Rembrandt : Jésus, l'homme-Dieu11 -Vrai Dieu et vrai homme En Jésus, tout est affaire de solidarité. Jésus est beaucoup plus qu'un intermédiaire qui ferait la navette entre deux camps, Dieu et nous, pour négocier un arrangement. Il est profondément engagé des deux côtés. Ou plus exactement, en lui et avec lui, Dieu est engagé à nos côtés, il prend parti pour nous.
Ne pas diviser Jésus.
Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme. C'est cette double solidarité qui fait que nous mettons en lui notre espérance. Mais à condition de ne pas le diviser en deux, de ne pas prendre prétexte de ses deux "natures", divine et humaine, pour voir en lui deux "personnes", deux Christs.
En effet, lisant les évangiles avec nos idées à priori sur l'homme et sur Dieu, on a tendance à insister sur l'humanité de Jésus : il dort dans la barque, est fatigué, a soif, pleure son ami Lazare. Nous reconnaissons alors en lui nos propres sentiments, nos émotions, nos lassitudes. Il est homme comme nous. Mais devant d'autres pages d'évangile, les miracles, ou l'accomplissement des prophéties, nous insistons sur la divinité de Jésus. Comme s'il n'était Dieu que dans ce qu'il a d'étrange, de différent, par rapport à nous.
Dans cette lecture des évangiles en deux colonnes, il y a un risque de diviser Jésus Christ, de reconnaître en lui alternativement, et non simultanément, l'homme et le Fils de Dieu. Pour pouvoir ainsi classer les gestes et les paroles de Jésus, il faudrait être sûrs de savoir d'avance ce qu'est l'homme et ce qu'est Dieu.
Là où il est le plus humain.
La divinité, ce n'est pas une étrangeté par rapport à nous. C'est, fondamentalement, sa relation au Père, relation originelle et unique. Jésus n'est que cela : il vient du Père, il va vers lui, il est en lui. Tout en lui, à tout moment, parle du Père. Dans sa vie la plus banale, la plus quotidienne. Lorsqu'il accueille les enfants turbulents que les apôtres veulent chasser, lorsqu'il ramène à la vie la petite fille du responsable de la synagogue, puis rappelle aux parents qu'il faut lui donner à manger, il reflète toute la tendresse du Père. En cela, il nous révèle le vrai visage de Dieu. C'est bien cela, sa divinité. De même, en chaque miracle, il révèle la puissance de Dieu, non pas comme un tour de force, une démonstration spectaculaire, mais comme la puissance de l'amour qui fait vivre.
Nous avons vu sa gloire.
Son humanité, c'est bien sur la croix qu'elle se vérifie. C'est bien là que Jésus est vraiment "chair", chair vulnérable, fragile, faible. Là, plus personne ne peut tricher. "Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même", ironisent les soldats romains. Ils pensent un Dieu de puissance, comme César. Alors que Jean, témoin oculaire lui aussi, écrit dans le prélude de son évangile : "Et le Verbe s'est fait chair, et nous avons vu sa gloire." C'est l'inverse de la réaction de la foule et des soldats. C'est bien là, sur la croix, que les paroles de Jésus prennent un relief saisissant : "Moi et le Père, nous sommes un." ET également : "Celui qui m'a vu, a vu le Père." Devant la croix de Jésus, il n'est plus possible d'opposer l'homme à Dieu, car cet homme est pour toujours le vrai visage du vrai Dieu. C'est là que Jésus est la révélation du Père.
Un seul Christ.
Il nous faut donc rejeter certaines images paralysantes. Par exemple celle qui nous invite à "tenir les deux bouts de la chaine." Comme si Jésus était homme bien que Dieu, et Dieu bien qu'homme. Dieu et l'homme ne s'opposent pas ainsi. Seul Jésus nous dit qui est l'homme et qui est Dieu. La divinité de Jésus, ce n'est pas Jésus vu de dos : c'est la vérité de son visage d'homme.
Nous découvrons donc dans sa vie, et spécialement dans sa Passion, que Jésus est homme dans la vocation essentielle de l'homme, qui est d'être fils jusqu'à s'en remettre à son Père. Et en même temps nous découvrons aue Jésus est Dieu en vivant jusqu'au bout ce qu'il nous révèle être Dieu, cette volonté de se donner totalement en partage.
Voici ce que déclare Cyrille d'Alexandrie, que le pape Célestin avait envoyé pour présider le concile d'Ephèse (431) : "Le Verbe n'est pas venu dans un homme, mais il est vraiment devenu homme tout en restant Dieu", "un seul Christ, le même Dieu et homme, étant donné qu'il s'est vraiment uni à la nature humaine sans aucun changement ni confusion." D'où son insistance pour faire reconnaître Marie comme "mère de Dieu."
Refuser la dualité ?
Tout cela peut nous paraître bien lointain. En fait, l'enjeu est bien réel. Aujourd'hui plus que jamais, on a une conception de Dieu et de l'homme qui les oppose. A partir de là, on refuse de considérer Jésus comme "homme-Dieu". Divisé, tiraillé entre deux existences, on risque de ne voir d'autre solution que de réduire la personne de Jésus à son humanité. Jésus est homme, simplement homme, même si cet homme est pour nous la manifestation, la présence de Dieu.
Mais si Cyrille, et après lui saint Léon le Grand, parlant de deux "natures" en Jésus Christ, insistent sur l'unité de sa personne ; s'ils ne parlent pas de deux êtres, c'est parce qu'ils ont une tout autre conception de la relation homme-Dieu. Pour eux, il n'y a en Jésus qu'un seul "je", un seul "sujet", et c'est cette unique personne de Jésus qui a pris pour nous et avec nous une manière d'exister (une "nature") qui est humaine.
Et si cette notion de "nature" nous déroute, nous pouvons utiliser une autre manière de penser, celle de saint Augustin. Pour lui, il y a en Jésus, dans son être même, un double lien, une double relation, à Dieu et à nous. Il est à la fois Fils de Dieu et l'un des nôtres ; en lui, Dieu est devenu l'un des nôtres.
Chalcédoine (451) : Voici l'exposé final.
"Suivant donc les saints Pères, nous enseignons tous d'une seule voix un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, le même parfait en humanité, le même Dieu vraiment et homme vraiment, fait d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité, semblable à nous en tout hors le péché, engendré du Père avant les siècles quant à sa divinité, mais aux derniers jours, pour nous et pour notre salut, engendré de Marie la Vierge, la Théotokos quant à son humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Monogène, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation ; la différence des natures n'est nullement supprimée par l'union, mais au contraire les propriétés de chacune des natures restent sauves et se rencontrent en une seule personne, une seule hypostase. Il n'est pas partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, Monogène, Dieu, Verbe, Jésus Christ, comme autrefois les prophètes l'ont dit de lui, comme Jésus Christ lui-même nous en a instruits, et comme le Symbole des Pères nous l'a transmis."
Ce texte difficile, dont le vocabulaire n'est plus le nôtre, est en fait composé comme une mosaïque, à partir d'éléments empruntés à chacune des délégations rassemblées au concile. On y reconnaît de nombreuses redites. Mais on pourrait lui mettre en exergue une déclaration de l'Eglise d'aujourd'hui (à une rencontre nationale de l'A.C.O.) : "Nous ne sommes pas trop de tous, avec nos diversités et nos divergences, pour découvrir le vrai visage de Jésus Christ."
"Consubstantiel."
Trois fois revient comme un refrain "un seul et même" Christ. Et l'enjeu, c'est toujours notre salut : en Jésus Christ nous est donnée la vie même de Dieu. Alors pour dire le double lien, la double solidarité de cette unique personne du Christ, on parle de deux "natures". Et on reprend le mot "consubstantiel". La même substance, dans le Père et dans le Fils. Mais alors qu'au concile de Nicée,vingt ans plus tôt, Jésus était déclaré "consubstantiel" uniquement au Père, ici, il est reconnu également "consubstantiel" à nous, les hommes, pour dire plus fortement ce lien de Jésus avec l'humanité. Le fils de Dieu ne peut plus être séparé de l'humanité, et Jésus de Nazareth ne peut plus être séparé du Père.
(Fin de la série, début décembre)
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