il est le fruit d'une décision du Père, il n'appartient donc pas à la vie même de Dieu, il est créé. C'est sans doute une créature toute spirituelle, antérieure au temps de notre création, très semblable à Dieu, mais il est bien loin d'être égal au Père. Bref, c'est un Dieu fait : créé, puis adopté comme Fils, il est devenu Dieu et fils.

Arius est imprégné de philosophie grecque. Et sa pensée se base sur toute une philosophie. Il ne peut pas y avoir deux principes souverains, ce qui ferait deux dieux. Et ce serait une contradiction de dire que le même est à la fois engendré (en tant que fils) et inengendré (en tant que Dieu, car Dieu a sa propre origine en lui-même). Inutile d'entrer dans les détails, très compliqués, de ces "querelles byzantines". L'important est de retenir qu'Arius voulait helléniser la foi chrétienne. Elle s'était exprimée d'abord selon les manières de penser des juifs, et voilà qu'on voulait l'exprimer selon les modes de pensée de son époque, dans la culture grecque de son temps. C'est là où ça coince !

Jésus dans sa vie terrestre a été soumis à toutes les vicissitudes humiliantes de notre existence : il est né, il a souffert, il est mort. Dieu ne peut se prêter à de tels abaissements, car il est au-dessus de tout changement. D'ailleurs, n'y a-t-il pas toute une série de textes de l'Ecriture où Jésus se déclare inférieur au Père et le traite en seul vrai Dieu. Par exemple : "La vie éternelle consiste pour eux à te connaître, toi le seul véritable Dieu, et à connaître Jésus-Christ, que tu as envoyé" (Jean 17, 3). Arius exprime de manière crue le scandale ressenti par la raison humaine devant l'annonce de l'humanisation de Dieu lui-même. Celui qui est homme ne peut être vraiment Dieu.

Querelles byzantines, direz-vous ? Les chrétiens de l'époque ont répondu : "Mais non, cela change tout !" Jusqu'ici nous croyions que Jésus était vrai Dieu et maintenant on nous dit qu'il est une créature. Or il n'y a pas de milieu. Il est l'un ou l'autre. Cela n'arrange rien de dire qu'il est une créature sublime et le plus saint des hommes. Nous ne pouvons plus lui donner notre foi comme à celui qui est en personne la révélation de Dieu et la communication de la vie même de Dieu. Nous croyions en un médiateur et on nous donne un intermédiaire. Athanase, le nouvel évêque d'Alexandrie, reprochait à Arius de lui avoir volé son Sauveur. Chez Arius, il y avait une entreprise de récupération de la personne du Christ du côté de l'homme. L'originalité de la Bonne Nouvelle chrétienne est perdue.

2 - Nestorius : Jésus, un homme relié au Verbe de Dieu.

Nous voici un siècle plus tard. Deux choses sont bien acquises désormais : le Verbe de Dieu incarné en Jésus est vraiment Dieu lui-même, et Jésus est vraiment homme. Mais surgit une nouvelle question: quelle forme d'unité en Jésus entre le Verbe divin et l'humanité. Que veut dire l'expression du Prologue de saint Jean : "Le Verbe s'est fait chair" ? Nestorius va essayer de répondre à la question. Malheureusement, à côté.

* Incarnation ou habitation ? Nestorius est l'héritier d'une école théologique à Antioche, dont le souci dominant est de mettre en relief la véritable humanité de Jésus, ce qui le rend sympathique. Seulement, devenu patriarche de Constantinople, dans sa prédication, il refuse d'appeler la Vierge Marie "Mère de Dieu", titre qui était normal depuis le début du IVe siècle. Ce refus ne concernait pas d'abord Marie, mais bel et bien l'unité concrète du Christ. Marie, disait-il, n'a pas engendré Dieu (ce qui est vrai) mais un homme. Mais du même coup, il donnait à penser que cet homme n'était pas personnellement fils de Dieu. Il introduisait une distance entre l'homme et Dieu, alors que le titre "Mère de Dieu" voulait simplement dire que Marie a engendré un homme, Jésus, qui se trouve être le Fils de Dieu en personne. Vous suivez ? Nestorius disait que Marie a enfanté un homme dans lequel le Verbe de Dieu s'est simplement posé. L'incarnation est simplement une habitation de quelqu'un en quelqu'un, de Dieu dans un homme qui est son temple. Conséquence : c'est seulement cet homme - et non pas le Fils de Dieu - qui a vécu, aimé, souffert et est mort pour nous. Si le Verbe de Dieu n'est pas né, il fait dire aussi qu'il n'est pas mort sur la croix. . Nestorius fait de Jésus un homme "porteur de Dieu."

* Une fois encore, la conscience chrétienne a réagi en disant : mais cela change tout à notre salut. Le langage de Nestorius contredit celui de l'Ecriture qui nous parle de l'abaissement et de l'anéantissement de celui qui a pris forme de sereviteur en se faisant obéissant jusqu'à la mort de la croix. Il ne serait plus vfrai que "qui le voit, voit le Père". Nestorius introduit une faille entre l'homme et Dieu en Jésus lui-même. Et cette rupture ne peut que se reproduire entre tous les hommes et Dieu. . Il recule devant le scandale de l'incarnation pris en toute sa force. Il trouve inadmissible que le Verbe de Dieu a été allaité par la Vierge Marie. Cette promiscuité de Dieu avec notre humanité lui semble insoutenable et il veut le sauver de ce danger. Au contraire des Docètes, très attaché à l'humanité de Jésus, il tient sa divinité à distance.

3 - Postérité théologique de Nestorius.

Périodiquement, sous des formes différentes, on retrouve dans la pensée théologoqie des formules qui font penser à Nestorius. En général, on parle de "l'homme assumé", c'est-à-dire que le Verbe s'est posé en un homme existant. Au début du IXe siècle on voir renaître en Espagne de théories "adoptianistes" : Jésus est le Fils de Dieu  non par origine, mais par adoption ; non par nature, mais par grâce". Depuyis le début du XXe siècle, plusieurs théologiens se sont employés à réhabiliter le plus largement possible la pensée de Nestorius : certaines de leurs expressions divergent d'avec le témoignage élémentaire de l'Ecriture.

* On ne parle plus aujourd'hui de la théologie de "l'homme assumé", mais on parle partout de la christologie "d'en-bas". Ce qui revient au même. On part de l'existence humaine de Jésus et l'on s'interroge, soit sur la manière dont cet homme était assumé comme Fils de Dieu, soit sur son unité avec Dieu, pleinement manifestée dans sa résurrection. D'où, toujours, le risque d'envisager une "adoption" de Jésus comme fils de Dieu. Ou encore, le danger de parler de "l'habitation d'une dimension divine en Jésus".

* A partir du moment où l'on introduit une division entre l'homme et Dieu en la personne de Jésus, on va introduire la même division dans l'Eglise et chez les chrétiens. Chrétien d'un côté, homme de l'autre, je vis mon unité de chrétienen partie double, c'est-)-dire que je ne suis pas unifié du tout. Pour moi le Royaume n'a rien à faire avec l'humain, ni l'humain avec le Royaume. Le Royaume s'en trouve comme dévitalisé. "On voit alors des fidèles, très engagés ou réputés bons chrétiens, perdre, subitement dit-on, la foi. En réalité, rien n'est subit : depuis longtemps existait cette rupture, que nous appelons nestorienne, entre une forme très épanuoie de l'action et un alibi du Royaume" (Gustave Martelet). Et Paul Ricoeur se demande : "Le mouvement de notre siècle ne porte-t-il pas à exiler le Seigneur dans une transcendance abstraite sans signe et sans expression" ?

* Le "Retour à Jésus" ? Dans ces mouvements, qui datent de la fin des années 60, certaines de leurs manifestations expriment une cassure du trait d'union entre Jésus et Christ. Voici ce qu'en dit Christian Ducoq : "Ce nom de Christ est banni dans les mouvements de "retour à Jésus". Christ est en effet, pour eux, allié à des images qu'ils combattent ; elles désignent le Seigneur elointain, celui qui vient avec la puissance de Dieu et inpose son ordre et sa loi ; Christ, ce n'est plus le frère, le compagnon engagé dans la lutte contre les opresseurs, le leader qui entraîne, l'être compréhensif qui accepte toutes les faiblesses. Christ, c'est le Dieu, et voici qu'il deinet aussi lointain et solennel que dans les mosaïques byzantines. Peut-on casser le nom de celui qui fut célébré dans les Eglises comme "Jésus-Christ" ?

Toujours la même cassure entre le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi !

  30 avril 2003

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